samedi 8 novembre 2025

Eric Fottorino : Des gens sensibles (N°3-Nov25)

Eric Fottorine : Des gens sensibles - 2025, Gallimard - roman

 Des gens sensibles - 1 

Eric Fottorino écrit ici, avec son style particulier, un récit probablement autobiographique  "aux notes modianesques".

Dans les années 1990, Fosco, jeune écrivain, entre en relation avec Clara, l’attachée de presse des Editions du Losange pour faire publier son roman « Des gens sensibles ». Il est né de père inconnu « marocain, tunisien ou parfois d’Algérie, selon les humeurs de sa mère ». Il en est instable, perturbé, à la recherche de ses origines.

 Clara le prend sous son aile car elle lui trouve une « gueule d’écrivains » et qu’elle est « saisie par la force du texte » de ce jeune auteur. Clara avait été sublime : « Ce qui survivait de son éclat était bouleversant » écrit Fosco, quinze ans de moins qu’elle. Mais au moment de leur rencontre, elle est insomniaque, carbure au champagne et à la cigarette comme souvent dans les milieux artistiques de « toute une époque » c’est-à-dire au début des années 1990… le temps des cabines téléphoniques et des bars chauds du quartier latin. Elle est la maitresse de Saïd, un écrivain algérien reconnu et chouchouté par la maison d’éditions, « adulé dans son pays ». Il se partage entre la France et Tanger où il vit avec sa famille, menacé par une fatwa. Ces trois vies sont « nouées sous le sceau de la littérature » et ils forment un trio « inséparable uni par la conviction que la littérature est plus grande que la vie ». (note de l’éditeur).

Mais  Fosco se retrouve seul après le décès des deux amis, en pensant « que la littérature pouvait approcher le mystère de la vie » et lui faire comprendre la sienne, celle de Clara et celle de Saïd.

Très beau roman qui fait revivre tout un milieu artistique et littéraire avec « ses personnages flamboyants, son questionnement sur sa légitimité littéraire et son hommage aux intellectuels pourchassés » tel Boualem Sansal. (Fémina)

 

jeudi 6 novembre 2025

Rachid Benzine : L'homme qui lisait des livres (N°2-nov25)

 L'homme qui lisait des livres - 1

 Rachid Benzine : L'homme qui lisait des livres - 2025, Julliard - roman

 

Dans la ville de Gaza en ruines, l’auteur imagine un journaliste français qui prend une photo d’un vieil homme sur le seuil d’une librairie à la devanture de guingois envahie par les livres (on peut d’ailleurs admirer la magnifique illustration de la couverture de ce petit livre). Une conversation s’engage entre Nabil, ce libraire et le reporter. Nabil raconte sa vie, l’auteur utilisant la première personne.  Chaque chapitre porte le nom des lieux qui ont marqué l’existence de ce libraire « doux et érudit » : les camps de réfugiés de son enfance et adolescence lorsqu’il joue Hamlet, ses études au Caire, son mariage, la naissance de son premier enfant, le départ pour Gaza, son séjour en prison, son retour avec toujours cette idée que les livres « sont les fragments d’une vie, les éclats d’une mémoire, les cicatrices d’un peuple ». Nabil a toujours lu où qu’il se trouve (même en prison) : « il nous rappelle que les livres sont notre plus grande chance de survie – non pour fuir le réel, mais pour l’habiter pleinement » (note de l’éditeur).

L’écriture est magnifique : on imagine « le désordre qui a un sens » dans cette petite boutique ; on sent l’odeur, « parfum des vieux papiers, de livres oubliés, de poussière » ; on déguste une datte, « le sucre du fruit venant adoucir la légère âpreté du café » ; on écoute le magnifique poème de Mourid al- Barghouti.

Le dernier chapitre est poignant : le journaliste retourne à Gaza après le 7 octobre 2023 : « Là où vivait Nabil, il n’y avait plus que poussière »…

« Un récit bouleversant sur les pouvoirs réparateurs des livres » (Fémina)

 

Natacha Appanah : La nuit au coeur (n°1- nov 25)

 La nuit au coeur - 1

 Natacha Appanah : La nuit au coeur - 2025, Gallimard -  témoignage 

 

« Dans ‘la nuit au cœur’, terrible enquête intime, l’écrivaine fait le lien entre deux féminicides et l’emprise qu’elle a endurée » (Le Monde).

L’auteure rend hommage à Chahinez Daoud, renversée et brûlée vive par son mari à Mérignac en France en 2021, à sa cousine Emma, écrasée par son époux à l’île Maurice en 2000 et raconte sa propre vie de jeune femme (de 17 à 25 ans) tombée sous l’emprise d’un homme de 50 ans brutal, jaloux et manipulateur, en 1998, la seule des trois à être encore vivante : « je vivais sous l’emprise d’un homme au génie sombre et violent et je n’en menais pas large ».

Comment rendre compte de ces « féminicides conjugaux » ? Ces jeunes femmes ont été domestiquées, humiliées, frappées et tuées pour deux d’entre elles par ces monstres qui étaient leurs maris. Elles vivent « des années de soumission, de dépendance, d’humiliation, de contrainte, d’intimidation, de brutalité, de terreur » dit-elle. Elle nous décrit la violence de son bourreau qui lui « encercle le cou de sa main épaisse et elle prend conscience de la fragilité de cette partie du corps qui tient sa tête, son cerveau et toutes ses pensées et ses rêves ». Elle évoque la terrifiante course-poursuite dans la nuit « où les cris de détresse ne sont entendus que par les chiens »…

L’auteure mène une enquête serrée, terriblement intime en étudiant les archives et en questionnant les familles et les amis des victimes : « Comment expliquer le lent enfermement, la sidération, la honte, l’acceptation du toujours pire ? ».

En 2000, à la mort de sa cousine, elle « n’était pas prête à écrire, pas encore » mais en 2021, à la mort de Chahinez, elle commence à écrire ce récit des faits, « rien que les faits et le portrait des femmes prises dans une spirale, abandonnées de tous, soumises, méprisées, humiliées, frappées » (La Croix).

Elle dit à la fin d’un interview : « je voudrais écrire en ayant l’assurance que l’écriture, les livres, ce travail, cette obsession, que tout ça, ça sert à quelque chose ». Le Figaro conclut un article sur ce récit : « la place manque pour dire la puissance littéraire, sociale, psychologique de ce texte d’utilité publique ».

A lire absolument…