Lola Lafon : Qaund tu écouteras cette musique (N°1- janv 23)

 Lola Lafon : Quand tu écouteras cette chanson - 2022, Stock - roman

Lola Lafon, romancière aux longs cheveux blonds, d’allure juvénile et mystérieuse, nous enchante à chaque parution : « De roman en roman, elle a mis en lumière la vie d’adolescentes dont la singularité fut écrasée par l’Histoire » (ELLE). On se souvient de « La petite communiste qui ne souriait jamais » (la vie de la gymnaste Nadia Comaneci). Elle aime défendre « les silenciées », dit-elle, les ignorées, les écrasées.

Publié dans l’excellente collection « Ma nuit au Musée », ce nouveau récit se passe dans le Musée-Maison d’Anne Frank à Amsterdam : l’auteure a choisi d’y passer la nuit en solitaire  pour essayer de dresser un portrait de l’adolescente Anne Frank et comprendre l’écriture de son « Journal » intime publié en 1947 par son père Otto, seul survivant de la famille des camps de la mort.

Anne Frank vivra terrée dans l’Annexe, « cette cachette aux fenêtres obstruées » avec sa sœur Margot, leurs parents, Otto et Edith et quatre autres personnes pendant deux ans pour échapper aux nazis entre juillet 1942 jusqu’à leur arrestation le 4 Août 1944 : le vide des lieux, les quelques photos dont celle d’Anne évoquée dans le livre où l’auteur voit les taches de rousseur sur la peau de l’ adolescente, les marques sur le papier peint écrites par Otto pour suivre la croissance de ses filles…

Lola Lafon, assise sur un lit de camp, lutte avec sa peur d’affronter Anne et ne rentrera dans sa chambre que vers le matin. Lui reviennent en mémoire les chemins qu’elle a suivis elle aussi et fait « un discret parallèle » entre ses croisements de destins. Elle évoque ses propres souvenirs, sa petite enfance de danseuse, sa mère juive originaire de Pologne, son adolescence en Roumanie dirigée par Ceausescu, un ami cambodgien disparu après la prise de pouvoir de Pol Pot, son arrivée en France, son désir d’écrire.

Elle découvre en se documentant qu’Anne Frank avait l’ambition de devenir écrivaine et que ce « Journal » était écrit en vue d’être publié. Elle rend hommage à cette adolescente courageuse.

La beauté de ce livre réside dans l’intimité troublante que réussit à créer Lola Lafon et ses questionnements sur son enfance, sur sa judéité, sur le sens de l’écriture. « Lola Lafon écrit un livre d’une maitrise et d’une justesse sidérantes », dit un critique. Par des chapitres courts, d’ « une plume bouleversante et pudique », elle nous transmet une émotion intense ce qui rend ce livre inoubliable et nous donne envie de relire « le Journal d’Anne Frank ».

Valentine Goby : L'île Haute (N°2 - Janv 23)

 Valentine Goby : L'île Haute - 2022, Actes Sud - roman

Valentine Goby est une auteure prolifique puisqu’elle a déjà écrit 25 romans pour enfants et 15 pour adultes dont le fameux « Un paquebot dans les arbres » en 2016 que j’avais beaucoup aimé.

Dans ce nouveau roman, l’auteur nous écrit « un hymne à la beauté de la montagne », cette haute montagne, « l’île haute » ( La montagne se dresse à contre-jour. Une île dans la neige, écrit-elle). Elle nous plonge dans l’atmosphère de la vie alpestre en 1943. Un enfant parisien est envoyé là pour, soi-disant, apaiser son asthme et il le comprend rapidement pour éviter qu’il soit raflé par les allemands en tant que juif (« ce qui compte ce n’est pas qui tu es mais qui on te croit être », pense-t-il). Il y est accueilli dans une famille « taiseuse et bienveillante ». Première fois qu’il prend le train, première fois qu’il voit la montagne, premier émoi de son corps : c’est l’âge « où l’on se transforme mentalement et physiquement ». L’enfant découvre l’amitié avec des amis d’école et des voisins, surtout Moinette et Martin mais aussi avec un aveugle (passage étonnant et très bien étudié).

Trois chapitres pour décrire les trois saisons que découvre le jeune garçon : en arrivant le « Blanc » de l’hiver, puis le « Vert » du printemps, puis le « Jaune » de l’été et que nous découvrons aussi par des descriptions exceptionnelles de cette nature grandiose et apaisante : les noms des montagnes, pics, sommets, les noms des fleurs avec leurs couleurs et leurs formes, le nom des papillons nombreux, le nom et les détails des travaux agricoles : la traite des vaches et des moutons, les naissances des animaux, la récolte du foin, les alpages d’été,  toutes les activités pastorales disparues vers 1970. Nous apprenons aussi le patois de cette région reculée : par exemple la « cousse » qui est une tempête de neige.

L’écriture est « simple et fluide » et l’auteure s’est extrêmement bien documentée car le nombre de noms de fleurs citées est extraordinaire ainsi que la précision des noms des montagnes, des pics, des vallées, des alpages que l’on peut retrouver sur les cartes de cette région magnifique.

Ce roman initiatique est « un grave roman d’apprentissage doublé d’une délicieuse épopée pastorale » (la Croix).

A lire absolument, surtout pour les amoureux de la montagne.

 

Tracy Chevalier : La brodeuse de Winchester (N°3- janv 2023)

 Tracy Chevalier : La brodeuse de Winchester - Folio poche, 2021 - roman. Lauréate du Trophée FOLIO-ELLE 2022.

On ne peut oublier l’immense succès de « La jeune fille à la perle » paru en 2000 de cette même écrivaine ainsi que La dame à la Licorne (2003), La vierge en bleu (2004), L’innocence (2007), Prodigieuses créatures (2010), La dernière fugitive (2013), A l’orée des vergers (2016). Cette auteure est souvent comparée à Jane Austen pour son écriture, ses personnages et son humour très anglais (comme j’aime…)

Nous sommes dans les années 1930. Notre héroïne, Violet Speedwell, est une célibataire comme beaucoup de femmes de son époque, la guerre en 1917 ayant tué beaucoup de jeunes hommes comme son fiancé et son frère Georges. Elle se doit de se dévouer à Southampton auprès de sa vieille mère d’humeur difficile, irascible et exigeante. Ses seules distractions sont quelques soirées avec des « partenaires de sherry » (expression so british !!!).

Mais elle décide de s’émanciper et quitte cette vie de vieille fille dans la maison familiale et part habiter dans une pension à 20 km de chez sa mère à Winchester, devient dactylo et vit de son maigre salaire. Elle rencontre le Cercle des Brodeuses de la cathédrale, communauté rassemblée autour de la charismatique Louise Pesel, personnage véridique, fondatrice de  ce groupe. Elle apprend avec passion les « petits points » qui créeront « des agenouilloirs et des coussins » pour adoucir les longues stations à genoux des fidèles venus prier. Elle se noue d’amitié avec des Brodeuses du groupe, féministes et émancipées mais aussi avec les sonneurs de cloches, particulièrement un… « Nous allons des points minutieux brodés sur les agenouilloirs aux envolées célestes des cloches » (La Croix).

Ses deux activités sont décrites avec un talent remarquable, d’autant que sûrement beaucoup de lecteurs ignoraient ces ouvrages de l’ombre, les unes maniant les couleurs, les dessins, les fils de laine et nombreuses sortes de petits points différents, les autres maniant avec force, adresse et harmonie les cordes des cloches, deux « univers fascinants et exaltants ».

Une lecture douce avec des personnages attachants, des découvertes passionnantes et le destin de l’héroïne, féministe avant l’heure dans cette Angleterre si conservatrice. "Un roman tout en nuances, plein de délicatesse et de force à la fois" dit un membre du jury-ELLE.