jeudi 22 novembre 2012

Patrick Deville : Peste et choléra

Patrick Deville : Peste et choléra - Seuil, 2012 - roman : prix du Roman FNAC et prix Fémina. 

 
 COUP de COEUR

  Au prime abord, ce livre ne m’intéressait pas car les scientifiques et les médecins sont un monde à part et pas tout à fait mon univers. Mais c’est le prix Roman Fnac et le prix Fémina donc il doit s’y passer quelque chose….Quel étonnement dès les premières pages. Le style d’abord : phrases courtes, quelquefois sans verbe, vocabulaire complexe mais quelle vivacité, quelle énergie. Ensuite le sujet : je me suis laissée embarquer dans la vie tumultueuse et originale d’Alexandre Yersin (1863-1943), ce jeune bactériologiste franco-suisse formé à Berlin puis à Paris par Pasteur lui-même. «  Un jeune homme calme et déterminé au regard clair et bleu, à la barbe noire bien taillée » nous écrit l’auteur.
 Yersin découvre le bacille de la peste « Versinia pestis ». Pasteur dira cette belle phrase : «  Dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Yersin a cet esprit intelligent exceptionnel mais il refuse de se laisser enfermer dans la « bande à Pasteur » et va vivre une vie de globe-trotteur.
 C’est « l’aventurier idéal », toujours actif, infatigable, énergique, un peu dispersé peut-être mais on est pris sous le charme de ce scientifique qui sera explorateur, ethnologue, colon, industriel, botaniste, astronome. Envoyé en Indochine par Pasteur, il y reste toute sa vie et ira de découvertes en découvertes, d’inventions en inventions : il trace des routes, plante des hévéas, cultive la quinquina, invente le Koka, fait venir de France la première voiture (une Serpollet 5-CV), le premier réfrigérateur, les premiers appareils d’astronomie…et bien d’autres choses encore.
Nous sommes plongés dans le monde des époques pendant lesquelles il vit avec des descriptions passionnantes : à Morges en Suisse où il est né et où vit sa mère et sa sœur, au Zur Sonne à Marburg, au Lutétia à Paris, au Royal à Phnom Penh, au Majestic à SaÏgon, au Lang Bian Palace à Dalat, puis dans son lieu de retraite à Nha Trang en Indochine.
Patrick Delville aime particulièrement se faire interviewer au « Lutetia », hôtel de prédilection de Yersin et raconte qu’il a réussi à décortiquer la vie de son héros en ayant accès aux lettres qu’il écrivait à sa mère puis à sa sœur (archivées et ressorties récemment à l’Institut Pasteur) et en se documentant sur cette fin de XIXème et début du XXème siècle d’une façon passionnante avec les lectures de presse d’époque et le dépouillement de documents.
Vous avez bien compris que ce livre m’a passionnée.
 

Metin Arditi : Prince d'orchestre

Metin Arditi : Prince d'orchestre - Actes Sud, 2012 - roman


Metin Arditi nous plonge dans un univers contemporain (dans les années 1997-1998) en compagnie d’un chef d’orchestre de fiction mondialement connu : Alexis Kandilis.

A cause d’une indélicatesse envers un musicien, la vie d’Alexis Kandilis va se transformer en cauchemar : « sa réputation est ébranlée » et cet homme élégant, brillant, séducteur va être complètement déstabilisé. Ne l’était-il pas déjà par ce morceau de piano des « Chants des enfants morts » qu’il vient d’interpréter et qui lui revient tout le temps en mémoire et par ces flashs du passé qui le troublent, surtout en revoyant un ami d’enfance…..

Cet homme  très complexe et imbuvable par certains côtés, adulé quelques jours avant par la profession, le public, les journalistes, tombe dans la solitude et l’angoisse avec lucidité, orgueil et ambition (il se croit toujours le meilleur). Quelques amis l’entourent avec patience et sollicitude et le lecteur prend espoir et imagine une métamorphose possible ???

C’est dans son écriture que ce livre est passionnant : des chapitres courts et concis facilitant la lecture ; un talent exceptionnel pour décrire la façon de diriger un orchestre symphonique (les regards, les gestes, les mouvements de la baguette, la concentration particulière, les positions des pieds : tout y est étudié et décrit) ; la description de l’ambiance du monde de la musique ;  la folie des jeux de Casino ; la complexité de la psychiatrie. Un critique de La Croix nous dit : « Une fluidité de narration exceptionnelle qui fait que l’on tourne les pages à en perdre haleine »

J’ai beaucoup aimé ce roman profond sur l’ambition, la peur, l’angoisse des « grands », seuls face à leur public, la difficulté d’être et de rester le meilleur et sur la fragilité humaine. Ce fut aussi pour moi la découverte du travail d'un chef d'orchestre.

 

Jean Echenoz : 14

Jean Echenoz : 14 - Les éditions de Minuit, 2012 - roman court


Dans ce roman, Echenoz met en scène cinq jeunes issus du même village mais de conditions sociales différentes même opposées. Ils partent au front en « 14 » embarqués au sein du 93ème Régiment d’Infanterie. L’auteur nous raconte donc la première année du combat de la Grande Guerre. Une jeune femme attend le retour de deux d’entre eux : deux frères : l’un qui est son fiancé, Charles, d’emblée assez antipathique, l’autre, Anthime, qui lui plait….Les deux lui écrivent mais un seul rentrera vivant.

Le lecteur est plongé dans l’horreur de la guerre : les tranchées, les gaz, les obus, les corps déchiquetés, la souffrance, la mort mais aussi dans les éléments concrets et inconnus : la « cervelière » ou le maniement de la baïonnette avec force détails… « Les Hommes n’ont plus aucun libre arbitre, dans un abominable étau. Les personnages sont « agis » plutôt qu’acteurs » a dit Echenoz à la Grande Librairie en voulant nous montrer l’absurdité de cette guerre.

C’est grâce au style que ce livre est beau, sobre et juste : phrases courtes, ciselées et précises, ton subtil et malicieux, discours indirect, commentaires toujours « remarquables de soudaineté, d’incongruité et d’irréfutabilité ».

Echenoz reste très aimé et garde SES lecteurs. Il parait si sympathique avec son sourire timide et son humilité. On se rappelle du Goncourt 1999 qu’il avait obtenu avec « Je m’en vais » (comment tout quitter pour une aventure palpitante au Pôle nord à la recherche d’un trésor ??). C’est pourquoi il faut lire ce court roman sur les horreurs de cette première année de guerre vue par les combattants ce qui est rare.

Audur Ava Olafsdottir : L'Embellie

Audur Ava Olafsdottir : L'Embellie - Ed Zulma, 2012 - roman de détente

Beaucoup de lecteurs avaient aimé le style de « Rosa Candida », livre qui avait égayé la rentrée littéraire 2010. L’islandaise Olafsdottir nous gâte encore avec l’Embellie.

C’est l’histoire d’une jeune femme de 33 ans, fantasque, originale, candide et un peu décalée (comme le héros de Rosa Candida) que l’on aime dès le début du roman.

 Elle part au mois de Novembre pour « ses grandes vacances d’été…. » faire le tour de l’Islande sur la N1 (route circulaire). Elle veut faire un break : son mari l’a quittée, elle quitte son amant, sa meilleure amie lui confie Tumi, petit garçon malentendant et très myope de 4 ans. Qu’importe : ils partent tous les deux sur cette route islandaise, sous une pluie battante quasi continuelle. Que d’aventures, de maladresses, de situations burlesques (précisons que notre héroïne n’a pas d’enfant), que de moments apaisants, tendres, réconfortants, fantaisistes et pleins de bonheurs simples.
Pour reprendre la critique du Journal ELLE : « un feel good book à l’énergie contagieuse ».

Barbara Constantine : Et puis, Paulette

Barbara Constantine : Et puis, Paulette - Calmann-Lévy, 2012 - roman de détente


Barbara Constantine prend plaisir à nous raconter ce « conte fantaisiste » sur la générosité, la solidarité et l’entraide et de ce fait nous transmet beaucoup de plaisir.

Ferdinand, agriculteur veuf à la retraite, qui est veuf et souffre de la solitude dans une grande ferme, propose à sa voisine de venir s’installer chez lui le temps de la réparation du toit de sa maison emporté par une tempête. Puis, de rencontre en rencontre, la ferme va accueillir deux femmes plus âgées, un ami devenu veuf, deux étudiants. Trois générations vont se côtoyer avec beaucoup de joies, d’émotions, de dévouements, de respects et de tendresses.

« Ce roman ne pouvait se passer qu’à la campagne » nous dit l’auteur lors d’une interview à la « Grande Librairie » (le jeudi soir sur la 5). Cela nous vaut de superbes descriptions de la vie à la ferme, du potager, des animaux (poules et âne) et des habitants de cette ferme.

J’ai beaucoup aimé ce roman qu’il faut lire pour se détendre et qui est aussi  l’occasion d’une réflexion sur la vieillesse, la solitude, la mort : « Comment prendre en main sa vieillesse ? ». Tout cela nous est dit dans un style fluide, vif, parfois drôle et plein d’humour et très attachant.