lundi 8 avril 2024

Sylvain Tesson : Avec les Fées (N°1 - Avril 24)

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 Sylvain Tesson : Avec les Fées - Ed Equateurs,2024 - roman

 Loin des ridicules querelles au sujet de sa nomination comme Parrain du Printemps des poètes, notre écrivain baroudeur nous emmène (comme dans « Les chemins noirs » ou « La panthère des neiges ») en dehors de toutes ces polémiques. Nous sommes avec lui à « la recherche du merveilleux et de la beauté ». Dans cette recherche vitale qu’il nomme les fées, « cette qualité du réel révélée par une disposition du regard »… « ce qui se mérite dans l’ordre de la beauté ».

Le voilà embarqué sur un navire, « voilier breton tout blanc », accompagné de deux amis bien amarinés, pour trois mois depuis l’Espagne jusqu’en Irlande et l’Ecosse. Judicieusement des cartes nous guident et nous servent de repères : non contents de traverser le Golf de Gascogne, de contourner la Bretagne, ils arrivent en Cornouailles et aux Pays de Galle, partent faire le tour de l’Irlande  pour regagner l’Ecosse jusqu’aux îles Shetland : sacré navigateur, le skipper de ce voilier traversant les tempêtes et frôlant les rochers, les îlots et les côtes…

Notre baroudeur descend du voilier régulièrement pour pédaler ou marcher sur les sentiers du littoral souvent escarpés et pour réembarquer sur le bateau quelques dizaines de kilomètres plus loin. Quel aventurier, quelle résistance à tout (sachant son handicap), quelle envie d’être au plus proche de la nature, dans toutes les conditions (aucun confort) par tous les temps, par des paysages extra-ordinaires : le tout est décrit avec son humour habituel et son écriture poétique.

Donc deux vies différentes s’offrent à lui : les moments sur le bateau qui portent à la réflexion, à la rêverie (surtout de quart à la barre la nuit) et les moments à terre où il nous décrit si justement « les dames anglaises », « les chiens de chasse », le merveilleux qui est « un clignement : on le cherche, il se refuse, on veut le saisir, il a disparu. On a intérêt à se tenir aux aguets ».

« Là encore Sylvain Tesson touche juste : il nous rappelle à l’essentiel, rejoint la plénitude , en disant le sentiment d’être rendu là où il doit être » (La Croix)

Joyce Maynard : L'hôtel des oiseaux (N°2 - Avril 24)

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Joyce Maynard : L'hôtel des oiseaux - Philippe Rey, 2023 - roman

 On se rappelle de Joyce Maynard qui, jeune étudiante, a écrit un long article sur la jeunesse en 1972 aux Etats-Unis pour le New York Times et de ce fait a rencontré le célèbre J.D. Salinger avec qui elle a eu une relation étrange et dévastatrice. Elle avait 19 ans, lui 54… Elle a écrit à ce sujet un magnifique témoignage : « Et devant moi, le Monde », paru en France en 2011. Elle eut alors mauvaise réputation car divulguer sa relation houleuse avec Salinger, l’idole, n’a pas plu aux Américains. Ensuite elle s’est lancée dans l’écriture de romans avec pour thème l’amitié et surtout l’emprise et la dépendance (sans doute à cause de celles qu’elle a connu avec Salinger) et l’étude du comportement des adolescents : « Les règles d’usage » paru en 2016, « L’homme de la montagne » paru en  2014,et « De si bons amis » en  sur lesquels j’ai rédigé des fiches dans ce blog.

Joyce Maynard écrit ici un roman d’un autre genre : « lumineux et bouleversant », « vibrant et envoûtant ».

Une jeune femme ayant vécu drame sur drame, ravagée par un double deuil, s’apprête à se jeter d’un pont mais elle renonce « car elle sait qu’une part d’elle-même ne peut se résoudre à abandonner le monde » (dit l’auteur dans une interview du journal ELLE). Elle quitte tout sans destination précise et  trouve refuge dans un village d’Amérique latine (sans doute au Guatemala  que l’auteur connait bien car elle y  a créé une résidence d’écriture pour femmes) au bord d’un lac surplombé d’un volcan. Cette jeune femme y devient propriétaire d’un domaine-hôtel qu’une femme mystérieuse lui lègue. Elle y retrouve un certain bonheur et se crée une nouvelle vie dans une nature magnifique, entourée de personnages surprenants entre les clients riches et les habitants pauvres du village.

« Voyage inoubliable » dans un endroit magique si bien écrit par cette auteure talentueuse.

 

Marie Darrieussecq : Fabriquer la femme (N°3 - Avril 24)

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 Marie Darrieussecq : Fabriquer la femme - P.O.L. , 2024 - roman

 

« De roman en roman, l’autrice a raconté comment une femme évolue en fonction des choix possibles et des déterminismes » nous dit le journal « La Voix du Nord. En effet nous avons déjà rencontré les mêmes héroïnes du roman de cette auteure plusieurs fois : Solange et Rose dans Clèves en 2011, Solange dans Il faut beaucoup aimer les hommes en 2013 et Rose dans La mer à l’envers en 2019

Ici dans son vingtième roman, l’auteure met en scène les deux amies d’enfance Rose et Solange dans les années 1980-90 dans un petit village étriqué du Pays Basque, Rose plutôt bourgeoise et sérieuse, « sage et conformiste » « roucoule avec son petit ami, poète et sensible, manquant d’exotisme "  (ELLE), Solange plus émancipée «  tombe enceinte ». L’annonce de cette grossesse non-désirée va créer un véritable séisme dans la classe de Lycée des deux jeunes filles. Solange après un accouchement bien détaillé et cruel va abandonner cet enfant aux bons soins de sa mère pour suivre son projet de devenir actrice. L’auteur réussit à glisser dans ce roman, dans les 3 chapitres « D’après Rose » puis « Selon Solange » puis « Ensemble »,   non seulement les portraits-types de ces deux jeunes femmes si différentes mais aussi tous les événements sociaux (années « SIDA »), politiques et musicaux  des années 1980-1990 et les questionnements sur la liberté des femmes de l’époque ainsi que l’image type des parents, des copains, des habitants du village, les rencontres de Solange à Bordeaux, à Paris, à Londres, à los Angeles.

Souvent très cru, parfois cruel (la fin est tragique), c’est un « roman d’apprentissage au féminin de l’amitié, du désir et de l’ambition ». Ces sujets ont été déjà beaucoup abordés dans des romans et je préfère lire Annie Ernaux que cette auteure un peu décevante ici.

lundi 11 mars 2024

Patrick Modiano : La danseuse (N°1 - mars 24)

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 Patrick Modiano : La danseuse - Gallimard, 2023 - roman

 

L’écrivain Patrick Modiano a reçu le 10 décembre 2014 du roi de Suède, le plus prestigieux des prix littéraires, le prix Nobel de littérature, au Stockholm Concert Hall devant 1250 invités. L’Académie suédoise a distingué l’écrivain et son œuvre « où la petite musique rejoint la grande » et « pour l’art de la mémoire avec lequel il a fait surgir les destins les plus insaisissables et découvrir le monde vécu sous l’Occupation nazie ». Il est le 15ème lauréat français de ce prestigieux prix.

 Insaisissable, en effet, l’histoire de la danseuse et notre héros, apprenti écrivain, (n’est-il pas l’auteur lui-même ? ) qui vivent dans la pénombre d’un appartement de la Porte Champerret, dans un « clair-obscur » des pensées où se mêlent le présent flou et le passé mystérieux. « Ils semblent tous deux rescapés de mauvais coups, d’erreurs de jeunesse, de fréquentations de personnages peu recommandables » (Elle). Les époques s’entrechoquent et notre héros ne reconnait plus Paris « avec ses masses de touristes, l’atmosphère de parc d’attractions, la brutalité des rapports humains » (Match). Cette jeune danseuse fut harcelée dans sa jeunesse, sera sauvée par la danse classique qui l’aide « à remonter à la surface »dit-elle.

J’adore me laisser porter par l’atmosphère troublante et la belle écriture mélancolique, un peu tragique de cet auteur. Certains critiques jugent ce livre comme l’un des plus apaisés et lumineux de son œuvre. S’abstenir si on ne connait pas Modiano et l’ambiance de ses livres.

 

Sylvain Prudhomme : L'enfant dans le taxi (N°2- mars 24)

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 Sylvain prudhomme : L'enfant dans le taxi - Les Editions de Minuit, 2023 - roman

 

Sylvain Prudhomme est l’auteur de plusieurs romans d'une "écriture fluide et directe" qui sont toujours des « odes à la fraternité, à l’amitié, à l’amour », comme dans « Les Grands » paru en 2015 que j’avais particulièrement aimé qui se passait en Guinée Bissau et racontait la vie d’un groupe musical et comme « Par les routes » qui nous parle d’une profonde amitié entre le narrateur Sacha (n’est-il pas un peu l’auteur) et « l’auto-stoppeur » (c’est son seul nom dans le récit) (Prix Fémina 2019).

Ici dans « L’enfant du taxi », le narrateur, Simon (la quarantaine), va traquer un secret de famille qui lui a été révélé lors des funérailles de son grand-père : celui-ci n’avait pas 4 enfants dont son père mais 5 : il y avait en plus « le fils de l’allemande », inconnu de la famille… Nous voilà partis à la recherche de ce fils conçu lorsque le grand père était soldat dans l’après-guerre avec les troupes alliées qui occupaient le territoire du pays vaincu. Après recherche sur Internet et Google Map, nous allons sur la rive allemande du lac de Constance avec Simon pour retrouver les traces de cet homme rejeté par la famille…car Simon est « mu par un fort désir de réparation par rapport à cet homme ». C’est l’occasion aussi de réflexions sur la vulnérabilité des autres, vue avec tendresse et bonté, sur la bienveillance, le couple, les liens qui unissent les familles, la liberté : « comment être libre et accepter la liberté des autres ? »

Très beau roman « intimiste, porté par le phrasé précis, délié et accueillant, sensuel et sensible » de cet auteur. (Télérama).