samedi 2 mai 2020

Claire Berest : Rien n'est noir (N°1 - Avril 20)

 


Claire Berest : Rien n'est noir -2019, Ed. Stock - roman français

(Je conseille aux lecteurs de consulter le site du musée Frida Kahlo sur Internet : artsandculture.google.com/partner/museo-frida-kahlo)

Arrière petite fille de Picabia (1879-1953), peintre proche du mouvement dada puis surréaliste, Claire Berest nous fait dans ce livre les portraits hauts en couleurs de deux peintres : Frida Kahlo (1907-1954), artiste mexicaine célèbre et de son mari Diégo Riviera, « el gran pintor »(1886-1957). Connaissant le monde des peintres, elle nous décrit au plus près les méthodes de peinture des deux artistes. Elle ne propose pas une biographie mais se concentre sur l’histoire d’amour entre Diego et Frida (Les deux ayant d’autres passions éphémères  par exemple Frida avec Leon Trotski en 1937 que l’on découvre dans le livre  de Gérard de Cortanze : Les amants de Coyoacan.)
La jeune Frida vit au Mexique à Coyoacan dans une famille de femmes : mère attachante, six filles, père pianiste et artiste. Sa rencontre avec Diego Riviera, célèbre muraliste, sera décisive. Ensemble ils vont vivre une existence hors du commun, une passion folle. Lui, d’un physique gigantesque, « el elefante », est un artiste très connu au Mexique qui ne  fait qu’une « bouchée » de sa jeune admiratrice. Frida est d’une grande beauté mais aussi a subi des drames qui la rendent handicapée, maigrichonne : poliomyélite à 8 ans, accident dans un bus qui lui fracasse le corps et lui donne « une colonne vertébrale émiéttée ». Elle a 21 ans lorsqu’elle vient admirer son futur mari en train de peindre. Elle est sûre qu’ils sont faits l’un pour l’autre : « elle l’a dans la peau ».
Apparté sur les techniques des Murales à cette époque : C’est une course contre la montre car il faut peindre sur le mur avant que le plâtre ne sèche : peindre à la « fresco » : dans le frais. Une couche de plâtre a besoin d’environ 10 heures pour sécher, ce qui laisse en réalité 7 à 8 heures de temps de travail effectif donc Diego travaille toujours dans l’urgence et la rapidité.
Claire Berest « se saisit à chaque chapitre d’une des nuances de sa palette pour camper, avec fougue et brio, leur furieux appétit de vivre, leur passion en forme de grand-huit, leurs fêtes et leurs drames ». Chaque chapitre court a un titre de couleur : première partie à Mexico en 1928 avec les bleus (cobalt, acier, roi, outremer, ciel…) ; deuxième partie aux USA de 1930 à 1932 dans les rouges (carmin, écarlate, étrusque, sang, électrique…) ; troisième partie à Mexico, New York et Paris de 1933 à 1940 dans les jaunes (safran, beurre frais, sable, tournesol, jasmin…) ; quatrième partie avec les noirs (pur, encre). Quelle palette magnifique et quelle bonne idée, quel style coloré !!!

Christian Signol : Même les arbres s'en souviennent (N°2 - Avril 20)


 

Christian Signol : Même les arbres s'en souviennent - 2019 - Albin Michel - roman français

Voici le dernier livre de Christian Signol qui vit entre la Corrèze et le Lot dans un décor fastueux depuis 1986 et passe son temps entre la pêche à la mouche et l’écriture, « jamais plus de deux heures par jour », dit-il.
Dans une interview reportée dans la revue LIRE, Christian Signol évoque un genre littéraire dont il se sent proche, le « nature writing », littéralement « écrire avec la nature » : c’est un mouvement littéraire né aux USA mêlant  « observation de la nature et considération autobiographique » et forme un « texte environnemental ». Le modèle du genre est l’américain Jim Harrison (on se souvient de ‘Légendes d’automne’ et ‘Dalva’ publié en 1988 ). C’est donc ce que nous écrit Christian Signol dans ce superbe roman, en nous faisant découvrir son héros, Emilien, né en 1915, paysan du haut plateau du Massif Central de la Corrèze.
C’est à la demande de son arrière petit-fils, Lucas, qu’Emilien retrace sa vie : la première partie relate sa prime jeunesse : il est placé à 6 ans comme « ouvrier agricole ». Si jeune, quelle épreuve pour l’enfant et la mère devenue veuve et sans ressources. Cette maman aimante accepte un mariage « arrangé » à condition de pouvoir reprendre son fils auprès d’elle, celui-ci étant tombé gravement malade. Le mari, Félicien, brave homme, possède une petite ferme sur le plateau à Lombatie, hameau de « 6 maisons basses aux fenêtres étroites ». Commencent alors pour  Emilien la vie à la ferme et ses durs travaux pour un jeune enfant et à l’école où il est un élève très brillant. Félicien meurt et la mère et le fils héritent de la ferme. Emilien fera le choix de rester avec sa mère plutôt que de faire des études à la ville. Commence alors « un moment de confiance » et de joie pour le jeune homme et la mère avec la lenteur de vivre du monde paysan de l’époque, si bien décrit par l’auteur. Emilien se marie avec une jeune femme du village. Ils ont deux enfants et l’un d’eux aura Lucas. Mais commence aussi le moment de la désertification des campagnes à cause de la mécanisation et de la politique du Marché Commun mais aussi le moment du confort avec l’électrification, l’eau potable, le chauffage central, tous ces sujets  étant chers à l’auteur.
Ce roman magnifique parle à tout le monde. On s’attache aux personnages comme à des amis. On se régale des descriptions de la nature et des arbres. On a l’impression de retrouver ses racines. C’est du « pur Signol » : « une réflexion sur la transmission, un éloge de la ruralité disparue et de ce territoire qui court de Brive au Lot » (LIRE)
 


Philippe Grimbert : Rudik, l'autre Noureev (N°3 - Avril 20)


 Rudik, l'autre Noureev


Philippe Grimbert : Rudik, l'autre Noureev - Plon, 2015 et poche, 2016 - roman français

 

« Incroyablement crédible » sont les mots d’un critique à la parution de ce roman. En effet à la lecture de ce récit, on se demande vraiment si c’est une vraie biographie mais non, c’est un roman…
« Grimbert fait revivre l’enfant blessé tapi derrière la star » (Elle). L’auteur est donc un écrivain mais aussi un psychanalyste et le narrateur de ce roman est LE psychanalyste de Noureev (1938-1993) qui, on le sait, fut le fabuleux danseur et le « colérique directeur » du ballet de l’Opéra de Paris de 1983 à 1989.
Comment ce psychanalyste qui devrait garder ses distances avec son patient va « succomber » à cette légende vivante et être si troublé par cet homme attachant au point de « multiplier les entorses à la neutralité bienveillante de tout freudien qui se respecte » (Express). On peut ainsi connaitre l’artiste russe qui a été un enfant battu par son père communiste en Russie (il en garde une cicatrice à la lèvre), oublié par sa mère puis un danseur entré en dissidence en 1961 en passant à l’Ouest et en étant bisexuel avec des « amours tout azimut ». Au moment de cette analyse en 1987, il est miné par le sida et souffre de dépression.
Superbe roman qui nous fait découvrir un « Noureev plus fascinant qu’on ne l’imaginait ».