lundi 28 juin 2021

Delphine de Vigan :Les enfants sont rois (N°1 - Juin 2021)

Les enfants sont rois

 Delphine de Vigan : Les enfants sont rois - 2021,   Gallimard- roman

 Delphine de Vigan aime étudier des univers sociaux différents et les insérer dans des romans à l’allure de thrillers psychologiques avec des personnages que tout oppose comme dans « D’après une histoire vraie » (prix Renaudot et prix Goncourt des lycéens en 2015), « No et moi », « Jours sans faim ». Nous allons découvrir ici « une réalité terrifiante qui grignote à bas bruit notre société » (La Procure). Elle met en scène deux personnages féminins totalement opposés : une mère de famille de classe moyenne et une jeune flic de la Brigade Criminelle de Paris.

La première partie nous présente cette mère de famille, Mélanie qui s’ennuie chez elle avec deux enfants en bas âge. Elle a l’idée de faire de son fils Sammy et de sa fille Kimmy des héros d’une chaîne You Tube, Happy Récré. Il faut dire que Mélanie a un passé compliqué avec des relations difficiles avec sa mère et sa sœur et elle a rêvé d’être elle-même célèbre en étant sélectionnée pour une émission obscure « Rendez-vous dans le noir » : ce fut râté. Sans doute transpose-t-elle ses ambitions sur ses enfants. Elle poste donc des vidéos sur You Tube « ce monde généreux, providentiel et accessible à tous » dit-elle. En évoluant sur les réseaux sociaux elle veut « se montrer dehors, dedans, sur toutes les coutures »… Elle a besoin de reconnaissance et « déploie beaucoup d’énergie pour être une mère parfaite » dit l’auteure dans une interview à Fémina. En peu de temps des milliers de followers suivent les films de ces enfants « influenceurs » devenus des superstars des écrans. Evidemment des marques connues en profitent pour faire leur publicité en leur offrant leurs produits que  « les enfants ouvrent  par dizaine, jouent et font des dégustations devant la caméra » (Match) quasiment toute la journée en se changeant de vêtements très souvent, en étant maquillés, en apprenant des textes par cœur…car le succès croissant apporte à la famille une grande notoriété et des finances importantes au point que le papa, ingénieur informaticien, cesse de travailler pour gérer leurs biens et les sommes phénoménales qu’ils encaissent. Sidérant, hallucinant pour les lecteurs peu au courant de ces pratiques.

Mais la réalité rattrape cette famille car un événement majeur stoppe ces activités incroyables. La police doit faire une enquête et rentre en scène, Clara, une femme flic qui va enquêter sur cet événement. Clara est une fille d’enseignant, petite, agile, sportive, discrète et solitaire, très attachante pour les lecteurs. Elle est procédurière à la Brigade criminelle de Paris. Il faut faire vite. Son travail est de consigner tous les indices, les analyses scientifiques, les comptes-rendus d’audition.

La fin de ce roman nous amène 10 ans plus tard où l’on peut imaginer l’ampleur des dégâts engendrés par les réseaux sociaux…

L’auteure dit dans Match : « C’est prévisible que d’ici quelques années les jeunes youtubeurs auront des séquelles et même des revendications. Aux USA, un jeune homme a porté plainte contre ses parents. Passer son enfance à tourner des vidéos ultra-consuméristes, d’éloge de la malbouffe, de mon point de vue, ça laisse des traces. On est le seul pays qui a légiféré sur ce sujet. Mais est-ce que la loi peut arrêter l’époque ? »

Grande question évidemment. A voir l’évolution et à ouvrir l’œil sur des dérives que l’on peut constater…

 

 

Karine Tuil : Les choses humaines (N°2 - Juin 2021)

Les choses humaines

 Karine Tuil : Les choses humaines - Gallimard, 2019 et livre de poche, 2021  - roman

Karine Tuil écrit ici son onzième roman pour lequel elle a obtenu le prix Goncourt des Lycéens et le prix Interallié en 2019. Cette auteure est juriste de formation, ce que l’on constate aisément. Elle a surement fait beaucoup de recherches pour arriver au plus près de la vérité. Elle raconte dans une interview dans Match avoir été inspirée par une affaire qui eut lieu en 2016 à Stanford en Californie : le procès opposait une jeune homme blanc de bonne famille à une jeune fille venue dans le campus le temps d’une soirée durant laquelle elle avait été sexuellement agressée.

Elle reprend donc ce fait en y mêlant des personnages de milieux et cultures différents ce qui lui permet d’aborder énormément de thèmes : un  journaliste, Jean Farel, incontournable  sur les chaines de télévision de grande écoute donc très célèbre mais vieillissant (on peut penser à plusieurs journalistes  bien connus…)  mais aussi incontournable dans les cercles du pouvoir, tous bords confondus. « A son âge malgré les audiences correctes, il entrait dans la zone de turbulences et s’accrochait désespérément à un siège convoité et éjectable » écrit-elle.  Sa femme, Claire, beaucoup plus jeune que lui, essayiste et féministe engagée, le quitte pour Adam, un enseignant dans une école juive, désabusé par sa femme devenue trop religieuse mais qui, ayant quitté le domicile conjugal, est exclu de sa communauté juive et perd son travail. Mais l’on sait aussi que Jean Farel mène une double vie, ayant une liaison avec une Françoise, fidèle depuis très longtemps.

Il se trouve que le fils de Jean Farel, Alexandre, champion de natation, brillant élève à Stanford, surdoué, « rejeton exemplaire de cette classe sociale », emmène Mila, la fille d’Adam  dans une soirée d’étudiants branchés… et le lendemain Mila porte plainte contre Adam pour viol…Ce scandale sexuel engendre un effondrement de tous et chacun réagit différemment. « Dans cette affaire, c’est parole contre parole : Mila est bouleversée, Alexandre est dans le déni » (LIRE). L’auteur nous décrit avec précision le procès dans lequel « est mis en cause le consentement sexuel ». Au moment de l’écriture de ce livre à l’automnne 2019, ce récit a une résonnance dans l’actualité puisqu’on est en plein mouvement #metoo et l’affaire Epstein. L’auteur décrit "la mécanique éprouvante du tribunal qui démêle les zones d’ombres de ceux qui sont convoqués à la barre et disséque en public leurs ambiguités » (La Croix).

L’auteur dit : « je devais rester factuelle, sobre, sans lyrisme ni effets avec le souci d’être juste ». Elle a réussi son pari  et aborde tellement de sujets de société : le scandale sexuel, le viol et le consentement, la notoriété avec les émissions de télévision en prime-time, le féminisme et ses mouvements, la maladie  (cancer du sein et Alzheimer), les attentats de 2012, les relations avec les communautés juives…

Excellent roman : « ce véritable page-turner, remarquablement construit, est un des livres les plus percutants de l’année » avait écrit ELLE en 2019.

 

 

Jean-Christophe Rufin : La princesse au petit moi ( N°3 - juin 2021)

La Princesse au petit moi

 Jean-Christophe Rufin : La princesse au petit moi - Flammarion, 2021 - roman 

 

Ceux qui lisent ce blog depuis quelques temps savent que j'admire énormément Jean-Christophe Rufin et ai déjà commenté tous ses livres ! J'admire l'écrivain mais aussi l'Homme et son parcours : ambassadeur, académicien, président d'Action contre la faim, ancien interne en neurologie, pionnier de l'aventure de Médecins sans frontières...Ses livres me passionnent, aussi bien « Un léopard sur le garrot », un récit autobiographique que « Le grand Cœur » en passant par « Rouge Brésil et « Katiba ». Il reste un homme libre qui « continue de promener son regard sur notre époque » et se dit être de la « famille des romanciers peintres », ce qui le qualifie bien.

Depuis quelques temps, il se lance dans un nouveau gente littéraire : les romans policiers-enquêtes qui mettent en scène le même héros, Aurel Timescu, ancien réfugié politique roumain du temps de Ceausescu, devenu Consul, « le petit consul », calamiteux diplomate mais redoutable enquêteur... L’auteur nous fait un portrait « tragi-comique » de ce drôle de bonhomme sensible et attachant, à l’allure incroyable et originale. Le premier volet se passait en Guinée (Le suspendu de Conakry, paru en 2018). Le deuxième au Mozambique à Maputo (Les Trois Femmes du Consul, paru en 2019). Le troisième en Azerbaïdjan (Le Flambeur de la Caspienne, paru en 2020).

Celui-ci se passe dans un petit pays fictif mais européen cette fois puisqu’il se situe entre l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche, la Principauté de Starkenbach. C’est une petite monarchie, dirigée par une énigmatique princesse (l’auteur ne s’est-il pas inspiré de la princesse de Monaco ???) et cette princesse régnante a disparu depuis plusieurs jours. Notre consul-enquêteur est demandé en renfort pour la retrouver. Il est aidé dans sa démarche par la belle conseillère de la princesse, Shayna, personnage très original, grande et costaude, parlant avec un fort accent étranger ce  qui charme notre consul…qui aime comme elle le tokay, le piano et les intrigues bizarres.

Toujours ce style fluide et imagé, cette langue « malicieuse », habile et pleine de charme : très bon moment de lecture et de détente.