lundi 7 octobre 2019

Amélie Nothomb : Soif (N°1 sept 2019)

Amélie Nothomb : Soif - 2019, Albin Michel - roman français

« Pour éprouver la soif, il faut être vivant » donc Amélie Nothomb nous écrit un livre sur Jésus, « le plus incarné des humains ». Elle fait une prouesse en nous racontant les états d’âmes du Christ (à la première personne) lors de son procès et de sa « passion ». Elle est subjuguée depuis toujours (dit-elle) par la vie de Jésus condamné, assoiffé, crucifié. Elle «se glisse dans sa peau » donc.
D’abord lors de procès de Jésus, les miraculés ingrats témoignent et accusent Jésus « ce faux calme » (???) des maux qu’ils ont dû subir après les miracles et celui-ci pense « Ce n’était absolument pas nécessaire. Tous savaient que je serais condamné à mort »… Puis Jésus a peur des souffrances : il éprouvera la soif, il aimera voir Marie-Madeleine (qu’il appelle Madeleine car il a horreur des prénoms doubles !!!), il subira la couronne d’épines, les flagellations, le port de la croix et les chutes en montant le Golgotha, les clous qui pénètrent la chair, la soif, la mort. Cependant  il vit tout cela « avec intensité, sa condition corporelle jouissant de chaque moment, même les plus anodins » (La Croix).
Extraordinaire jusqu’à la fin, ce récit est osé, écrit avec talent selon l’habitude de l’auteure. C’est comme une méditation « sur ce que signifie avoir un corps ».
A lire absolument.



Soif

Jeanne Benameur : Ceux qui partent (N°2 sept 19)


 


Jeanne Benameur : Ceux qui partent - Actes Sud, 2019 - roman français

Ce livre raconte les destins croisés de personnages arrivés aux Etats-Unis en 1910 dans le fameux batiment d’Ellis Island, entrée principale des immigrants (superbement décrit). C’est le début du XXème siècle avec ses rêves et sa conquête du bonheur et de la liberté.
Nous découvrons ces migrants à travers l’objectif d’un jeune photographe qui va aider le premier couple qu’il aperçoit ce jour-là : un père, Donato Scarpa, accompagné de sa fille, Emilia, venant de quitter leur Italie natale après la mort de Grazia, sa femme. Lui, il était comédien au théâtre et déclamait et déclame encore  avec sa « belle voix grave » des versets de l’Enéide, « sa boussole » qu’il tient toujours à la main ; elle, c’est  une jeune femme superbe qui attire le regard. A « l’excitation de l’arrivée », va suivre « l’humiliation du tri » et l’attente dans la foule et le bruit : c’est un choc. Emilia se lie d’amitié avec une femme assise sur sa valise à côté d’elle, Esther Agakian, une amérindienne, qui a quitté son pays après les massacres et pogroms dans sa terre lointaine d’Arménie. Elle y était couturière et un génie du vêtement. Chez elle, « Tutti morti » : tous les gens sont morts… Puis tous entendent de la musique : c’est Gabor un bohémien musicien avec un « regard attentif et doux ». La belle Emilia viendra danser au son de son violon : moment inattendu pour tous…mais dans le clan de Gabor, il y a son amoureuse qui, tout de suite, sent une rivale et qui sera inquiète puis désespérée puis malade. Le dernier chapitre explique le dénouement de la vie de chacun.
Tous ces personnages sont magnifiquement observés : leurs regards, leurs gestes, leurs peaux, leurs langages : « On se laisse conquérir sans peine par les échappées poétiques qui surgissent le temps d’un cliché, d’une danse ou d’une étreinte » (le Nouveau Magazine littéraire).
Jeanne Benameur m’avait déjà enchantée avec « Otages intimes ». Ici ce « roman charnel », actuel par son sujet sur l’immigration, magnifique dans son écriture poétique m’a charmée.