dimanche 27 octobre 2013

Marie Darrieussecq : Il faut beaucoup aimer les hommes

Marie Darrieussecq : Il fait beaucoup aimer les Hommes - 2013,P.O.L.- Roman


Solange que nous avions suivie dans « Clèves », roman de cet auteur dans lequel jeune fille, elle était en train de devenir femme, vit désormais, 20 ans plus tard, à Los Angeles où elle est comédienne. Un soir, elle rencontre chez Georges (Clooney probablement) Kouhouesso, un acteur noir séduisant aux longues dreadlocks à l’allure mélancolique et altière, camerounais d’origine, canadien d’adoption. Il veut réaliser son premier film en adaptant le roman « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad en le tournant en Afrique.

Coup de foudre pour Solange : « c’est l’histoire d’une femme qui a un homme dans la peau ». Solange est aveuglée par son amour. Lui, lui donne son corps mais pas son esprit qui est entièrement focalisé sur la réalisation de son film.

La première partie du livre se passe à Los Angeles ce qui permet à l’auteur de nous décrire avec humour la vie des producteurs en vue, des acteurs célèbres, des starlettes, des scénaristes à Hollywood.

Puis l’histoire se poursuit à Paris et en Afrique puisque notre héroïne jouera dans le film. Les quelques chapitres sur le Congo sont formidables de réalisme et reste la partie du livre que j’ai préférée : la vie de Solange dans la brousse dans une gargotte (bêtes, saleté, faim, maladies…), les conditions de tournage du film, les exigences des tribus faisant les figurants : tout est extrêmement bien vu.

L’auteur aborde deux thèmes principaux dans ce livre : l’histoire d’amour entre un noir et une blanche est-elle choquante ? Le racisme dans le couple existe-t-il ? Leur différence d’origine excuse-t-elle tout ? : « Il est impétueux, amer et savant, énigmatique, distant, souvent absent ». L’attente est le deuxième sujet très bien abordée dans ce roman. Notre héroïne attend : un coup de fil, un texto, une venue sans jamais protester de peur de le perdre jusqu’à se demander s’il a le même rapport qu’elle avec le temps….

Très beau roman abordant beaucoup de sujets sur l’amour et la passion, sur l’attente, sur la différence de vie et de comportement entre des gens de races différentes.

 

Gilles Leroy : Nina Simone

Gilles Leroy : Nina Simone - Mercure de France, 2013 - roman


Gilles Leroy nous écrit une biographie romancée - « une histoire totalement vraie et totalement romancée »- sur la grande chanteuse noire Nina Simone.
Comment cette petite fille noire née dans une famille pauvre de Caroline du Nord est-elle devenue l’immense Nina Simone « la diva à la voix unique et au toucher de piano inoubliable » ?
En fin de vie, son dernier refuge est dans le Sud de la France : « une villa- taudis pour une reine africaine… ». Un homme à tout faire philippin va devenir son confident et elle va lui raconter sa vie par séquences entre de violentes colères et des dépressions alcoolisées (on saura en fin de livre qu’elle lutte depuis longtemps d’un cancer de l’œsophage qu’elle ne veut pas soigner). Elle est devenue une femme acariâtre, autoritaire, sirotant son Bailey’s (faisant même remplir sa théière de bourbon glacé pour boire pendant les interviews !!!) mais une femme très attachante, très sensible et sûrement trop naïve. Elle est entourée de profiteurs, agents et financiers qui la plument jusqu’au dernier moment.
Elle vécut une enfance sacrifiée : premier concert à 11 ans à Tryon, sa ville natale sous le nom d’Eunice Kathleen Waymon. Puis elle eut une adolescence humiliée puisque recalée à l’examen de pianiste classique à l’Institut Curtis de Philadelphie, probablement à cause de sa couleur de peau (seule noire sur 800 élèves). De cette humiliation elle sortira aigrie, combative pour la cause noire pour  laquelle elle s’engage pendant 15 ans. Elle voulait être une pianiste classique mais elle deviendra une immense et voluptueuse chanteuse qui invente la «musique noire classique ». Elle s’appellera Nina en souvenir d’un flirt latino et Simone en hommage à Simone Signoret. Elle recherchera la reconnaissance des plus grands. Elle y parviendra puisque Mitterrand lui demandera de faire un concert dans un château de la Loire devant des chefs d’états, puisque Nelson Mandela l’invitera pour fêter ses 80 ans, puisque le Maire de Bethleem lui demandera de chanter une messe de Noël. Quelle ascension …mais son caractère entier, colérique écarte ses proches et elle meurt dans une solitude complète…
 Grâce à Gilles Leroy et son style brut et même brutal, nous sommes plongés dans l’intimité de Nina Simone : « sa voix puissante chante dans le roman » et ce roman est passionnant, émouvant, nostalgique et vivant.

Bruno Vouters : Jean et Marie


Bruno Vouters : Jean et Marie - ateliergaleriéditions, Lignes de vie, 2013- récit


Superbe livre que ce livre « Lignes de vie » sur Jean et Marie Roulland, tous deux sculpteurs, installés dans une maison cossue du début du siècle dernier dans le Nord. Si l’on rencontre ce couple, on  découvre un artiste certes handicapé mais avec un regard vif, pétillant, interrogatif et nostalgique que la magie d’une ardoise d’enfant permet de transposer en mots et une jeune femme (Marie-Christine Remmery) « un œil noir grand ouvert sur le monde, un large sourire, une parole lapidaire…. »

Ce récit nous permet de mieux comprendre les sculptures déchirées et déchirantes de cet artiste à la vie tourmentée et de réaliser  l’immense amour qui lie Jean et Marie.

« Morbide », « cruel », « désespéré » sont des mots qui reviennent dans les commentaires sur les sculptures de Jean Roulland. Lui se défend en nous expliquant : « Mon message est humaniste ». Pour Marie, « les oeuvres de Roulland ne partent jamais d’une anecdote, elles disent quelque chose d’universel, d’humain. On peut y voir la souffrance peut-être, mais la souffrance fait partie de la vie. Celui qui ne souffre pas n’est pas vivant. Mais je ne sais pas si c’est vraiment de la souffrance. Pour moi, c’est de la révolte. Jean est un révolté ».

Bruno Vouters a choisi d’écrire une alternance de chapitres : un chapitre sur la vie de Jean et Marie depuis leur rencontre jusque maintenant avec des flash-backs sur la vie de l’artiste et un chapitre écrit par Marie (à la première personne) sur la maladie de Jean depuis 2007.

 Marie vient dans les années 1980 faire un stage chez Jean à Vieille-Eglise dans le Nord et leur rencontre sera décisive puisque un grand amour va les lier.  Marie remet Jean dans le droit chemin. Elle l’aide à se confier et il raconte sa vie « amochée » : « son enfance compliquée, les faux amis, la fin d’un contrat avec une galerie parisienne, l’échec d’un séjour en Ardèche de 1963 à 1967, les difficultés familiales. » Après des études à l’école des Beaux-Arts de Roubaix, il se consacre à plein temps à la sculpture à partir de 1960. Fasciné par le bronze il en apprend seul la technique à la cire perdue et fond lui-même dans son atelier. Il est récompensé par de grands prix. « Ensemble ils recomposaient le patchwork de sa vie. » et cela le sauve de ses dépendances alcooliques mais elle comprend que l’artiste a besoin d’air, de liberté. Il devient  un grand sculpteur, fait une exposition rue Mazarine à Paris fin 1990 et une importante rétrospective de son œuvre lui est consacrée à l’Hospice Comtesse à Lille en 1991.

Les chapitres écrits par Marie sur la maladie de Jean sont magnifiques et d’un naturel et réalisme à couper le souffle. Le 13 septembre 2007, il sort de l’Hôpital de Calais où il était rentré pour un malaise dit sans gravité mais aussitôt fait un AVC. Marie luttera avec lui chaque jour : elle raconte son désarroi devant la paralysie totale  de « son Jeannot »,  devant l’attente avec un grand A, devant les termes médicaux incompréhensibles….On ne peut être qu’admiratif devant son courage, son optimisme, sa disponibilité et son amour inconditionnel pour Jean : « Elle va le sauver son Jeannot, à n’importe quel prix, elle veut y arriver ». De Calais à Zuydcoote puis à Vieille-Eglise en passant par Berck, son « Mumuchon » progresse. « Jean a toujours été captivé par les autres. Et maintenant il est aux prises avec sa propre étrangeté : l’autre c’est lui-même » dit-elle.  Premières paroles, premiers gestes « Le cerveau ne peut pas tout réparer d’un coup »….Jean parle  de sa vie passée mais a du mal à être dans la réalité. En 2010, il reçoit un prix de l’Académie des Beaux-Arts pour l’ensemble de son œuvre (il a produit mille œuvres !!!). Il comprend que plusieurs expositions de son œuvre ont lieu  actuellement en 2013 dans plusieurs musées : Musée des Beaux-Arts de Calais, Hospice Comtesse de Lille, Eglise de Nouvelle-Eglise, Musée « La Piscine » de Roubaix.

Le livre se termine par un carnaval organisé dans leur maison et pendant lequel Jean réussit à lever un bras et bouger ses doigts…. Formidable récompense pour leurs efforts à tous les deux….Marie peut avoir le regard joyeux de fierté mais aussi de nostalgie…

Bruno Vouters est l’auteur de plusieurs livres et documentaires sur la création et l’histoire  de la région Nord- Pas de calais. Il est également rédacteur en chef-adjoint du quotidien La Voix du Nord.

 

Alice Zeniter : Sombre dimanche

Alice Zéniter : Sombre Dimanche - Albin Michel, 2013 - roman
L’auteur nous plonge dans le quotidien d’une famille hongroise habitant depuis plusieurs générations la même maison en bois, posée au bord des rails près d’une gare à Budapest. Nous sommes en Hongrie sur fond d’occupation russe (40 ans) puis de fin du communisme.
Cette famille n’est pas comme les autres : on la dirait maudite… Le grand-père, son fils Pal et sa femme Ildiko , leurs deux enfants, Agi et Imré vivent sous le même toit. Le récit progresse lentement en suivant le cours du temps et nous allons suivre la vie d’Imre, gamin timide dans les années 1980 puis adolescent mélancolique au moment de l’ouverture des frontières en 1989. « La Hongrie post-URSS s’américanise et le laisse perplexe ». L’auteur nous décrit l’atmosphère lourde, les histoires dramatiques, les sentiments tristes, les secrets  que supportent cette famille qui a un destin d’une noirceur totale. « Ils sont englués, écrasés par le poids de l’Histoire et de l’occupation ». Ils se recroquevillent sur leur passé douloureux. Les non-dits se dévoilent avec parcimonie pour être confessés par le grand-père dans les dernières pages.
Nous suivons avec les personnages la chute de mur de Berlin et les espoirs qu’elle soulève. L’Ouest fait rêver les héros du roman mais les quelques joies et émancipations sont sans issue : Agi vivra quelques temps avec un français, Imre fera connaissance d’une Allemande…. : « Même la découverte de l’amour et de la sexualité, même l’amitié sont teintées de lâcheté et de médiocrité » (La Croix). Ces deux jeunes gens sont figés malgré les événements ; ils ne sont pas armés et prêts pour choisir une autre vie.
Certes ce livre est « sombre » mais quelle écriture et quel talent possède l’auteur pour décrire les personnages, les situations, les sentiments. Chaque ligne est écrite simplement, avec peu de mots mais avec un style particulier émouvant. L’auteur nous décrit son pays tourmenté avec tendresse et réalisme.