jeudi 20 décembre 2012

Serge Joncour : L'Amour sans le faire

 COUP DE COEUR

 
Serge Joncour : l’Amour sans le faire – Flammarion, 2012 – roman.
Ce magnifique titre « L’Amour sans le faire » nous laisse à penser que nous allons lire un roman sur les nuances de l’amour. En effet ce roman nous raconte l’évolution des sentiments qui vont de la tendresse vers un sentiment fragile de bonheur et qui finit par l’Amour.

Deux personnages adultes apparaissent chacun leur tour par chapitre et finissent par se rejoindre : deux êtres abimés par la vie, fragiles et tous les deux à un tournant….
Franck, après avoir fui ses origines mais aussi ses parents (avec qui il est resté fâché), sa ferme natale, sa terre, ses rivières, revient dans son village dix ans après la mort par accident de chasse de son frère Alexandre. Il est caméraman à Paris (caméra qui aura de l’importance dans le roman), il a la quarantaine, il a une vie précaire, solitaire, vient de divorcer, sera bientôt sans domicile et a une santé fragile.

Louise, celle qui a aimé et aime encore cet Alexandre, revient aussi à  la ferme pour voir son fils Alexandre (assez troublant d’avoir choisi le même prénom !!) qu’elle a confié à ses beaux-parents. Elle est fragile, bientôt sans travail, sans amis, elle est harcelée par un amant de passage qu’elle n’aime pas et ne veut plus voir mais qui est le père de son enfant alors qu’il n’en connaît pas l’existence.

Ils se rencontrent donc dans la ferme familiale avec l’enfant, à la joie de vivre communicative, qui va servir de lien, de trait d’union. Ils découvrent leurs points communs et un sentiment de paix va les unir….

L’auteur réussit à nous faire ressentir les émotions intimes des personnages dans un style élégant sur un ton juste. On éprouve de la tendresse pour ses deux êtres fragiles dont l’auteur nous fait des portraits magnifiques. Un critique du Figaro dit : « On ressent tout, les fièvres et les odeurs, la chaleur et les sentiments ». En effet les non-dits, les silences, les attitudes nous font comprendre leurs états d’âme avec beaucoup de pudeur et de retenue. On se régalera aussi des descriptions de la campagne, de la vie à la ferme, du voyage en train, de l’abattage du sanglier, du caractère des parents, des portraits des voisins.

Roman magnifique grâce à la « plume à fleur de peau, hypersensible et profonde » de Serge Joncour.

 

Scholastique Mukasonga : Notre-Dame du Nil

Scholastique Mukasonga : Notre-Dame du Nil - Gallimard, Continents noirs, 2012 - roman. Prix Renaudot 2012.

Le roman se passe dans les années 1960-1970, juste après l’indépendance du Rwanda dans un pensionnat catholique. Cet établissement « perché sur la crête Congo-Nil, à 2500m d’altitude » est complètement isolé et les familles espèrent ainsi donner à leur fille une éducation parfaite et privilégiée de bonnes chrétiennes « près du ciel, loin des garçons ». Ce sont des filles de ministres, de militaires haut-gradés, de riches commerçants, surtout des Hutus. Un quota ethnique impose 10% de Tutsis ce qui ne semble  gêner ni les religieuses, ni le prêtre, ni les professeurs occidentaux.

Dans ce « huit-clos », naissent des amitiés, des désirs mais se déchainent des haines, des luttes politiques, des incitations aux meurtres raciaux, des persécutions… Une certaine fille hutue, Gloriosa, déteste les filles tutsies, particulièrement Veronica et Virginia avec leur petit nez fin tel celui de la statue de « Notre-Dame du Nil », leur sainte patronne. On pressent les drames du Rwanda entre les murs de ce lycée et on apprend beaucoup sur la Société rwandaise avec ce mélange de modernité et de croyances ancestrales avec pour toile de fond les prémices du génocide.

L’auteur est tutsie. Elle est hantée par le génocide de 1994 : alors qu’elle habite en France, elle apprend que 27 membres de sa famille ont été massacrés par les Hutus, dont sa mère… Elle a écrit précédemment des récits poignants sur le massacre des Tutsis. C’est ici son premier roman, d’une très belle écriture, directement en langue française. Elle est devenue « la mémoire de la famille » comme lui avait demandé sa mère. « J’écris pour que mon passé ne soit pas le futur de la jeune génération rwandaise » dit-elle.

Frédéric Beigbeder nous en dit ceci : « Dans les années 1970, les élèves tutsies étaient déjà maltraitées par les lycéennes hutues devant des bonnes sœurs belges impuissantes. La barbarie était en marche et, avec elle, l’indifférence qui mène à l’abattoir. »

Beau livre fort et rude dans un style magnifique : « Rarement une fiction aura, avec une telle puissance, permis de comprendre la monstruosité de la réalité » nous dit un critique.

Laurence Tardieu : La confusion des peines

 COUP DE GRIFFE

Laurence Tardieu : La Confusion des peines - Stock, 2011 - roman.

Laurence Tardieu veut dans ce roman (si tant est que ce soit un roman) rompre le silence que lui impose son père sur les événements de leur vie familiale. En effet il y a 10 ans, ils ont vécu un « tsunami familial » : son père, polytechnicien brillant est condamné pour corruption à 24 mois de prison dont 6 fermes, qu’il va exécuter en semi-liberté en 2000. Cette même année, sa mère meurt d’une tumeur au cerveau.

Mais le père et la fille n’arrivent pas à parler de cette période. L’auteur décrit surtout ses propres états d’âme et n’écoute qu’elle-même. Que vit son père ? Que pensent son frère et sa sœur ? Elle ne se pose pas ces questions. Un critique de Match nous dit : « l’auteur confond récit intime et tout à l’égo. » « Ce livre est un pathos larmoyant d’apitoiement nombriliste »..Un peu dur quand même cette critique !
Je pense que ce livre est simplement quelques pages bien écrites sur le silence et les non-dits de cette famille et sert à l’auteur d’exutoire et de libération…

Antoine Sénanque : Salut marie

Antoine Sénanque : Salut Marie - Grasset, 2012 - roman

Pierre, vétérinaire quinquagénaire, dépressif depuis le décès de sa femme, ne s’occupant que de chiens, a, par trois fois, une apparition de la Sainte Vierge. Cela l’entraîne dans des aventures incroyables jusqu’à un pélérinage à Lourdes où il se rend avec son entourage (amis hauts en couleur).

Ce conte plein de fantaisie est très comique mais a aussi un sens profond et émouvant. Beaucoup de sentiments s’entremêlent : insolence, espoir, gentillesse. Beaucoup de questions se posent : sur la mort, la solitude, l’amitié, la vieillesse, la famille.

Le Tout nous est dit avec un « humour décalé » et une « belle écriture émaillée de jeux de mots » (tel le titre).

Bon moment de plaisir que la lecture de ce petit roman humain et drôle.

Annie Degroote : les Racines du temps


Annie Degroote : les Racines du temps - Calmann-Levy, 2011 - roman

Annie Degroote a le talent de nous balader dans le Nord, sa région d’origine  et en même temps, dans ce roman, de nous faire connaître les secrets de la Flandre du XIVème siècle.
Nina, journaliste parisienne, fait des recherches sur la Comtesse Yolande de Flandre, une femme d’Etat exceptionnelle de la fin du XIVème siècle, vivant dans le Nord de la France : le roman se situe entre Esquelbecq, Cassel, la Motte au Bois et Ypres. En faisant cette enquête, notre héroïne va suivre les pas d’Insbette, jeune bâtarde née à Cassel et découvrir les conjonctions astrales qui les unissent : même sensibilité, même désir de connaître la vérité sur sa naissance….

On découvre donc Insbette vivant au Moyen Age, curieuse et combative, amie d’un maître verrier, puis dame de compagnie de Yolande de Flandre et enfin élève d’un vieux juif érudit astrologue. On découvre aussi Nina au XXème siècle, qui a besoin de faire une pause dans sa vie de couple, qui rencontre Florian, maître verrier…et se lie d’amitié avec le couple chez qui elle loue sa chambre d’hôte à Esquelbecq.
Cette balade flamande est très intéressante aussi bien au point de vue historique (on sait qu’Annie Degroote se documente énormément) qu’au point de vue romanesque. L’auteur a beaucoup d’imagination pour décrire des personnages attachants, des aventures palpitantes et une réflexion sur la tolérance et les rapports entre les Hommes et les Femmes à différentes époques.

Annie Degroote conclut une interview en faisant un parallèle entre la fin du XIVème et aujourd’hui : « C’est une société qui va mal, qui vit une crise morale, religieuse et politique, ce qui provoque une montée de la violence et de la peur. En même temps, il y a une montée de la spiritualité et des autres Eglises. C’est vraiment une période charnière. »

Ce roman est très réussi, donne envie de visiter cette région et nous procure un bon moment de détente.

jeudi 22 novembre 2012

Patrick Deville : Peste et choléra

Patrick Deville : Peste et choléra - Seuil, 2012 - roman : prix du Roman FNAC et prix Fémina. 

 
 COUP de COEUR

  Au prime abord, ce livre ne m’intéressait pas car les scientifiques et les médecins sont un monde à part et pas tout à fait mon univers. Mais c’est le prix Roman Fnac et le prix Fémina donc il doit s’y passer quelque chose….Quel étonnement dès les premières pages. Le style d’abord : phrases courtes, quelquefois sans verbe, vocabulaire complexe mais quelle vivacité, quelle énergie. Ensuite le sujet : je me suis laissée embarquer dans la vie tumultueuse et originale d’Alexandre Yersin (1863-1943), ce jeune bactériologiste franco-suisse formé à Berlin puis à Paris par Pasteur lui-même. «  Un jeune homme calme et déterminé au regard clair et bleu, à la barbe noire bien taillée » nous écrit l’auteur.
 Yersin découvre le bacille de la peste « Versinia pestis ». Pasteur dira cette belle phrase : «  Dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Yersin a cet esprit intelligent exceptionnel mais il refuse de se laisser enfermer dans la « bande à Pasteur » et va vivre une vie de globe-trotteur.
 C’est « l’aventurier idéal », toujours actif, infatigable, énergique, un peu dispersé peut-être mais on est pris sous le charme de ce scientifique qui sera explorateur, ethnologue, colon, industriel, botaniste, astronome. Envoyé en Indochine par Pasteur, il y reste toute sa vie et ira de découvertes en découvertes, d’inventions en inventions : il trace des routes, plante des hévéas, cultive la quinquina, invente le Koka, fait venir de France la première voiture (une Serpollet 5-CV), le premier réfrigérateur, les premiers appareils d’astronomie…et bien d’autres choses encore.
Nous sommes plongés dans le monde des époques pendant lesquelles il vit avec des descriptions passionnantes : à Morges en Suisse où il est né et où vit sa mère et sa sœur, au Zur Sonne à Marburg, au Lutétia à Paris, au Royal à Phnom Penh, au Majestic à SaÏgon, au Lang Bian Palace à Dalat, puis dans son lieu de retraite à Nha Trang en Indochine.
Patrick Delville aime particulièrement se faire interviewer au « Lutetia », hôtel de prédilection de Yersin et raconte qu’il a réussi à décortiquer la vie de son héros en ayant accès aux lettres qu’il écrivait à sa mère puis à sa sœur (archivées et ressorties récemment à l’Institut Pasteur) et en se documentant sur cette fin de XIXème et début du XXème siècle d’une façon passionnante avec les lectures de presse d’époque et le dépouillement de documents.
Vous avez bien compris que ce livre m’a passionnée.
 

Metin Arditi : Prince d'orchestre

Metin Arditi : Prince d'orchestre - Actes Sud, 2012 - roman


Metin Arditi nous plonge dans un univers contemporain (dans les années 1997-1998) en compagnie d’un chef d’orchestre de fiction mondialement connu : Alexis Kandilis.

A cause d’une indélicatesse envers un musicien, la vie d’Alexis Kandilis va se transformer en cauchemar : « sa réputation est ébranlée » et cet homme élégant, brillant, séducteur va être complètement déstabilisé. Ne l’était-il pas déjà par ce morceau de piano des « Chants des enfants morts » qu’il vient d’interpréter et qui lui revient tout le temps en mémoire et par ces flashs du passé qui le troublent, surtout en revoyant un ami d’enfance…..

Cet homme  très complexe et imbuvable par certains côtés, adulé quelques jours avant par la profession, le public, les journalistes, tombe dans la solitude et l’angoisse avec lucidité, orgueil et ambition (il se croit toujours le meilleur). Quelques amis l’entourent avec patience et sollicitude et le lecteur prend espoir et imagine une métamorphose possible ???

C’est dans son écriture que ce livre est passionnant : des chapitres courts et concis facilitant la lecture ; un talent exceptionnel pour décrire la façon de diriger un orchestre symphonique (les regards, les gestes, les mouvements de la baguette, la concentration particulière, les positions des pieds : tout y est étudié et décrit) ; la description de l’ambiance du monde de la musique ;  la folie des jeux de Casino ; la complexité de la psychiatrie. Un critique de La Croix nous dit : « Une fluidité de narration exceptionnelle qui fait que l’on tourne les pages à en perdre haleine »

J’ai beaucoup aimé ce roman profond sur l’ambition, la peur, l’angoisse des « grands », seuls face à leur public, la difficulté d’être et de rester le meilleur et sur la fragilité humaine. Ce fut aussi pour moi la découverte du travail d'un chef d'orchestre.

 

Jean Echenoz : 14

Jean Echenoz : 14 - Les éditions de Minuit, 2012 - roman court


Dans ce roman, Echenoz met en scène cinq jeunes issus du même village mais de conditions sociales différentes même opposées. Ils partent au front en « 14 » embarqués au sein du 93ème Régiment d’Infanterie. L’auteur nous raconte donc la première année du combat de la Grande Guerre. Une jeune femme attend le retour de deux d’entre eux : deux frères : l’un qui est son fiancé, Charles, d’emblée assez antipathique, l’autre, Anthime, qui lui plait….Les deux lui écrivent mais un seul rentrera vivant.

Le lecteur est plongé dans l’horreur de la guerre : les tranchées, les gaz, les obus, les corps déchiquetés, la souffrance, la mort mais aussi dans les éléments concrets et inconnus : la « cervelière » ou le maniement de la baïonnette avec force détails… « Les Hommes n’ont plus aucun libre arbitre, dans un abominable étau. Les personnages sont « agis » plutôt qu’acteurs » a dit Echenoz à la Grande Librairie en voulant nous montrer l’absurdité de cette guerre.

C’est grâce au style que ce livre est beau, sobre et juste : phrases courtes, ciselées et précises, ton subtil et malicieux, discours indirect, commentaires toujours « remarquables de soudaineté, d’incongruité et d’irréfutabilité ».

Echenoz reste très aimé et garde SES lecteurs. Il parait si sympathique avec son sourire timide et son humilité. On se rappelle du Goncourt 1999 qu’il avait obtenu avec « Je m’en vais » (comment tout quitter pour une aventure palpitante au Pôle nord à la recherche d’un trésor ??). C’est pourquoi il faut lire ce court roman sur les horreurs de cette première année de guerre vue par les combattants ce qui est rare.

Audur Ava Olafsdottir : L'Embellie

Audur Ava Olafsdottir : L'Embellie - Ed Zulma, 2012 - roman de détente

Beaucoup de lecteurs avaient aimé le style de « Rosa Candida », livre qui avait égayé la rentrée littéraire 2010. L’islandaise Olafsdottir nous gâte encore avec l’Embellie.

C’est l’histoire d’une jeune femme de 33 ans, fantasque, originale, candide et un peu décalée (comme le héros de Rosa Candida) que l’on aime dès le début du roman.

 Elle part au mois de Novembre pour « ses grandes vacances d’été…. » faire le tour de l’Islande sur la N1 (route circulaire). Elle veut faire un break : son mari l’a quittée, elle quitte son amant, sa meilleure amie lui confie Tumi, petit garçon malentendant et très myope de 4 ans. Qu’importe : ils partent tous les deux sur cette route islandaise, sous une pluie battante quasi continuelle. Que d’aventures, de maladresses, de situations burlesques (précisons que notre héroïne n’a pas d’enfant), que de moments apaisants, tendres, réconfortants, fantaisistes et pleins de bonheurs simples.
Pour reprendre la critique du Journal ELLE : « un feel good book à l’énergie contagieuse ».

Barbara Constantine : Et puis, Paulette

Barbara Constantine : Et puis, Paulette - Calmann-Lévy, 2012 - roman de détente


Barbara Constantine prend plaisir à nous raconter ce « conte fantaisiste » sur la générosité, la solidarité et l’entraide et de ce fait nous transmet beaucoup de plaisir.

Ferdinand, agriculteur veuf à la retraite, qui est veuf et souffre de la solitude dans une grande ferme, propose à sa voisine de venir s’installer chez lui le temps de la réparation du toit de sa maison emporté par une tempête. Puis, de rencontre en rencontre, la ferme va accueillir deux femmes plus âgées, un ami devenu veuf, deux étudiants. Trois générations vont se côtoyer avec beaucoup de joies, d’émotions, de dévouements, de respects et de tendresses.

« Ce roman ne pouvait se passer qu’à la campagne » nous dit l’auteur lors d’une interview à la « Grande Librairie » (le jeudi soir sur la 5). Cela nous vaut de superbes descriptions de la vie à la ferme, du potager, des animaux (poules et âne) et des habitants de cette ferme.

J’ai beaucoup aimé ce roman qu’il faut lire pour se détendre et qui est aussi  l’occasion d’une réflexion sur la vieillesse, la solitude, la mort : « Comment prendre en main sa vieillesse ? ». Tout cela nous est dit dans un style fluide, vif, parfois drôle et plein d’humour et très attachant.

 

samedi 20 octobre 2012

Mathias Enard : Rue des voleurs

Mathias Enard : Rue des voleurs - 2012, Actes Sud - Roman

Prix Liste Goncourt/choix de l'Orient 2012

Mathias Enard a voulu réunir dans son roman ses deux mondes de prédilection : le monde arabe et l’Espagne. Il nous écrit donc l’errance de Lakhdar, jeune tangérois de 20 ans qui vit pendant le Printemps arabe, les révoltes des « Indignés » espagnols et notre Europe en crise.

Le roman est écrit à la première personne ce qui nous fait rentrer dans l’intimité du jeune marocain et dans son cheminement qui suit les événements plutôt noirs du monde de nos jours. Nous voyons à travers ses yeux le monde arabe actuel. Comment va-t-il s’en sortir et se battre au quotidien pour sa survie financière et physique ? Comment  réussira-t-il à acquérir la liberté et l’épanouissement dont il rêve.

L’auteur a une très belle écriture vive, moderne, poignante. Un critique du Figaro nous écrit : « Ce qui charme dans Rue des voleurs, c’est sa langue et sa verve, son sens du récit et ses références à la littérature et à la poésie. Enard est un fameux conteur » . En effet l’auteur cite des textes sacrés, la littérature classique arabe et le polar (dont il est dit qu’Enard est très fan !!)

Très beau roman contemporain qui nous fait connaître le monde musulman et les courants islamistes, grâce aux connaissances approfondies de l’auteur sur ces sujets.

N’oublions pas du même auteur le Goncourt des Lycéens 2010 : « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants »

 

Jean-Michel Guenassia : La Vie rêvée d'Ernesto G.


Jean-Michel Guenassia : La Vie rêvée d'Ernesto G. - 2012, Albin Michel - Roman

Prix du Roman Chapitre

De la même veine que le récit romanesque du « Club des incorrigibles optimistes », l’auteur nous raconte en détail la vie épique de Joseph Kaplan.

Le héros de ce livre est un médecin juif tchécoslovaque. Il avait 10 ans à la fin de la Première Guerre Mondiale. Sa mère, qui lui a donné le goût de la musique et le talent de la danse, meurt d’une pneumonie, le père médecin étant absent… Joseph devient ensuite étudiant et chercheur en médecine : il est beau, élégant, charmeur, insouciant, amateur de jolies femmes, de tango et des chansons de l’argentin Carlos Gardel. Il débarque à Paris en 1936 et travaille à l’hôpital Bichat dans le service des maladies infectieuses. Il mène une vie de « patachon » avec une « bande de fêtards, potards et carabins mêlés à des fils de famille reniés pour leur débauche ». Le Front populaire, la guerre d’Espagne, la montée du nazisme, le communisme ne le concernent pas pour le moment.

Il séjourne ensuite 7 ans à Alger, y travaille à l’institut Pasteur, fait des rencontres passionnantes dans « cette ville sublime » mais il va être pris dans la tourmente de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale et, en tant que juif, devra se cacher….Après la guerre, il rentre à Prague en passant par la France.

L’auteur nous fait vivre cette vie en « cinq cents pages tenues, poignantes et vibrantes ». Chaque rencontre nous vaut une description colorée de la personne dans une « prose fluide et musicale », notamment un ancien banquier répondant au nom de Ramon Benitez ou d’Ernesto Guevara («  Un Che en piteux état après sa déroute africaine »).

Réellement un an de la vie du Che reste inconnu et il se pourrait qu’il soit vraiment allé dans un sanatorium au fin fond de la campagne tchèque, comme nous le dit l’auteur de cette fiction….

Le romancier parle de la condition humaine, de la liberté et de l’espoir ainsi que des ruptures, des fuites et des départs qui jalonnent l’existence de son héros pendant l’histoire mouvementée et tumultueuse du XXème siècle.

S’ajoutent à l’histoire de cette vie romanesque, des descriptions magnifiques de la Prague en début et en fin de siècle, le Paris d’entre-deux-guerres, et la splendide Alger la blanche.

On peut se demander pourquoi l’auteur a choisi ce titre car le roman ne se résume absolument pas à la vie d’Ernesto G.

Françoise Chandernagor : Les dames de Rome

Françoise Chandernagor : Les dames de Rome - 2012, Albin Michel - Roman

Après le premier tome « Les enfants d’Alexandrie », le deuxième tome de cette trilogie est consacré à la vie de Séléné, la fille des amours tragiques de Cléopâtre et d’Antoine. Après la défaite de son père, elle est contrainte de quitter l’Egypte et arrive, avec ses deux frères, à Rome. Ils font partie « du butin du vainqueur » et doivent figurer au défilé qui est organisé pour le triomphe d’Octave, le nouveau César, bientôt fait Auguste. Cette « frêle jeune fille » doit faire face à l’humiliation mais aussi au chagrin immense de voir mourir ses deux frères et de ne pouvoir jamais prononcer le nom de sa mère…

Séléné est confiée aux soins bienveillants d’Octavie, la sœur bien-aimée d’Auguste, « mère de substitution d’innombrables enfants ».

L’auteur nous fait découvrir cette époque fascinante à Rome grâce à une multitude de détails. Toujours aussi bien documentée, elle nous décrit la ville, les rues, les jeux du cirque, les conflits familiaux, les manipulations et les tragédies de cet empire. Elle ira jusqu’à contester les différents traductions des textes latins et veut montrer la réalité du monde romain cruel et rude. Elle dresse même un portrait surprenant de l’empereur Auguste !!

On se passionne et on s’attache à la vie de Séléné qui devient reine à la fin de ce tome, ce qui nous annonce une autre histoire pour le troisième tome…

Dominique Bona : Deux soeurs

Dominique Bona : Deux soeurs : Yvonne et Christine Rouart, les muses de l'impressionnisme - 2012 - Grasset - Biographie

Prix des Femmes de Lettres Simone Veil
Dominique Bona aime les artistes et nous régale régulièrement avec des biographies passionnantes : elle avait remportée en 2007 le prix ELLE avec « Camille et Paul. La passion Claudel » et nous avait enchantés avec les vies de Clara Malraux, de Berthe Morisot, de Stefan Zweig. Elle nous intéresse aussi vivement avec ses critiques littéraires.

Dans cette biographie, elle brosse le portrait de « Deux sœurs, Yvonne et Christine Rouart, les muses de l’impressionnisme » mais aussi l’histoire de leurs familles et de cette époque de fin du XIXème siècle.

La base du roman est la description du tableau de Renoir pour lequel les deux sœurs ont posé devant un piano et avec pour toile de fond deux tableaux de Degas très connus : « Avant la course » et « Danseuses sous un arbre ». Nous sommes donc plongés dans le Paris des Impressionnistes et la vie artistique de l’époque : la peinture et la musique.

La peinture : rencontre avec Degas, Renoir et beaucoup de peintres, personnalités et collectionneurs de l’époque, particulièrement le père des deux sœurs, Henri Lerolle et leur beau-père, Henri Rouart (elles épouseront Louis et Eugène Rouart).

La musique : rencontre avec Debussy qui leur rend souvent visite et charme ses deux musiciennes émérites.

L’auteur confirme son talent en faisant revivre au quotidien des personnages passionnants peu connus, dans leur époque, leur cadre de vie, leur cercle de famille et d’amis.

Il faut noter qu'actuellement il y a une exposition "Henri Rouart, L'oeuvre peinte" au Musée Marmottan à Paris : une quarantaine de tableaux du peintre et collectionneur.

Très belle biographie à lire absolument.

lundi 17 septembre 2012

Toni Morrison : Home

Toni Morrison : Home - Christian Bougois Editeur, 2012 - roman étranger

Toni Morrison poursuit son oeuvre en écrivant ce roman court et concis sur le thème de l'appartenance et de l'intégration des Noirs dans l'histoire des Etats-Unis.

Frank Money, jeune soldat afro-américain rentre de la guerre de Corée, traumatisé, brisé, perturbé (il a vu mourir deux amis d'enfance) et il part chercher se petite soeur Cee qui, après avoir fui la misérable vie familiale à la campagne en épousant un escroc et en partant avec lui à la ville, a ensuite servi de cobaye à un médecin blanc expérimentateur et est tombée gravement malade. Pour la retrouver, Frank va traverser les Etats-Unis, ce déplacement étant quasiment mission impossible pour un noir à cette époque..

Tous deux rentrent at "home" à Lotus en Georgie et leur fraternité va les aider à surmonter leur misère et retrouver leurs racines.

On ressent l'atmosphère des années 50 dans cette amérique profondément raciste où l'on organise encore des combats de nègres comme des combats de coqs !!

Ecriture magnifique et poêtique. On admire la précision du langage de Toni Morrison. Par exemple dans cette petite phrase : "Quant aux parents, ils étaient tellement épuisés à l'heure où ils rentraient du travail que tout témoignage d'affection était comme un rasoir : coupant, mince et bref."

N'oublions pas que Toni Morrison a été pris Nobel de littérature en 1993 et vient d'être décorée de la "Presidential Medal of Freedom" par Barak Obama dont elle est l'écrivain préféré.

Olivier Adam : Les lisières

Olivier Adam : Les Lisières - Flammarion, sept 2012 - roman



Le héros de ce roman, Paul Steiner, est un écrivain à succès dont la vie privée est un échec. Il vient de se séparer de sa femme qu’il aime encore et ne voit ses enfants que le week-end et ils lui manquent terriblement. Il est très gros et il boit facilement. Une dépression le guette et l’envahit : « la Maladie » contre laquelle il a déjà dû lutter bien des fois (à 10 ans en tentant de se suicider, à l’adolescence en étant anorexique). Cet homme, doux rêveur, égoïste, n’acceptant pas les contraintes semble invivable. Sa femme lui dit : « Vivre avec toi, c’est vivre avec un fantôme ».

Sa mère étant hospitalisée, il repart dans sa banlieue d’enfance aider son père et y retrouve ses amis et ses amours oubliés mais peut-on reprendre l’histoire 20 ans après ??? Il doit alors regarder la vie en face et cet écrivain torturé va nous faire une description de son voyage intérieur et de  sa vision et son regard sur ses proches et les « déclassés ». Tout va être passé en revue : son père, ouvrier à la retraite, féru de vélo, bourru, taciturne, colérique, aigri, ne comprenant pas ce fils « artiste » ; sa mère ne pouvant exprimer son amour, cachant un secret et une terrible tristesse ; son frère, devenu BCBG dans une banlieue chic qui ne peut l’encaisser et vice-versa ; les amis d’enfance dont il découvre les difficultés à mener une vie décente, déçus de la vie, de leur métier qui lui font comprendre sa lâcheté  et même les collègues bobos de son milieu artiste qui critiquent son départ en province et  qu’il critique à tout va…Ce Paul se sent en total décalage mais n’est-il pas le double de l’auteur lui-même ????

Ce roman « social » ausculte à merveille les rapports de classe, thème déjà abordé dans les livres d’Olivier Adam et on peut le trouver à la fois « analyste économiste, sociologue et psychiatre » !! mais n’est-il pas un peu trop pessimiste et mélancolique…Certains parlent de « Littérature dépressive ». Et n'est-il pas trop sûr de lui et trop "poncif" comme il est dit dans le Figaro littéraire ? et le roman n'est-il pas trop long (il y a beaucoup de répétitions) ?

Quelques passages : « Ecrire sur les classes moyennes et populaires, la province, les zones périurbaines, les lieux communs, le combat ordinaire que menait le plus grand nombre était paradoxalement devenu une particularité, un sous- genre » . «Ils (les bobos) considéraient qu’au-delà du périphérique ne régnaient que chaos, barbarie, inculture crasse et médiocrité moyenne et pavillonnaire. La province rimait nécessairement avec enfermement, sclérose, conformisme, plouquitude, conservatisme bourgeois, pesanteur, travail, famille et patrie »

Russell banks : Lointain souvenir de la peau

Russell Banks : Lointain souvenir de la peau - Actes Sud, 2012 - roman étranger.

Russell Banks, auteur américain de 72 ans, a toujours écrit sur le « quart-monde de l’Amérique oubliée ». Lui-même marqué par des tragédies (père dépressif et alcoolique, un frère blessé au Vietnam, un frère disparu) sait parler de la souffrance : « J’ai tendance à ressentir plus de tendresse pour les gens opprimés que pour les puissants » dit-il.

 C’est ainsi qu’il nous raconte le vie d’un délinquant sexuel virtuel « le Kid », en liberté conditionnelle avec un bracelet électronique qui permet aux autorités de le localiser 24h sur 24, ne pouvant quitter le comté de Calusa en Floride et devant « habiter » à plus de 760 mètres d’un lieu fréquenté par des enfants. Seul endroit habitable : sous le viaduc où tous les parias se retrouvent. L’auteur nous fait « une formidable mise en scène des personnages, pris dans un environnement toujours plus sombre et angoissant, jusqu’à en devenir apocalyptique »

L’auteur nous fait un portrait magnifique de cet « exclu », accro de sexe virtuel, toujours vierge ( !) avec pour seul ami Iggy, un iguane. « Le Kid » est un blanc âgé de 20 ans, sans culture, fragile, mais obstiné, malin. L’auteur parvient à le rendre attachant grâce à ses réflexions sur la vie d’une naïveté surprenante et d’un bon sens étonnant.

Le « Professeur » enseignant en sociologie, s’intéresse à lui et à ceux qui habitent sous ce viaduc. Mais pourquoi ? Etude sociale ou veut-il se faire pardonner de mauvaises actions ??? Beaucoup d’échanges et de dialogues puissants entre ces deux personnages si différents mais qui gèrent tous les deux leurs addictions : le Kid sa vie sexuelle par internet et le professeur sa boulimie (il est énorme !!)

Sujet donc très original et déroutant qui met en « scène l’enfer de la déviance et le supplice de l’exclusion » dans un milieu social difficile à connaître et soulève les problèmes américains actuels : l’addiction à Internet (« Il se pourrait bien qu’Internet soit le serpent et que la pornographie soit le fruit défendu ») et les problèmes de nutrition.

 

Françoise Héritier : Le Sel de la vie

Françoise Héritier : Le Sel de la vie - Odile Jacob, 2012 - roman très court.

J'avais déjà parlé de l'anthropologue Françoise Héritier pour sa participation dans l'écriture du livre très intéressant "La plus belle histoire des femmes" écrit avec Mesdames Perrot, Agacinski et Bacharan. (fiche dans ce blog)

Ici, elle nous régale avec ce peti opuscule : "Sous une apparence un brin désinvolte"(nous dit F. Busnel) elle dresse la liste de ses envies, de  ces moments qui font "le sel de la vie" : images, émotions, souvenirs agréables qui sont la base de notre existence.

A vous aussi d'écrire cette liste....

Carole Martinez : Le coeur cousu

Carole Martinez : Le coeur cousu - Gallimard,fev 2007 - Gallimard poche, mars 2009 - roman.

Après avoir lu "Du domaine des murmures" paru  à la rentrée 2011 (fiche dans les documents anciens de ce blog), je voulais connaître de ce même auteur le roman :" Le coeur cousu".  C'est un très beau conte romanesque et poétique sur des personnages magnifiques, surtout des femmes.

Ce long voyage fantastique se lit comme une poésie, tant la prose est belle.

Soledad découvre sa vie grâce au récit de sa soeur aînée. Sixième enfant d'une fratrie, elle est née au Maroc mais le récit se passe aussi avant dans un village du Sud de l'Espagne. Sa mère avait des mains de fées et était une couturière exceptionnelle mais cela lui donnait une réputation de magicienne ou de sorcière. Elle fut "jouée et perdue par son mari" lors d'un combat de coq et elle quitte son village pour une errance avec 5  puis 6 enfants en Andalousie puis au Maroc. Voici quelques titres de chapitres : Le milieu du chemin ; dialogue dans la montagne ; l'ogre, la mort et la petite lumière ; la prière du dernier soir ; le long poème d'Anita ; la saison des amours ; la robe de bal ; les dessins de sable ; la voix du diable .....

Ce roman magnifique alterne entre des passages tragiques et des anecdotes drôles ou cruelles.

Jonathan Coe : La vie très privée de Mr Sim.

Jonathan Coe : La vie très privée de Mr Sim - Gallimard, janv. 2011 - Gallimard poche, mars 2012 - roman.

C'est un livre "dramatiquement drôle", ainsi le définit son éditeur. En effet on ne peut s'empêcher d'avoir le sourire aux lèvres tout au long de la lecture de ce roman empreint de l'ironie souvent tendre que l'on connait à Coe. (lire la maison du sommeil ou la pluie avant qu'elle tombe).

Un homme de 48 ans, Maxwell Sim, accepte de traverser la Grande Bretagne en Toyota hybride pour vendre des brosses à dents dernier cri...Les paysages lui rapellent son enfance triste, son adolescence, sa vie en echec mais tout cela est décrit avec un tel humour "tout britannique", une telle force satirique, une telle finesse psychologique que l'on se régale d'un bout à l'autre. Il est difficile de résister aux charmes de ce roman : "C'est un petit chef d'oeuvre d'intelligence et de malice".

jeudi 14 juin 2012

Delphine de Vigan : Rien ne s'oppose à la nuit

Delphine de Vigan : Rien ne s'oppose à la nuit - 2011, Ed Lattès - roman


PRIX du Meilleur ROMAN attribué par le jury des Lectrices du journal "ELLE" en mai 2012.

En la rentrée littéraire 2011, nous avons tous lu énormément de magazines où il y avait des critiques, souvent très élogieuses sur ce roman.  Nous avons écouté beaucoup d’interviews de l’auteur. Nous avons vu la prestation de l’écrivain à « la Grande Librairie » : nous avons cru connaître  le livre ; mais, NON. Il faut l’avoir lu pour comprendre comment Delphine de Vigan réussit un récit bouleversant, d’une grande honnêteté, au plus près de la vérité, inspiré de faits réels sur sa maman, Lucile, d’une beauté lumineuse, telle que nous la voyons en couverture du livre mais d’une âme effondrée de l’intérieur.

Delphine de Vigan nous livre donc son enquête et ses recherches à travers des témoignages, des photos, des écrits, pour essayer de comprendre sa mère et de restituer au plus juste le parcours de cette femme au destin tragique.

Les chapitres sont entrecoupés de réflexion de l’auteur sur ses états d’âmes. Elle a peur de découvrir des vérités, des non-dits, des souvenirs trop douloureux. Elle ne veut pas faire d’indiscrétion, ne pas exprimer la douleur de chacun. Ces passages sont bouleversants de sincérité et de courage et c’est grâce à ces apartés que le livre est si émouvant, pudique, vrai et original. L’auteur nous dit : « J’ai pris goût à une seconde voix qui me permet de faire part de mes doutes et de mes interrogations ».

Lucile, troisième enfant d’une famille nombreuse exubérante et anticonformiste de l’après-guerre, est une petite fille secrète puis une adolescente silencieuse et distante. Elle est très marquée par des événements familiaux dramatiques : trois de ses frères sont morts jeunes, le petit dernier est trisomique.

Puis l’auteur nous raconte sa  propre naissance et celle de sa sœur 4 ans après, sa vie avec sa mère instable,  incapable d’assumer son rôle de mère (mai 68 est passé par là) : vie de bohême, enfants laissées seules, aucune structure, drogues et boissons. Elle nous décrit la dérive et la descente aux enfers de Lucile, ses « bouffées délirantes », sa folie et comment les deux jeunes filles ont dû faire « avec ».

Puis il y eu une accalmie : « Il fallut apprendre à lui faire confiance, ne plus avoir peur de la rechute ». Lucile se remet au travail et aux études. On peut se demander pourquoi elle choisit le métier si difficile psychologiquement d’assistante sociale, particulièrement lorsqu’elle travaille pour les « Malades Usagers de Drogues » à l’Hôpital Lariboisière ?

Lucile fut une grand-mère anxieuse et ultra-protectrice pour ses petits- enfants au contraire d’avec ses filles livrées à elles-mêmes, si loin de son regard….

La maladie la rattrape : un cancer du poumon et de là une retombée dans la folie, le refus de se soigner et le suicide il y a deux ans : elle voulait mourir « vivante ».

Magnifique témoignage que l’on pourrait conclure par une phrase de l’auteur : « Ma mère était quelqu’un de mystérieux et aujourd’hui encore elle le reste ».
Fiche écrite en octobre 2011 au moment de la rentrée littéraire

Jussi Adler Olsen : Miséricorde

Jussi Adler Olsen : Miséricorde - Albin Michel, 2011 - roman policier traduit du danois.

 PRIX du meilleur POLICIER attibué par les lectrices de "ELLE"

Le titre de ce roman policier en danois est « La femme en cage »  et un prologue-choc nous fait comprendre tout de suite la raison de ce titre. En effet tout au long du livre, s’alternent des chapitres sur la vie de Merete enfermée dans un caisson pressurisé depuis 5 ans et sur l’enquête que mène un inspecteur sur la disparition de cette femme qui, en politique, incarnait l’avenir du Danemark dans le parti démocrate.

L’inspecteur est un danois, flic blasé et désabusé, mis sur la touche après un accident de son équipe et chargé de diriger la Section V, département des affaires non-élucidées, installé dans les sous-sols de la criminelle. On lui adjoint un homme à tout faire, un drôle de petit bonhomme, syrien, réfugié politique, malin, observateur et débrouillard. Ils deviennent complémentaires et vont élucider la disparition de notre Merete.
Ce duo d’enquêteurs est vraiment sympathique et attachant. L’ironie et l’humour sont sans cesse présents. Le rythme ne faiblit pas, l’angoisse est garantie et la lecture oppressante oblige à lire ce thriller d’une traite. On retrouve tout ce que les fans de polars scandinaves aiment. Ce policier a d’ailleurs eu le prix du meilleur polar scandinave. L’auteur connaît donc un grand succès avec  « Section V », série comptant déjà 4 tomes,  seul celui-ci ayant été traduit en français.

Helene Cooper : La Maison de Sugar Beach

Helene Cooper : La Maison de Sugar Beach - 2011, Ed. Zoe - Document  traduit de l'anglais.

PRIX du meilleur DOCUMENT attribué par le jury des lectrices du journal "ELLE"

Ce livre a un sous-titre « Réminiscences d’une enfance en Afrique » : cela convient bien à la première moitié de cette autobiographie qui raconte la vie de l’auteur, de sa naissance en 1966 jusqu’en 1980 au Libéria. L’auteur veut justifier son comportement « d’enfant gâtée ». En effet fille, petite-fille, arrière-petite-fille des fondateurs du pays, eux-mêmes ex-esclaves noirs d’Afrique venus aux Etats-Unis et ensuite affranchis et revenus « coloniser » leur ancienne terre africaine, elle a vécu au Libéria une enfance de "princesse", une adolescence privilégiée, riche, sans se poser de questions, avec une sœur de cœur, d’origine bassa, de condition modeste. Cette partie est écrite avec un style et un langage enfantin qui agacent un peu.
Ensuite, une trentaine de pages nous font le récit du coup d’état du 12 Avril 1980  avec ses atrocités (massacre de Samuel Doe, exécution de son oncle, viol de sa mère) dans une écriture journalistique. Cette période fera basculer la vie de la famille Cooper.

Puis notre auteur fuit aux Etats-Unis, laissant sa sœur de cœur au Libéria. C’est  un  récit un peu long de son adaptation à la vie américaine : vie à la maison, vie à l’université et début de vie de journaliste.
La dernière partie est plus poignante et émouvante car l’auteur retourne en 2003 au Libéria et retrouve sa sœur de cœur.

Très beau documentaire car l'auteur reste lucide et honnête sur "l'histoire dorée puis tragique de sa famille"

Helene Cooper est correspondante du New York Times à la Maison Blanche et est connue et redoutée de ses collègues pour sa belle écriture. L'un d'eux dit : "Elle est capable d'articles très différents, en y mettant une touche souvent personnelle"

Douglas Kennedy : Cet instant-là


Douglas Kennedy : Cet instant-là – 2011, Belfond – Roman étranger
Dans « Cet instant-là », Douglas Kennedy mêle l’histoire de Berlin à une passion amoureuse.

Un jeune journaliste-écrivain américain, Thomas Nesbitt, s’installe dans le Berlin des années 80 avant la chute du Mur, pour trouver une inspiration pour son prochain roman. « Libre et enfermé, mais du bon côté », il travaille pour Radio Liberty et sous-loue une partie d’un appartement à un peintre homosexuel, camé, dépressif, provocateur. Il croise à son travail Petra, une Est-Allemande passée à l’Ouest, « Petra, la sombre, Petra une fille abimée de vivre ». C’est le coup de foudre immédiat et la naissance d’une vraie passion amoureuse.
Ensemble, ils imaginent une vie commune dans un monde libre mais services secrets, agents doubles, trahisons sur toile de fond de la guerre froide font tout basculer en « un instant ». L’univers de cette guerre froide est extrêmement bien rendu : décors, sentiments,  « errances et fulgurances », problèmes psychologiques, pièges de l’espionnage ainsi que l’atmosphère trouble et oppressante qui règne des deux côtés du Mur de Berlin à cette époque.

Pour raconter cette « histoire », l’auteur utilise tous les procédés du bon scénariste : le colis qui arrive par la poste, vingt ans après les événements, contenant le journal intime de l’héroïne, la lettre posthume qui termine le roman, les retrouvailles avec le fils de Petra.
« Par son art du récit, précis et maitrisé, Douglas Kennedy excelle à nouer des intrigues puissantes, tendues, intimes » nous dit un critique de la Croix. C’est donc un roman captivant sur le destin et l’importance de « l’instant ». L’auteur nous dit : « Même s’il y a toujours la musique du hasard, la vie est composée d’instants essentiels où l’on fait des choix… Ces instants existent et vous rendent maître de votre destin ».

Evidemment les lecteurs qui sont allés à Berlin apprécieront d’autant plus l’atmosphère de cette aventure.


Grégoire Delacourt : la liste des envies


Grégoire Delacourt : La liste des envies – 2012, JC Lattès – roman
Dans ce roman court, l’auteur nous raconte la vie de Jocelyne Guerbette. Cette femme aime la vie simple qu’elle mène à Arras entre son mari, ses enfants (jeunes adultes), son métier de mercière, le blog qu’elle anime avec succès sur la couture et ce, malgré les épreuves (elle a perdu un enfant à la naissance).

Elle gagne 18 millions d’euros au loto et décide de ne le dire à personne, ayant peur de briser l’équilibre de sa petite vie qui la satisfait. En étant riche, elle risque de ne plus être la même et les autres n’auront plus le même regard sur elle. Se pose donc la question de « décider de sa vie ». Ce choix soulève une réflexion bien plus profonde qu’elle n’en a l’air.
L’éditrice nous dit : « Ce livre colle incroyablement à l’humeur de l’époque. Il parle de crise, de rêve, de vieillesse avec tendresse, sagesse, lucidité » d’où le succès et le phénomène commercial car ce roman vient de franchir la barre des 100.000 exemplaires !!

Cette histoire sensible est écrite dans un style simple et touchant avec beaucoup d’humour. L’auteur a dit dans une interview : « J’aime les chapitres courts. Pas de gras, pas de descriptions, pas de phrases qui se regardent écrire… »
On appréciera donc « cette histoire lumineuse qui nous invite à revisiter la liste de nos envies…. »


Jean-Christophe Rufin : Le Grand Coeur


Jean-Christophe Rufin : Le grand cœur –2012, Ed Gallimard –roman historique

Le grand coeurJean-Christophe Rufin, écrivain académicien, écrit les mémoires imaginaires de Jacques Cœur en nous livrant « une épopée moyenâgeuse pleine de panache ». Il lui a fallu beaucoup d’imagination pour écrire 500 pages bien serrées sur la vie de cette homme dont on ne sait pas tant de choses…Ecrit à la première personne, ce qui rend ce roman très intimiste, ce récit est conté par Jacques Cœur lui-même : c’est une sorte de bilan de sa vie. Il fut marchand, négociant, banquier, armateur mais aussi Grand Argentier du Roi Charles VII, membre de son conseil, diplomate, seigneur et enfin Amiral de 1400 environ à 1456.
L’écriture extraordinaire de l’auteur réussit à nous faire aimer notre héros et à le réhabiliter car il lui voue beaucoup d’admiration.

Les trois grandes passions de Jacques Cœur sont décrites merveilleusement et on se régale en lisant cette littérature romanesque.

-        Passion pour l’Orient : les descriptions et la découverte de Damas sont magnifiques et hautes en couleurs, Jacques  Cœur étant surpris de tant de raffinements.
-        Passion pour Florence où il découvre l’art et le luxe.
-        Passion pour Agnès Sorel, la Dame de Beauté, première favorite royale dans l’Histoire de France, décrite avec délicatesse, précision d’après un tableau de Jean Fouquet peint dans les années 1440, la montrant « d’une beauté saisissante ».

Ce livre est enthousiasmant grâce à son style : « Il a la puissance d’un roman picaresque, la précision d’une biographie et le charme mélancolique des confessions » nous dit l’éditeur et il nous fait découvrir le Moyen âge au seuil de la Renaissance, période peu traitée en littérature.
Un seul bémol : quelques passages au milieu du livre sont vraiment très longs et répétitifs et le récit s’essouffle un peu dans la deuxième partie….




Malla Nunn : Justice dans un paysage de rêve


Malla Nunn : Justice dans un paysage de rêve - 2011, Ed des 2 Terres- Policier étranger.

L’inspecteur Cooper venant de Johannesburg a pour mission de trouver le meurtrier de Willem Pretorius, le capitaine blanc de la police locale originaire d’une riche famille afrikaner. Cela se passe à Jacob’s Rest, petite ville de province qui semble paisible en 1952 dans un Afrique du Sud sous régime apartheid.
L’auteur connaît bien ce pays puisque originaire du Swaziland et elle nous fait une description très précise et soignée des paysages superbes, du village, des habitations, des cabanes et du « veldt », des habitants : des Afrikaners, des Anglais, des Noirs, des Métis…( « Toutes les couleurs de peau étaient exposées, du lait frais au sucre caramélisé ») ainsi que des mœurs sud-africaines.

Le fond historique est un des principaux atouts de ce roman policier qui se passe donc à l’époque de la promulgation des lois instaurant l’apartheid en Afrique du Sud et ce sont les lois pour la suprématie des Blancs qui régissent le pays. Les policiers de la « Security Branch » envoyés par le « National Party » s’emparent de l’enquête et imaginent forcément que le coupable est un indigène. Mais notre inspecteur Cooper va continuer son enquête aidée d’un agent mi-zoulou, mi-shangaan et soulever le voile sur cette communauté où règnent des clivages raciaux incroyables et sur la double vie de la victime en prenant le risque d’affronter la famille du défunt.

La tension monte ainsi que la violence surtout après un retournement de situation dans les 100 dernières pages qui « sont un véritable festival de rebondissements aussi inattendus qu’intelligents » et qui nous laissent en haleine, pris par l’émotion et le suspense jusqu’au dénouement.

Olle Lönnaeus : ce qu'il faut expier

Olle Lönnaeus : Ce qu'il faut expier - 2011, Ed Liana Levi - Policier traduit du suédois

Ce policier est une enquête sur la mort d’Hermann et Signe, les parents adoptifs de Konrad, héros de ce livre, journaliste à la dérive, revenu dans la petite ville de Scanie, province du Sud de la Suède, où il a passé son enfance et a vécu chez ce couple assassiné, de l’âge de 7 à 17 ans.

Cette quête de la vérité, que notre héros mène en parallèle avec l’enquête de la police, va l’amener à revivre de douloureux souvenirs et ses drames familiaux, à revoir d’anciennes connaissances, à chercher les raisons de la disparition de sa mère génétique polonaise, Agnès et l’on découvre petit à petit les raisons de sa fuite du pays.

Mais ce livre est surtout prétexte pour l’auteur de nous faire la chronique d’une petite ville d’une mentalité xénophobe et raciste pendant la guerre et encore actuellement. Des idées d’extrême-droite sont très influentes dans le Sud de la Suède. Notre héros, enfant, était traité de « sale bâtard de Polack » et un de ses amis subissait la haine des habitants car il était homosexuel.

Ce policier a une bonne intrigue pleine de rebondissements inattendus. C’est  aussi une peinture réaliste et un roman social sur les mentalités de Tomelilla (ville de Scanie, non loin des lieux des romans de Mankell et de son flic Wallander!!!

mardi 24 avril 2012

M.Gazier et B. Ciccolini : Virginia Woolf

Michèle Gazier et Bernard Ciccolini : Virginia Woolf - Ed Naïve, Collection Grands destins des femmes, 2011- BD brochée.

L'auteur et le dessinateur réussissent l'exploit de nous raconter la vie de Virginia Woolf (1882-1941) en quelques pages extraordinaires de vérité et de nous faire comprendre comment l'enfance de cet écrivain fut le socle et la matière de son travail d'écriture, enfance vécue entre chaleur, érudition, deuils, drames et comment devenue adulte, cette jeune femme fut à la fois fragile et forte. En avant-propos, ils écrivent qu'ils ont voulu donner "à lire et à voir le cheminement d'une femme écrivain entre réalité et désir, entre mots et maux en quête d'insaisissables vérités et d'un improbable bonheur. "
La couleur et la beauté des dessins rendent vraiment l'ambiance de la "vieille Angleterre" et la finesse des portraits nous font imaginer Virginia, son mari Léonard, son amie Vita et leurs familles.

Dans cette même série de petits albums de BD "Grands destins de Femmes", sont parus, pour mieux nous faire comprendre des figures féminines célèbres, les vies de Aung San Suu Kyi, Aliènor d'Aquitaine, Françoise Dolto....

A lire ou à feuilleter au plus vite !!!