dimanche 24 janvier 2016

Edouard Louis : Histoire de la violence (n°1 Janv 2016)

livre histoire de la violence 

Edouard Louis : Histoire de la violence - Ed. Seuil, 2016 - roman français


Edouard Louis nous avait surpris avec son premier roman, il y a deux ans : « En finir avec Eddy Bellegueule » qui était comme un récit autobiographique  « coup de poing » tant il exprimait la rage d’un gamin du Nord insulté, brutalisé, ridiculisé par son entourage en découvrant son homosexualité.

Cette fois, nous retrouvons son talent d’écrivain dans le récit d’un événement qui lui est arrivé une nuit de Noël, événement qui tourne au tragique. Rentrant d’un diner, il est abordé dans la rue à Paris par Reda, « un jeune kabyle au regard enjôleur ». Ils se draguent, montent dans l’appartement de l’auteur, couchent ensemble, discutent. Reda raconte sa vie, la vie de son père, l’arrivée en France de celui-ci, le foyer d’accueil et les maintes humiliations successives essuyées par cet étranger. Edouard parle peu. Soudain il se rend compte que Reda lui a volé son téléphone et la rencontre dégénère. Reda « pétant un plomb » devient d’une violence incroyable. Edouard sera battu, étranglé, violé brutalement. Reda finira par partir en lui demandant pardon…On peut se demander quelle est la raison de cette violence soudaine ? L’auteur lui-même n’explique pas ce dérapage.
Voilà les faits mais il y a la suite, les démarches médicales et judiciaires : va-t-il dénoncer Reda qui ira en prison ? (souvenir d’une visite d’Edouard à un cousin en prison dont il a gardé des images terribles). Va-t-il parler du vol ? (passage  sur les cambriolages qu’Edouard a commis étant jeune.)
L’auteur ne parle que de lui : c’est une étude du « moi » que nous lisons. Pas une note d’humour, pas de descriptions d’autres personnages. « Ce récit brut, douloureux à la construction maligne » dit un critique nous met mal à l’aise. Le récit est sur trois niveaux : - Le narrateur qui est l’auteur lui-même qui s’exprime dans un français littéraire. – La sœur de l’auteur Clara qui raconte à son mari les faits dans son étonnant français de banlieue en y ajoutant ses jugements pleins de bon sens. – Edouard écoute en se cachant le récit de sa sœur et en fait des commentaires, mis entre parenthèses et écrits en italique. Cela donne un texte compliqué sans chronologie mais ce sont les couches de pensées et les arrières pensées qu’Edouard superpose.
Beaucoup de sujets sont abordés : homophobie, racisme, crise sociale, souffrance. L’auteur a dit lui-même qu’il était honteux et stressé de raconter cette tragédie (à l’émission de LGL) : était-il utile de l’écrire ? Pour lui, sûrement, mais était-il nécessaire de publier ce texte dérangeant, gênant. On peut seulement admirer  la façon d’écrire  et conclure par cette critique de la revue LIRE « c’est un livre riche, profond et terriblement puissant ».
 

David Foenkinos : Charlotte (n°2 Janv 2016)

livre charlotte 

David Foenkinos : Charlotte avec les gouaches de Charlotte Salomon - Gallimard, 2015 -  et (sans les gouaches) Gallimard, 2014. roman français

Ce magnifique roman, largement biographique retraçant la vie de Charlotte Salomon, une artiste peintre allemande d'origine juive, née en 1917 et morte en 1943, m'avait passionnée en 2014 ainsi que de nombreux lecteurs qui ont demandé à l'auteur de montrer les œuvres peintes de Charlotte Salomon. Voici chose faite dans ce merveilleux livre avec l'édition intégrale du roman, illustré de cinquante gouaches de la peintre et d'une dizaine de photographies représentant Charlotte et ses proches : "une expérience inédite de lecture".

Je joins ci-dessous ma fiche écrite à l'époque de la sortie du livre. J'avais mis ce livre en meilleur roman de mon année 2014. Pas la seule d'ailleurs... puisque ce roman a obtenu le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens.



"Comme beaucoup de lecteurs, j’ai adoré les 13 livres fantaisistes, genre comédies douces-amères, de cet auteur portés par une écriture fluide, légère et pleine d’humour dont le roman, La Délicatesse, écrit en 2009 et adapté au cinéma en 2011.
Dans ce livre, nous allons retrouver sa belle écriture mais plus singulière : ce livre est « comme un chant en vers libres », un genre de poèmes en prose avec, donc, de courtes phrases terminées par un point : « J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer. Alors j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi » nous dit-il dans ce roman puisqu’il y mêle l’histoire, en notant  ses propres réflexions, recherches et investigations.
MAIS ici il a changé de sujet : il y a une dizaine d’années, David Foenkinos fait « une rencontre illuminante ». Il éprouve un genre de coup de foudre pour l’artiste-peintre méconnue Charlotte Salomon en voyant une exposition de ses œuvres. Il décide, après de nombreuses recherches au sujet de sa découverte de nous faire partager sa passion.
Cette femme juive est née en 1917 à Berlin dans une famille bourgeoise. Son enfance puis sa vie sont marquées par une succession de tragédies et de malédictions. On ressentira dans toute son œuvre le mal-être de la jeune femme suite à ces drames. Jeune fille, elle tombera amoureuse du professeur de chant de sa belle-mère. Il sera son mentor et son grand amour. Il l’aidera beaucoup lorsque, malgré sa judéité, elle rentre aux Beaux-Arts de Berlin en 1937. Elle reprendra alors confiance en elle grâce à sa passion pour cet homme et pour la peinture. Elle dit elle-même que la rencontre avec Alfred lui procure « l’esquisse d’une folie – une folie douce et docile, sage et polie, mais réelle ». Elle doit s’enfuir de l’Allemagne nazie en 1938 pour le Sud de la France où elle rejoint ses grands-parents, laissant parents et amour (elle n’aura plus jamais de nouvelles d’Alfred). Elle est incarcérée avec son grand-père en 1940 puis relâchée, ensuite elle est arrêtée et sauvée par un policier en 1942.
C’est à ce moment-là qu’elle sent l’urgence de s’exprimer par la peinture. Elle fera en peu de temps 800 gouaches autobiographiques légendées de textes et de partitions, « une œuvre lumineuse, pleine de grâce et de légèreté ». Elle intitulera ce travail « Vie ? ou Théâtre ? ». En confiant ses œuvres à un ami avant d’être déportée, elle dira « C’est ma vie » « Cela rejoint la définition de Kandinsky « créer une œuvre, c’est créer un monde » nous écrit David Foenkinos.
 Elle rencontre à cette époque son deuxième amour qui deviendra son mari, Alexandre Nagler et c’est enceinte, à l’âge de 26 ans, qu’elle sera gazée en 1943 à Auschwitz.
David Foenkinos nous offre un superbe portrait de femme et d’artiste avec ce récit sobre et puissant, où l’on sent qu’il y met beaucoup de lui-même, de sa sensibilité et de sa sincérité : "c'est ce qui rend ce livre bouleversant, singulier et original"

Laurent Seksik : L'exercice de la médecine (n°3 Janv 2016)

livre l'exercice de la medecine
Laurent Seksik : L’exercice de la médecine - Flammarion, 2015 - roman français

Laurent Seksik, médecin lui-même, fait ici un « bel éloge de la médecine pratiquée à des fins nobles et généreuses » (BPT). En effet à travers la vie de quatre héros de générations de médecins dans des pays différents, il nous conte avec brio l’évolution de ce métier mais aussi l’histoire des pays dans lesquels vécurent ses héros : Pavel, docteur juif qui soigne les paysans pauvres dans la Russie des tsars ; son fils, Mendel, professeur à Berlin dans les années 1920 ; Natalia, la sœur de celui-ci dans les années 1950 à Moscou sous Staline ; Léna, cancérologue à  Paris à notre époque. 

Léna rêve de « se soustraire à la légende familiale » mais peut-on échapper à son destin ? Elle se voulait paraître une femme « solide comme un roc » mais « vivait sous la menace de ses propres émotions », ne voulant pas montrer sa lutte « contre son psychisme détraqué », est-il écrit dans ces pages. 

L’écriture est simple et humaine. L’auteur nous transcrit à merveille les émotions et les réflexions de chacun « dans une atmosphère d’intimité et de sympathie », bien que je trouve le passage sur Natalia très violent et dur. L’auteur nous trace des portraits superbes de ses personnages que l’on imagine facilement.
Cette grande fresque de destins entrecroisés à des époques différentes est passionnante jusque la fin qui donne une petite note d’espoir !

N’oublions pas les livres précédents de cet auteur dont « Le cas Eduard Einstein » (2013 et 2015 en poche « j’ai lu ») et « Les dernières heures de Stefan Zweig » (2010 et 2011 en poche « j’ai lu ») : tous les deux magnifiques et passionnants.