jeudi 22 décembre 2011

Eric Fottorino : Le dos crawlé

Le dos crawlé

Eric Fottorino : Le dos crawlé - Gallimard, 2011 - roman court.

On dirait un roman "d'éducation sentimentale". Un jeune garçon de 13 ans Martin raconte ses vacances chez son vieil oncle durant l'été de la canicule en 1976 sur les bords de l'Atlantique.
Martin retrouve tous les jours une petite fille de 10 ans et leur amitié est touchante. Il va lui apprendre à nager spécialement "le dos crawlé". Livrés à eux-mêmes, les deux enfants partagent leurs jeux, leurs bonbons, leurs secrets, leurs rêves.
L'auteur adopte la façon de parler de Martin et les bons mots, la légèreté du style, l'écriture riche de "sensations et d'émotions justes", les citations charmantes nous régalent.
Un petit bémol pour l'initiation de Martin au sexe avec la maman de la petite fille. Ce passage est inutile et enlève de la naïveté à l'enfant et au récit.

mardi 20 décembre 2011

David Vann : Désolations

Désolations

David Vann : Désolations - 2011, Gallmeister - roman traduit de l'américain.

David Vann écrit à nouveau dans la même veine que "Sukkwan Island", prix Médicis étranger de 2010, un livre autant sur la nature sauvage magnifique de l'Alaska que sur la nature humaine et les tréfonds de l'âme.
Quatre personnages principaux dans ce thriller psychologique : deux couples qui croient pouvoir trouver un sens à l'existence.
Gary, après une vie "semée d'échecs et de désillusions" veut construire une cabane sur une île au Sud d'Anchorage pour aller y passer l'hiver ou plus...
Irène, sa femme, souffrant d'atroces migraines qu'elle soigne avec des médicaments pour animaux, se résigne à le suivre tout en se rendant compte qu'elle se fait manipuler par son mari.
Leur fille, Rhoda, sent la situation de ses parents se dégrader et veut éviter l'irréparable.... sans voir que son compagnon la trompe avec une touriste de 20 ans !!!
Tout se passe dans une ambiance destructrice et malfaisante et la tension monte de façon insupportable dans un univers tourmenté et hostile.
L'écriture de David Vann rend ce roman captivant et envoûtant : "un style merveilleusement sobre, sans artifice, d'une rigueur indéniable en parfaite harmonie avec le récit" nous disent les critiques de Virgin-Megastore.
Ce livre prenant et émouvant est une oeuvre magnifique sur l'amour et la solitude ainsi que les faiblesses et les vérités des êtres humains.

Certains critiques rapprochent ce récit du film "Into the wild" de Sean Penn. 

Jean-Louis Fournier : Veuf

Veuf
Coup de Gueule
Jean-Louis Fournier : Veuf - 2011, Ed. Stock - roman ou essai

Jean-Louis Fournier ne nous parle pas de la mort de sa femme qui l’a rendu VEUF mais de l’amour qui les a unis dans ce très court roman, considéré comme un essai, un très court essai….

On se souvient de la controverse qui a eu lieu à la sortie de « Où on va papa ? », récit sur ses deux fils handicapés. Etait-ce un roman donc une fiction (comme le dit la maman des deux fils) ou un essai, un récit biographique ???
Ici on ne nous indique rien : considérons que ces quelques lignes sont un roman biographique ! Avec humour et ironie, l’auteur raconte des faits d’une banalité désarmante sur sa vie de couple aimant et ses quarante ans de bonheur tranquille avec Sylvie : deux êtres qui se complètent et vibrent pour les mêmes choses. Seule son écriture bouffonne et humoristique sauve ce petit livre, ses phrases se balançant toujours entre l’optimisme, la gentillesse, l’intelligence de Sylvie et son pessimisme, sa bougonnerie, son côté renfermé et dépressif à LUI.

Ces quelques pages sont donc inclassables et si brèves que l’on ne peut y adhérer, en espérant que ce n’est pas  simplement une action purement commerciale.

vendredi 16 décembre 2011

Sorg Chalandon : Retour à Killybegs

Sorj Chalandon : Retour à Killybegs - 2011, Grasset - roman français

En décembre 2006, Tyrone Meehan revient, à 81 ans, vivre dans la maison de son père où il est né, dans un petit port d’Irlande à Killybegs pour se cacher après l’aveu  de sa trahison.

Là, ses souvenirs reviennent pêle-mêle et l’on doit bien se concentrer pour distinguer les époques, l’auteur faisant des avancées et des retours incessants dans le temps. Tyrone fut un héros de la résistance irlandaise, un combattant enragé (comme son père en 1916) haïssant les « Brits » mais notre héros devient traître (il a informé pendant près de vingt ans le MI-5 des services secrets britanniques) et l’auteur ne cherche pas à justifier ce revirement mais à le comprendre. Il y a une cause à cette mystérieuse volte-face que l’auteur  dévoile par petites doses. Il nous fait revivre la vie trouble de cet homme (qui a existé sous le nom de Denis Donaldson) et ses différents états d’âmes depuis son enfance meurtrie, son entrée dans l’armée républicaine irlandaise, l’internement en prison et les grèves de la faim, les amis morts, sa femme qui le soutient en toutes circonstances par amour, sa félonie et sa mort. L’auteur veut montrer que l’Homme le plus courageux peut en arriver à trahir sa famille, ses amis, son pays.
A travers toutes ces étapes, nous suivons  tous les événements de cet interminable conflit et toute l’histoire de l’Irlande au XXème siècle avec cette guerre civile sanglante en Ulster jusque la paix des années 2000.

L’écriture journalistique est rapide, les dialogues sont forts, mais les apartés et les retours en arrière sont déroutants.

On imagine que ce roman dramatique et exceptionnel pourrait être raconté dans le fin fond d’un pub irlandais devant une chope de bière dans la fumée des cigares….

Peut-être serait-il intéressant pour les lecteurs de ce roman de lire avant « Mon traître » du même auteur qui évoquait l’amitié d’un français avec le même Tyrone Meehan, pilier de l’IRA et collaborateur des britanniques.

mercredi 14 décembre 2011

Delphine de Vigan : Rien ne s'oppose à la nuit


COUP DE COEUR
Delphine de Vigan : Rien ne s'oppose à la nuit - 2011, Ed. Lattès - roman biographique
En cette rentrée littéraire, nous avons tous lu énormément de magazines où il y avait des critiques, souvent très élogieuses de ce roman. Nous avons écouté beaucoup d'interviews de l'auteur. Nous avons vu sa prestation à l'émission "La Grande Librairie" : nous avons cru connaître le livre. Mais NON. Il faut l'avoir lu pour comprendre comment Delphine de Vigan réussit un récit bouleversant, d'une grande honnêteté, au plus près de la vérité, inspiré de faits réels sur sa Maman, Lucile, d'une beauté lumineuse, telle que nous la voyons en couverture du livre, mais une âme effondrée de l'intérieur.
L'auteur nous livre donc son enquête et ses recherches à travers des témoignages, des photos, des écrits, pour essayer de comprendre sa mère et restituer au plus juste le parcours de cette femme au destin tragique.
Les chapitres sont entrecoupés de réflexion de l'auteur sur ses états d'âmes. Elle a peur de découvrir des vérités, des non-dits, des souvenirs trop douloureux. Elle ne veut pas faire d'indiscrétion, ne pas exprimer la douleur de chacun. Ces passages sont bouleversants de sincérité et de courage et c'est grâce à ces apartés que le livre est si émouvant, pudique, vrai et original. L'auteur nous dit : "J'ai pris goût à une seconde voix qui me permet de faire part de mes doutes et de mes interrogations".
Lucile, troisième enfant d'une famille nombreuse exubérante et anticonformiste de l'après-guerre est une petite fille secrète puis une adolescente silencieuse et distante. Elle est très marquée par des événements familiaux dramatiques : trois de ses frères sont morts jeunes, le petit dernier est trisomique. Puis l'auteur nous raconte sa propre naissance et celle de sa soeur de 4 ans après, sa vie avec sa mère instable, incapable d'assumer son rôle de mère (mai 68 est passé par là) : vie de bohême, petites filles laissées seules, aucune structure, drogues et boissons. Elle nous décrit la dérive et la descente aux enfers de Lucile, ses "bouffées délirantes", sa folie et comment les deux jeunes filles ont dû faire "avec".
Puis il y eut une accalmie : "Il fallut apprendre à lui faire confiance, ne plus avoir peur de la rechute". Lucile se remet au travail et aux études. On peut se demander pourquoi elle choisit le métier si difficile psychologiquement d'assistante sociale, particulièrement lorsqu'elle travaille pour les "Malades Usagers de Drogues" à l'hopital Lariboisière ?
La maladie la rattrape : un cancer du poumon et de là une retombée dans la folie, le refus de se soigner et le suicide il y a deux ans : elle voulait mourir "vivante".
Magnifique témoignage que l'on pourrait conclure par une phrase de l'auteur : "Ma mère était quelqu'un de mystérieux et aujourd'hui encore elle le reste".