mardi 3 septembre 2019

Delphine de Vigan : Les gratitudes (N°1 été 2019)


Les gratitudes


Delphine de Vigan : Les Gratitudes - 2019, Ed JC Lattès - roman français

 

Comme dans les Loyautés, premier volet de cette trilogie, dans ce roman, Delphine de Vigan réussit à saisir « en toute simplicité » l’intime des personnages et de ce fait à soulever des réflexions profondes sur les liens qui unissent les êtres.
Dans le roman, les Loyautés , le héros était un garçon de 12 ans écrasé par des secrets, récit sombre et douloureux. Ici le sujet est, certes, triste puisque sur la fin de vie d’une vieille dame mais il est « solaire et empli de douceur ».
Michka, « une vieille dame aux allures de jeune fille » ancienne journaliste et correctrice dans la presse, vieillit et perd les mots, ne les maitrise plus. Elle commence à vivre dans la confusion. Elle est placée en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées) et lutte pour y garder sa dignité car, là, « tout semble rétréci, étriqué avec ses petites collations, ses petites visites et ses petits sommes ».
Tour à tour, les chapitres alternent en donnant la parole à Marie et à Jérôme qui nous dévoilent progressivement la vie de Michka et aussi leur propre histoire.
Marie est une jeune femme, ex-voisine  et sorte de fille adoptive de Michka. Elle vient lui rendre visite le week-end. Elle dit ainsi « Merci » à la vielle dame qui l’a aimée et dorlotée lorsque ses parents étaient absents.
Jérôme est l’orthophoniste bienveillant de Michka. Il s’attache à elle, ému par sa personnalité. Quelle patience, quelle écoute. Il l’aide avec gentillesse à lutter contre l’effacement du langage (ce qui nous donne des dialogues parfois drôles et touchants) et la réconforte en l’aidant à retrouver la famille de Justes qui l’ont hébergée, accueillie et sauvée quand elle était enfant. Elle est hantée par l’idée de ne pas leur avoir dit « Merci ».
Merci est le mot-clé de ce récit. En début de roman, Marie demande : « Vous êtes-vous demandé combien de fois dans votre vie, vous avez réellement  dit Merci ? Un vrai Merci : l’expression de votre gratitude, de votre reconnaissance, de votre dette ? »  puis « On croit toujours avoir le temps de dire les choses et puis soudain il est trop tard ».  On peut longuement réfléchir sur ce sentiment de « gratitude » et dire Merci à Delphine de Vigan  de nous poser cette question.

Jean-Christophe Rufin : Les sept mariages d'Edgar et Ludmilla (N°2 été 2019)

Les sept mariages d'Edgar et Ludmilla 





Jean Christophe Rufin : Les sept mariages d'Edgar et Ludmilla - 2019, Ed Gallimard - roman français 

 Ceux qui lisent ce blog depuis quelques temps savent que j'admire énormément Jean-Christophe Rufin et ai déjà commenté tous ses livres ! J'admire l'écrivain mais aussi l'Homme et son parcours : ambassadeur, académicien, président d'Action contre la faim, ancien interne en neurologie, pionnier de l'aventure de Médecins sans frontières... Ses livres me passionnent, aussi bien « Un léopard sur le garrot », (2009) un récit autobiographique sous-titré : chroniques d’un médecin nomade, que « Le grand Cœur » (2012) en passant par « Rouge Brésil » (2001) et « Katiba » puis « Immortelles randonnées » (250 000 exemplaires en 2013) et encore « Check-Point » en 2015. Il reste un homme libre qui « continue de promener son regard sur notre époque » et se dit être de la « famille des romanciers peintres », ce qui le qualifie bien.


Dans ce roman, tout commence par l’épopée de 4 jeunes gens qui vont rouler de Paris à Moscou pour faire un reportage pour la presse française, téléguidé par les autorités post-stalinienne. Parmi les aventuriers se trouve Edgar, apprenti photographe, débrouillard, monté à Paris après une enfance provincial pauvre. En traversant un village ukrainien, il tombe « obsessionnellement amoureux » d’une beauté singulière qui se fait passer pour folle en montant dénudée dans un arbre… Il retrouvera plus tard cette Ludmilla dont il ne connait que le prénom et la ramène en France pour vivre un amour rocambolesque.
L’auteur nous tient en haleine tout au long de ce roman en  nous décrivant le vie de ce couple faite de rebondissements et d’aventures. Lui, il joue de ses charmes, de son baratin et de son audace pour monter quelques affaires et escroqueries. Elle, elle se servira de sa magnifique voix pour rayonner sur la scène des plus grands opéras et leurs chemins se croisent et se décroisent, tant est si bien qu’ils se marient et divorcent 7 fois, en enchaînant retrouvailles et ruptures.
On sourit, on rit de toutes ses péripéties tant le narrateur (l’auteur bien sûr) est partie prenante du récit en expliquant son enquête à leur sujet, ce qui fait croire que cette histoire est authentique. Joli tour de force et d’imagination de l’auteur… on sourit aussi lorsqu’on sait que Jean-Christophe Rufin a lui-même à son actif 4 mariages dont 3 avec la même femme…
« Folie, succès fulgurants, trahisons, chutes, violences, douceur extrême, attachement indéfectible : tout ce qui vient heurter les existences chaotiques d’Edgar et Ludmilla finit par nous émouvoir » (La Croix)
Très bon moment de lecture.

Isabelle Carré : Les rêveurs (N°3 été 2019)


Les rêveurs

Isabelle Carré : les rêveurs - 2018, Grasset ; 2019, poche  - roman français

Isabelle Carré, que l’on connait bien comme actrice, se livre avec grâce dans ce beau récit où elle raconte la vie de sa famille atypique. « Elle se met à nu avec douceur, discrétion, gentillesse et humilité » dit Delphine de Vigan.
Elle évoque pêle-mêle ses souvenirs d’enfance avec une mère fragile et rejetée par sa famille, un père artiste-designer qui révélera tardivement son homosexualité, un frère qui aime la musique, le tout en faisant des allusions à la musique, au cinéma, à l’art et à l’atmosphère des années 1970. 
« Elle rembobine le fil de sa vie » (Figaro). Comme des « flash-backs », par chapitre, elle évoque ses mémoires, ses blessures, ses rêves, ses enthousiasmes, ses peurs, ses interrogations : petite, elle rêve de devenir danseuse. Adolescente, elle est hantée par la mort qui rôde autour d’elle et fait une tentative de suicide. Elle explique sa peur de ne pas rentrer dans des « cases ». Tout cela l’a affaiblie mais aussi construite, écrit-elle : elle sera sauvée par les mots au théâtre et au cinéma et ici, peut-être par ce récit.
Malheureusement la construction non chronologique des faits apporte de la confusion… on peine à suivre une évolution. Dommage.