lundi 28 février 2022

Karine Tuil : La décision (N°1 - fev 22)

La décision

Karine Tuil : La décision - Gallimard- 2022 - roman français

 

 

« Roman scotchant » écrit le journal ELLE. Karine Tuil nous plonge dans le quotidien d’Alma, une juge antiterroriste dont chaque « décision » peut avoir des conséquences dramatiques.

Alma doit prendre une décision juridique pour juger de la culpabilité ou non d’un terroriste, mais aussi la décision personnelle de divorcer ou non... Cette phrase m’a interpellée : « Le risque de prendre une mauvaise décision n’est rien comparée à la terreur de l’indécision ».

Il faut dire que Karine Tuil a fait des études de droit. On se souvient de son roman « Les choses humaines » pour lequel elle a obtenu le Prix Interallié et le Prix Goncourt des lycéens en 2019. (Fiche de Juin 2021 N°2 dans ce blog) et qui sort en film en ce moment mis en scène par Guillaume Canet.

L’auteure confie au Journal ELLE que, pour écrire ce récit, elle a rencontré des juges mais aussi des agents de renseignements et des avocats djihadistes : « Ils m’ont raconté la pression constante dans laquelle ils vivent et comment ils la gèrent » mais aussi « la passion de leur métier et leur sens des responsabilités ».

Au lendemain des attentats de 2015, Alma doit juger un homme de 23 ans, parti en Syrie dans les rangs de Daech avec sa femme et interpellé à la frontière turque lorsqu’il veut rentrer en France. Le récit est rythmé par des chapitres relatant les interrogatoires du suspect : comment savoir si l’inculpé dit la vérité : « Il clame avoir été dupé dans sa démarche pacifique » (Lire). Il dit être parti en Syrie pour des raisons humanitaires. Est-il dangereux, repenti, sincère ? « L’interrogatoire prend une tournure particulière quand nous avions évoqué son enfance… ma conviction a alors basculé… j’ai voulu lui donner une chance »… puis « mon métier, c’est l’appréciation de la dangerosité mais aussi croire en l’être humain ». On en verra les conséquences que je ne dévoile pas.  Que va-t-elle décider ?

Parallèlement, le couple d’Alma est en grande difficulté : son mari, écrivain, prix Goncourt déçu, se plonge de plus en plus dans sa religion juive avec sa rigueur imposée dans la maison. Il faut dire que les parents de son mari ont toujours refusé de la voir et que son mari est furieux de la relation de leur fille avec un arabe. Alma s’échappe et vit une liaison dangereuse avec l’avocat qui défend son suspect. Elle lutte contre cet amour « physique envahissant » : « Je ne voulais qu’on puisse un jour me reprocher de faire passer mes intérêts privés avant mes devoirs professionnels » : tiendra-t-elle le coup ?

Je n’en dévoilerai pas plus, tant sur le sort de l’inculpé que sur la suite de la vie de la juge Alma….

Livre passionnant qui soulève énormément de questions sur les thèmes sur la justice, les religions, l’amour, la pulsion sexuelle, le couple et évidemment sur la DECISION qui est un cas de conscience magistral.

 

           

Jean-Christophe Rufin : Les Flammes de Pierre (N°2 - fev 22)

Les Flammes de Pierre

 Jean-Christophe Rufin : Les Flammes de Pierre - 2021, Ed. Gallimard - roman français

 

Ceux qui lisent ce blog depuis quelques temps savent que j'admire énormément Jean-Christophe Rufin et ai déjà commenté tous ses livres ! J'admire l'écrivain mais aussi l'Homme et son parcours : ambassadeur, académicien, président d'Action contre la faim, ancien interne en neurologie, pionnier de l'aventure de Médecins sans frontières...Ses livres me passionnent, aussi bien « Un léopard sur le garrot », un récit autobiographique que « Le grand Cœur » en passant par « Rouge Brésil et « Katiba » puis ses quatre romans genre policiers-enquêtes. Il reste un homme libre qui « continue de promener son regard sur notre époque » et se dit être de la « famille des romanciers peintres », ce qui le qualifie bien.

C’est la première fois qu’il publie un roman en relation avec sa passion pour la montagne et l’alpinisme. C’est « une fiction romanesque, histoire « en partie authentique » dit l’auteur dans un interview à la revue Lire, « retraçant le destin parallèle de deux frères alpinistes, entrecroisée avec une histoire d’amour ». Il nous fait découvrir son univers de la haute montagne, lui qui habite maintenant près de Chamonix face au Mont-Blanc dans un corps de ferme du 18ème, déplacé dans les années 1980 : « J’avais envie d’un pied-à-terre sur le flanc de la montagne à plus de 1400 mètres d’altitude, à l’écart du monde » dit-il.

« Les Flammes de Pierre », c’est le nom d’une arête qui domine la Mer de Glace près de Chamonix et c’est aussi dans ce paysage qu’a lieu une partie du récit. Rémy, un guide d’alpinisme de la Compagnie de Saint-Gervais a pour cliente une jeune femme, Laure, vivant à Paris, travaillant dans le milieu de la finance. Ils deviennent amants et ils vivent d’excellents moments avec le bonheur de grimper et d’affronter les éléments, Laure ayant déjà une certaine expérience de la montagne. Excellent moment de lecture que ces courses en montagne avec les péripéties émouvantes et palpitantes de l’ascension, de l’alpinisme avec ses bonheurs et ses difficultés. « L’évocation de ce monde est impeccable. On sent du ‘Vécu’ » dit un critique.

Hélas, l’amour est plus fort et Rémy veut découvrir la vie parisienne de Laure. On verra la suite… le milieu… et la fin de cette belle histoire.

La dernière partie évoque les dangers de l’alpinisme, dangers actuellement de plus en plus présents à cause du dérèglement climatique qui peut engendrer des éboulements de pics et de parois, ce qui est arrivé à la Vire du Trident en 2018 et à la paroi Sud-ouest du Petit Dru en 2005. L’auteur dit : « Je disais que j’escaladais les montagnes ‘parce qu’elles sont là’. Le changement climatique a modifié ma vision des choses. Je dirais aujourd’hui que je les gravis ‘tant qu’elles sont là’ » dans Match.

Au cours du livre, l’auteur rend hommage à la littérature de montagne : récits, romans anciens de grands auteurs, mais aussi renouveau actuel pour l’intérêt des lecteurs pour la montagne, mais aussi la nature, les forêts, les arbres, la campagne.

 

Michel Bernard : Les Bourgeois de Calais (N°3 - fev 22)

Les Bourgeois de Calais

 Michel Bernard : les Bourgeois de Calais - La table Ronde, 2021 - roman

 

Michel Bernard se passionne depuis 20 ans pour l’histoire et « les grandes figures de notre patrimoine (Ravel, Monet, Jeanne d’Arc…) ». Il est énarque, fut sous-préfet et passe son temps libre à l’écriture.

Ici il donne une vision personnelle sur une grande figure du XIXème siècle : le sculpteur Auguste Rodin. Pour cela il nous narre la rencontre du sculpteur avec le Maire de la ville de Calais en 1884, Omer Dewavrin, qui réussit à imposer cet artiste pour réaliser un monument « en hommage à six figures légendaires du Moyen âge » : ce sont six habitants de villages autour de Calais qui « se rendirent au roi d’Angleterre pour sauver l’honneur de Calais ». Une amitié sincère liera les deux hommes qui « veulent laisser un chef d’œuvre à la postérité ».

La belle écriture, simple, « sobre et limpide » rend ce récit très agréable à lire. Il est inspiré de la correspondance entre Auguste Rodin et le couple Dewavrin dont quelques lettres sont proposées en fin du livre. Non seulement l’auteur fait le portrait du sculpteur de génie qu’est Rodin avec ses façons de faire et refaire son œuvre, de l’abandonner, de la recommencer en petit modèle, en partie, en grand modèle, en marbre, en bronze, pour faire « ce chef d’œuvre qui révolutionna la sculpture », mais aussi il évoque la vie à la fin du XIXème siècle à Calais (les repas, la vie de famille, l’activité des calaisiens) et à Paris (l’atelier de Rodin avec ses apprentis dont Camille Claudel « au visage fermé et au regard outremer » et les habitudes du sculpteur dans cette ville puis dans sa villa de Meudon).

L’inauguration du monument en 1895 sera un grand événement pour les Calaisiens : « La population s’était massée pour voir enfin le représentant du gouvernement inaugurer ce monument « des Bourgeois de Calais » dont on parlait depuis dix ans » car il aura fallu dix ans au Maire, aidée de sa femme Léontine, pour concrétiser cette action. Pour Omer Dewavrin « le monument restait, après sa famille, la grande affaire de sa vie ». Il aura dû lutter contre « l’académisme ambiant », contre les querelles politiques et esthétiques, les crises économiques (il faut trouver les fonds pour payer Rodin) et même contre une épidémie de choléra…

Magnifique roman-récit qui raconte la complicité de deux hommes et la naissance de la sculpture des « Bourgeois de Calais », toujours visible devant l’Hôtel de Ville de Calais.