lundi 20 juin 2022

Pierre Assouline : la Paquebot (N°1 - Juin 22)

Le paquebot

 Pierre Assouline : Le paquebot - Ed. Gallimard, 2022 - roman

On connait Pierre Assouline comme historien, biographe et aussi romancier, mêlant ses différents talents à des « histoires romanesques » et ici il réussit à merveille une description formidable d’un « huis-clos maritime » : son héros, le narrateur, Jacques-Marie Bauer, est un jeune bibliophile, spécialiste des livres rares et ayant pour clients « des collectionneurs de collections ».  Il est né en 1881, la même année que Stefan Zweig, « un bon cru » dit-il… Il embarque le 26 février 1932 sur le paquebot « Georges Philippar » à Marseille. Pour cette croisière inaugurale de plus de deux mois aller-retour, le paquebot doit rejoindre le Japon à Yokohama.

Notre narrateur-voyageur est chargé d’une double mission secrète et « il reste mystérieux sur le motif de ce voyage ». Il est plutôt d’une nature mélancolique et pessimiste mais garde beaucoup d’humour et va nonchalamment se mêler aux conversations des plaisanciers mondains « autour d’une table », ou appuyé au bastingage, ou allongé dans une  « chaise longue » sur le pont, ou à la piscine (car il est excellent nageur) le tout rythmé par la cloche du quartier maitre ou du mousse de sonnerie, appelant pour un repas ou autres. Il nous fait des portraits extraordinaires des personnages huppés de l’entre-deux guerres qui s’expriment « dans une langue perruquée » ou « avec des majuscules plein la bouche », avec un snobisme « grotesque sans limite et l’inconscience du ridicule ». Disant par exemple cette phrase que j’ai beaucoup aimée « Le golf, c’est la chasse des pauvres, non ? »…. Les femmes, elles, se réunissent comme une « bande de pipelettes » ou un « gang des papoteuses » qui potinent et ragotent. Parmi tout ce petit monde, se créent des amitiés profondes, des antipathies réciproques, des complicités muettes, des amourettes, des échanges musclés, toujours décrits par notre narrateur avec un humour caustique.

Au cours de cette croisière, plusieurs conversations font allusion à des courts-circuits qui « électrisent le bout des doigts des croisiéristes » et inquiètent notre narrateur de nature  anxieuse mais ce beau monde ne voulait pas s’en soucier : « Cessez de craindre le pire, vous vous gâchez la vie » lui dit-on.

Quelques passages marquants m’ont enchantés : une partie d’échec passionnée ; un partie de jeu de l’ancêtre du Monopoly (The landlord’s game) ; une discussion sublime avec un aveugle ; mais aussi des discussions avec des allemands, l’ascension d’Hitler divisant l’assemblée dans cette société cosmopolite ; et aussi l’évocation d’un amour naissant de notre narrateur avec le belle Anaïs qui se voient à la piscine (ce qui nous vaut une petite scène érotique) et dans les rues de Saïgon et de Shangaï.

Les dernières cent pages annoncent l’arrivée du grand reporter Albert Londres à bord. Il embarque sur le paquebot avec des informations confidentielles. Sur cette route du retour la nuit du 15 mai 1932, un incendie éclate sur le paquebot dans le Golfe d’Aden et on dénombre 49 victimes dont Albert Londres. Notre narrateur, excellent nageur est sauvé… Les circonstances du décès d’Albert Londres demeurent imprécises : est-il mort dans l’incendie ou mort noyé ? Pierre Assouline a écrit une biographie sur le légendaire journaliste Albert Londres, ce qui lui permet facilement d’écrire cette dernière partie que j’ai moins appréciée.

Incroyable description de cette société insouciante et voulant ignorer la guerre proche, peinte par l’écriture formidable et l’humour décapant de l’auteur.

 

Un été avec Proust : Plusieurs auteurs ( N°2 - juin 22)

 Un été avec proust

Un été avec Proust : plusieurs auteurs - Ed. Equateurs, parallèles - 2014 - 


Impossible de passer l’année sans parler de notre célèbre écrivain décédé en 1922 car nous fêtons le 150ème anniversaire de sa naissance et, en novembre, le 100ème anniversaire de sa mort.

En effet « La Recherche est une œuvre inclassable si profonde qu’on la lit et la relit pour y découvrir ‘’la vraie vie, la seule vie pleinement vécue’’, c’est-à-dire la littérature ». Bien sûr nous ne sommes pas obligés de lire « A la recherche du temps perdu » d’une traite. Mais il est intéressant d’y revenir souvent. Un des auteurs de ce petit livre dit « Chaque lecteur peut y abriter ses songes, y reconnaître ses joies et ses peurs et y apprendre des vérités sur soi-même ».

Chaque auteur de ce livret (romanciers, biographes et universitaires) a choisi un thème : le temps, les personnages, Proust et son monde, l’amour, l’imaginaire, les lieux, Proust et les philosophes, les arts. « Un été avec Proust » est une invitation à se connaître en profondeur.

Ce livre aborde les multiples facettes de la vie et l’œuvre de Proust.

Pour cet événement, la Musée Carnavalet a mis sur pied ce printemps une exposition formidable sur Proust : « une délicieuse promenade dans les lieux parisiens où vécut Proust ». Les différentes photos, tableaux, vidéos, reliques « sacrées » font revivre le Paris de l’écrivain : son arrondissement, son lycée, les salons des beaux quartiers et la fameuse chambre du Bd Haussmann (moins bien reconstituée que précédemment dans ce musée), et aussi évocation de la famille de Proust, de sa chère gouvernante durant les 8 dernières années de sa vie Célestine Albaret (1891-1984) qui a écrit à l’âge de 82 ans « Monsieur Proust » (paru en 1973, réédité chez Laffont en 2014), de ses amis, de ses ennemis, de ses amants supposés qui ont tous inspiré les personnages de ses livres. Cette exposition nous fait poser cette question : « Comment un jeune bourgeois maladif, juif et gay, a-t-il pu devenir l’écrivain français le plus connu dans le monde, un symbole même de la littérature ? » (ELLE).

Vous pouvez retrouver des émissions formidables sur Proust à la radio chaque semaine sur France Culture, le postcast sur franceculture.fr et sur l’application Radio France.

Pour cette année spéciale de nouveaux mots apparaissent : certains deviennent « Proustolâtres », « Proustosceptiques » qui deviennent « Proustophiles », tous atteints de « Proustomania » !!!!