jeudi 22 décembre 2022

Giuliano Da Empoli : Le mage du Kremlin (N°1- Déc 2022)

Le mage du Kremlin - 1

 Giuliano Da Empoli : Le mage du Kremlin - 2022, Gallimard - roman

 

Giuliano Da Empoli, auteur italien, écrivant en français, a reçu cette année le Prix du Roman de l’Académie Française. Il était présent à l’émission La Grande Librairie le 23 novembre 2022 et a bien insisté sur le fait que ce livre est un roman, sorti en Mars 2022 avant la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine. Il explique avoir changé le nom de Vladislav Sourkov, conseiller officiel de Poutine jusqu’en 2021 en Vadim Baranov car le récit est une fiction : « Les faits sont réels mais les dialogues et la vie privée sont imaginaires » puis « La fiction peut raconter tout cela de manière plus efficace ».

Ce Vadim, narrateur, est donc l’éminence grise fictive de Vladimir Poutine. L’auteur lui a inventé une enfance heureuse (ce qui est rare à l’époque en Russie) avec un père et un grand-père affectueux et cultivés, une brève carrière de producteur de télévision, une histoire d’amour particulière et une ascension fulgurante auprès de Poutine.

Vadim va aider Poutine, le « Tsar », ex-patron du KGB, à reconstituer la puissance du pouvoir depuis la chute de l’URRS jusqu’en 2021 par tous les moyens dans une atmosphère de mystère. Il dit : « Poutine est une sorte de patriote russe d’un patriotisme délirant qui ne justifie aucun de ses agissements. On peut l’expliquer mais on ne peut pas le justifier » puis « sa nomination fut accueillie par un scepticisme général » et « ce type sinistre a utilisé tous les moyens techniques pour asseoir son pouvoir » …. Nous entrons dans les coulisses du pouvoir de Poutine : Vadim met en place la propagande politique avec ses méandres, ses techniques de persuasion, ses endoctrinements et dit : « On ne peut décrire l’expérience du pouvoir si on ne l’a pas approchée ».

Que d’anecdotes et d’histoires mystérieuses pour arriver à nous faire entrer dans la tête de Poutine : « L’imprévu a toujours été une des grandes qualités de la vie russe » puis « le niveau de violence était incroyable »…

L’écriture et le style sont impeccables et le vocabulaire extrêmement varié et précis : quelques descriptions de Poutine : « en faisant circuler son regard de verre sur l’assistance » « Le visage du Tsar avait pris la consistance minérale que j’avais appris à connaître » « Le visage du Tsar était une plaque de granit ».

Achevé il y a un an donc, « ce livre éclaire sur le désastre actuel » : pas gai !!!

 

Françoise Cloarec : Dans l'ombre de sa soeur (N°2- Déc 2022)

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 Françoise Cloarec : Dans l'ombre de sa soeur - Phébus, 2022 - biographie

 

Cet essai nous transporte dans les pas de la demi-sœur aînée de Colette, Juliette, que l’écrivaine nommera « la sœur aux longs cheveux » ou la sœur avec « la longue crinière brune ». Juliette a un père alcoolique et violent et pour mère Sido. C’est une enfant « peu jolie », silencieuse, n’aimant pas les contacts humains et se cloitrant pour lire dans la magnifique maison de ses parents à Saint-Sauveur en Puisaye (rénovée et visitable : on se sent sous le charme de cette ancienne demeure).

L’auteure, qui est aussi psychanalyste, fait un portrait de cette femme « tantôt documenté, tantôt vagabond », écrit un critique de Télérama car les seules archives sont les lettres de sa mère Sido.  Nous apprenons beaucoup sur cette « malheureuse » Juliette, treize ans de plus que Gabrielle, sa sœur qui prendra le nom de Colette en devenant écrivaine mais aussi sur son entourage et particulièrement sur Sido, sa mère entourée du capitaine Colette son beau-père, unijambiste sans le sou, sur ses deux frères et sa sœur Gabrielle-Sidonie Colette, la fameuse écrivaine. Ce sont des enfants sauvages, bizarres et très différents.

Plus tard, Juliette se mariera avec un homme du village « qui sent le vermouth… », un médecin et mari tyrannique, aura une fille qui reste complice de son père, subira les problèmes d’une fâcheuse histoire de succession et aura un destin tragique : maladie, désespoir qui « un matin finit par la vaincre » car elle se suicide (on ne sait pas la date exacte de sa mort…).

Sido écrira à sa fille Juliette avec qui elle garde toujours contact, « être femme, c’est trop malheureux ».

Une conclusion écrit par l’éditeur peut résumer cette biographie « empathique et très émouvante » : « ce récit révèle pourquoi, dans une famille, il n’y a jamais de lumière sans ombre, que quelqu’un paye toujours le prix de la gloire d’un autre »…. A réflechir !!!!

Antoine Compagnon : Un été avec Colette (N°3-Déc 2022)

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Antoine Compagnon : Un été avec Colette - Equateurs (parallèles), 2022 - éssai. 

 

Dans ce petit livre, Antoine Compagnon (déjà auteur ou co-auteur de plusieurs livres de cette série « Un été avec… ») loue « autant la personnalité fantasque de cette ancienne artiste de music-hall que son originalité stylistique » (LIRE). Notre écrivaine Colette fut mariée à un Willy douteux qui signera en Mars 1900 le premier livre de Colette « Claudine à l’école ». Elle ne publiera des livres avec sa propre signature qu’à partir de 1923…mais ce Willy l’aidera quand même à trouver son style moderne et toujours contemporain.

On lit des anecdotes passionnantes sur son allure, sa chevelure, sur sa mère Sido, sur sa gourmandise, sur son amour pour les animaux (particulièrement les chats) ainsi que sur la nature (on l’appellera ‘la sauvageonne’) et elle publiera avec le peintre Dufy un splendide livre ‘Pour un herbier’ illustré de 11 aquarelles et 14 dessins à la mine de plomb du peintre et des textes de Colette, comme une ‘invitation à la promenade bucolique, artistique et littéraire’.

On apprend des détails sur son entente avec son amie Missy, sur sa vocation au music-hall, sur son père ‘le capitaine’ qui formera avec sa mère « un modèle d’amour et de complicité », sur ses rencontres avec Proust et Debussy, sur son féminisme, sur sa vie pendant la guerre.

« Elle appartient à la génération des classiques français modernes avec Claudel, Gide, Proust, Valéry et Péguy, mais, seule Femme, elle fut la plus insolente et la plus populaire » (4ème de couverture de cette biographie).

A lire et à relire : passionnant comme tous les essais d’Antoine Compagnon.