samedi 22 août 2015

Michael Cunningham : Snow Queen (n°2 Aout 2015)

Michael Cunningham : Snow Queen - Belfond, 2015 - roman américain



livre snow queen

Ce roman se passe dans les années 2000 dans le «  New-York des âmes perdues » sous la neige qui enveloppe la laideur d'un quartier de Brooklyn avec trois personnages, arrivés à la quarantaine, trio éclopé, amoché, perdu. Nous sommes dans une ville « symbole de la « lose » et des illusions de l'époque, dans le marasme des années Bush, ce qui mine le moral des personnages du roman.

Barrett et Tyler sont deux frères inséparables, soudés depuis la mort de leur mère foudroyée sur un terrain de golf et l'absence de leur père, remarié. Ils entourent Beth, la fiancée de Tyler qui se meurt d'un cancer.

Barrett, « le candide torturé de la famille », travaille dans une boutique de fringues après avoir suivi des études dans la prestigieuse université de Yale et après mille projets avortés. Tyler, bien que sorti de Sciences politiques, est un musicien raté et un cocaïnomane assidu. Il veut créer sa plus belle chanson pour l'offrir à Beth en cadeau de mariage…Il travaille dans un bar comme serveur et musicien. Beth sait qu'elle va mourir mais ne renonce pas. Liz, leur vieille copine et amante, les protège tous.

Barrett ayant aperçu dans le ciel un halo de lumière étrange, croit à un signe, une manifestation céleste qui va changer sa vie et celle de son frère. Il ressent cette apparition comme une réponse à sa crise existentielle…d'autant qu'il la voit le jour où il a reçu par texto laconique une rupture de sa relation avec son dernier amant . Il a toujours des amours impossibles… 

Rien ne se passe : pas d'événements extraordinaires mais le lecteur est bouleversé par une description sans pareil des états d'âmes des personnages avec leurs souffrances, leurs regrets, leurs déceptions mais aussi leurs espoirs, leurs désirs sur un fond de mélancolie typique dans le New-York contemporain, dit l'auteur et encore la tendresse de leur relation et leur sensibilité. On sourit devant l'humour des descriptions de la vie des intellectuels et de leurs mœurs et l'évocation de l'atmosphère de cette ville envoûtante. « Michael Cunningham continue d'explorer avec finesse les thèmes qui lui sont chers : la peur de vieillir, la fragilité émotionnelle des êtres, les liens étranges de la famille. Il le fait dans ce roman avec la mélancolie, la lumière et la grâce qui lui sont décidément propres » (Lire de avril 2015). C'est une histoire d'amour, de fraternité et de mort.

Le titre rappelle, bien sûr, « La reine des neige » du conte d'Andersen adapté par Walt Disney et des situations nous le remémorent. « Les mots peuvent avoir plusieurs sens, dit l'auteur. La neige, c'est aussi la poudre, la drogue et la reine a bien sûr une connotation sexuelle »…

Ce livre a été publié aux Etats-Unis en mai 2014 et vient de paraître en France. L'auteur avait reçu le Prix Pulitzer et le Faulkner Award pour « Les heures » en 1999 , un chef d’œuvre que je vous conseille de lire (Belfond 1999 et en 10/18).


Gilles Leroy : Le monde selon Billy Boy (n°3 Aout 2015)

livre le monde selon billy boy

Gilles Leroy : Le monde selon Billy Boy - Mercure de France, 2015 - roman


Gilles Leroy est un auteur français qui m'émeut et dont l'écriture me fascine ainsi que les sujets très variés qu'il aborde. On peut lire de lui le fameux « Alabama song » (biographie de Zelda Fitzgerald – prix Goncourt en 2007), « Zola Jackson » (2010 - une vieille femme noire se confessant pendant l'ouragan Katrina), « Nina Simone » (2013 - biographie sur la diva du jazz). Tous sont magnifiques.

Ici il renoue avec la veine intime  de « Maman est morte » (1994 – récit bouleversant des derniers instants de sa mère) en nous faisant le récit des quelques mois qui précèdent sa naissance et donc la vie de ses jeunes parents en 1958 à Paris et les environs.

Eliane, sa mère, a 20 ans quand elle tombe enceinte. Son père, André, n'a que 17 ans et ne le dit pas, sa fameuse moustache le vieillissant. Eliane vit seule et est sténodactylo au Ministère des Armées. Elle est aussi mannequin des mains. Il faut bien gagner sa vie. Elle a quitté la maison miteuse de sa mère, sa petite sœur lourdement handicapée, sa tante et son oncle. André a une vie plus aisée. Ses parents tiennent une boucherie et il ne fait pas grand-chose.

Tous deux sont très beaux, typiques des années 1960. Les jeunes amants s'interrogent mais la famille d'André veut prendre leur destin en main et convaincre Eliane de « faire passer » l'enfant. Eliane résiste : - à l'insistance de Paule, la demi-sœur d'André qui l'assaille pour la faire renoncer à garder l'enfant, - au départ d'André qui fuit ses responsabilité, - à ses nuits d 'angoisse seule dans sa petite mansarde et décide d'assumer son destin de « fille-mère ». Mais André revient...

L'auteur essaie de tout savoir et de comprendre ses parents. Il parvient avec beaucoup de tendresse à combler les vides et les hypothèses derrière les silences. « Ni l'un ni l'autre n'avait désiré cet enfant mais ils l'ont adoré et chéri jusque la fin de leur vie ». L'auteur dit : « Je ne rêvais pas d'autres parents ». N'est ce pas un bel hommage et une preuve d'un immense amour filial…

L'écriture est précise et le texte est parsemé de beaucoup de détails émouvants qui nous décrivent la vie sociale des années 1960.

Beau roman d'amour d'un enfant pour ses parents.


Chantal Thomas : L'échange des princesses (n°4 aout 2015)

livre l'echange des princesses

Chantal Thomas : L'échanges des princesses - Folio poche, 09/2014  ou Gallimard, 2013 - roman historique.


Ce livre est classé comme roman. Je le classerais volontiers comme une biographie sur les deux enfants-héros ou comme un essai historique.

En 1721, Philippe d'Orléans est régent de France depuis la mort de Louis XIV et tient à y rester. En empêchant Louis XV d'avoir une descendance, il restera régent. Louis XV a 12 ans et est un « enfant inquiet, mélancolique et suspicieux ». Philippe d'Orléans propose à Philippe d'Espagne un mariage entre Louis XV et l'infante Anna Maria Victoria, âgée de 4 ans, la fille de Philippe d'Espagne. En échange il donne sa fille Louise Elisabeth, Mademoiselle de Montpensier, âgée de 12 ans, au prince des Asturies, héritier du trône d'Espagne, fils de Philippe d'Espagne. Les quatre enfants de moins de 12 ans vont donc former deux couples entre cousins-germains….Philippe d'Orléans renforce ainsi ses positions et consolide la fin du conflit avec l'Espagne.

L'échange a lieu début 1722, en grande pompe, au milieu de la Bidassoa, cette rivière du Pays Basque qui fait la frontière entre les deux royaumes dans un somptueux pavillon. Mais le projet qui semblait idéal ne va pas fonctionner comme prévu et la réalité est plus compliquée…mais je ne le dévoile pas ici.

L'auteur écrit une alternance de chapitres, un à la cour de France et un autre en Espagne, nous décrivant de manière simple et précise les caractères de chaque enfant.

Ce roman historique et psychologique est très agréable à lire. Il est écrit au présent. Les scènes sont très réalistes, les dialogues des personnages sont réels car trouvés dans des lettres et des documents d'époque inédits. C'est « un tableau à la fois édifiant et très vivant de la vie au XVIIIème siècle » avec des détails intéressants, des anecdotes surprenantes.

On sait que l'auteur est une chercheuse : « Pour préparer le roman, elle s'est rendue jusqu'à Madrid. Elle s'y est plongée dans la correspondance de Mme de Ventadour, la gouvernante de Louis XV et y a eu accès aux dix lettres de la princesse des Asturies. Elle a été bouleversée par la personnalité de cette demoiselle-princesse…. » (revue Lire de septembre 2013). On le ressent bien dans ce magnifique roman tant elle raconte « avec brio et talent les drames intimes et insignifiants au regard de la grande histoire » (Notes biblio. Des BPT)




Isabelle Autissier : Soudains, seuls (n°5 Aout 2015)

Isabelle Autissier : Soudain, seuls - Stock, 2015 - Roman.

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Dans son nouveau roman, Isabelle Autissier met en scène un jeune couple aventurier : Ludovic, la trentaine, dynamique, joyeux de vivre, veut rompre avec le quotidien et va convaincre sa compagne, Louise, de partir en voilier à travers les océans. Projet d'enfants à venir et appartement douillet attendront.

Après une traversée de l'Atlantique sans problème, ils décident de faire une halte clandestine sur une île déserte interdite aux touristes, située quelque part entre la Patagonie et le cap Horn. Le mauvais temps arrive, la tempête se déchaîne. Ils restent sur l'île pour la nuit mais le matin, plus de bateau... Les voilà « Soudain, seuls » sans vivres, sans vêtements, sans équipements sur cette île montagneuse peuplée uniquement de manchots et d'otaries.

Les deux tiers du roman racontent donc leur lutte pour survivre sur cette île. C'est le début d'une longue descente aux enfers. « Affamé, gelé, crasseux, le couple rapetisse... » La nature est rude et « mettra bientôt l'un d'eux face à un effroyable dilemme : vivre seul ou mourir à deux ? » Cette partie du livre m'a paru comme du déjà vu…semée de clichés et de situations facilement prévisibles...

Le dernier tiers du roman s'ouvre sur le retour à la civilisation de Louise. Cette partie est, à mon avis, mieux réussie. On peut imaginer que l'auteur s'est servi de son propre retour à terre après son chavirage en voilier en 1999 au cours d'une course en solitaire autour du monde. Comment raconter son histoire qui devient vite une vraie légende ? Comment s'adapter au statut de héros ? Comment dire la vérité et cacher certains moments ? Comment affronter les médias ?

Impossible d'en dire plus sans dévoiler l'histoire et la fin de ce roman….On pourra en tirer une leçon car son récit prouvera qu'on peut toujours se battre...si on a la santé...