samedi 25 mars 2017

Joyce Maynard : Les règles d'usage (N°1 Mars 2017)


livre les regles d'usage

Joyce Maynard : Les règles d'usage - 2016, Ed. Philippe Rey. roman américain.

 



Dans ce roman bouleversant, nous allons vivre « la renaissance à soi » d’une adolescente de Brooklyn après les attentats  des tours du World Trade Center du 11 septembre 2001 à New-York. Wendy, 13ans, y perd sa maman Janet.
Les jours d’attente de nouvelles sont d’une terrible angoisse pour Wendy, Josh, son beau-père musicien qui aime Wendy comme sa propre fille et Louie, son demi-frère de 4 ans. Ils attendent un éventuel coup de fil qui annoncerait la découverte de Janet vivante puis simplement du corps de celle-ci ou de quelque chose lui ayant appartenu. « Le New-York d’après la tragédie se révèle vite être un océan de douleur et de souvenirs ingérables »…
Cette douleur des 3 personnages est décrite avec une pudeur extraordinaire, tout en finesse et en profondeur. Comment vont-ils survivre et comme ils sont stupéfaits de parvenir à vivre sans Janet : « On continue à respirer qu’on le veuille ou non » dit Josh. Il faut bien continuer à vivre alors que désormais « les règles d’usage ne s’appliquent plus ».
Devant la détresse des deux êtres qu’elle aime, son beau-père anéanti et son petit-frère mortifié, Wendy se sent sombrer et réagit en partant vivre chez son père biologique en Californie. C’est comme par un instinct de survie. Il faut qu’elle s’invente un nouveau cadre de vie. Elle commence « un travail de deuil ». Elle rencontre des êtres qui la font réfléchir : son père extrêmement pudique ; l’amie de son père très fine ; une jeune fille-mère et son petit bébé ; un libraire, père d’un autiste ; un jeune skate-boarder » seul dans la vie.
« C’est avec une douceur infinie et sans céder au pathos que l’auteur dissèque le deuil dans toutes ses phases, de la période de sidération au lent retour à la vie de ceux qui restent » (LIRE).
L’expression de cette résilience est extrêmement forte et infiniment touchante. En nous décrivant des scènes de vie ordinaire, l’auteur réussit à nous faire comprendre comment Wendy va surmonter son épreuve en nous faisant suivre sa pensée avec des retours en arrière et la « résurgence » de moments partagés avec sa mère. Beaucoup d’autres thèmes sont abordés : les relations mère-fille, les rapports familiaux et « la complexité des relations dans des familles recomposées et décomposées » (La Croix), la reconstruction et l’espoir.
Ce livre fut traduit en français et édité en 2016 bien que paru 13 ans avant aux USA.



Joyce Maynard a écrit des essais et des romans sur l’adolescence, ses outrances et ses rêves (lire l’Homme de la montagne paru en 2014). Elle a aussi écrit une très belle autobiographie sur sa relation avec l’auteur culte américain J.D. Salinger dont elle fut la compagne dans sa jeunesse pendant  2 ans en 1973, « Et devant moi, le monde » paru en 2011 où elle expose les conséquences dévastatrices que cette relation a eu sur sa vie et comment elle a réussi à se reconstruire (comme Wendy peut-être).

Laurent Seksik : Romain Gary s'en va-t-en guerre (N°2 Mars 2017)

Laurent Seksik : Romain Gary s'en va-t-en guerre - 2017, Flammarion - roman




livre romain gary s'en va-t-en guerreLaurent Seksik, médecin et écrivain, « s’est fait une spécialité de puiser dans le stock infini des personnes ayant réellement existé pour nous raconter des histoires passionnantes, tendres, affreuses, gaies ou tragiques » (La croix). Ainsi j’ai beaucoup aimé deux de ses romans dont j’ai fait des fiches sur ce blog : « Les derniers jours de Stephan Zweig » et « Le cas Eduard Einstein » (parus chez Flammarion en 2010 et 2013) : ce sont des magnifiques romans biographiques (comment les appeler exactement ?) sur une partie de vie des personnages.
Ici, L’auteur nous écrit « une nouvelle quête de vérité » sur l’écrivain Romain Gary, plutôt sur quelques heures de sa vie le 24 Janvier 1925. L’auteur raconte avoir toujours été subjugué par Romain Gary, ayant lui-même grandi à Nice : c’était comme son héros : « J’ai l’impression d’avoir vécu dans son ombre  et ayant la même ambition, celle de devenir écrivain », dit-il.
Le futur Romain Gary, nommé Roman, a 11 ans et vit dans le ghetto de la ville de Vilnius (nommé Wilno), appelé par les juifs « la Jérusalem de Lituanie »
Il habite avec sa mère, Nina, incarnant l’amour maternel, se dévouant jusqu’au sacrifice pour son fils. Elle reste très frappée par la mort de son premier fils. Elle est aussi une mère un peu fantasque, poétique, débrouillarde, rêveuse…
Il voit son père, Arieh pour des moments furtifs et déstabilisants pour l’enfant (quelques pages émouvantes de discussion  entre les 2 personnages) car celui-ci a quitté le logis familial pour une autre. L’enfant espère toujours qu’il va revenir.
On ne peut qu’admirer comme l’écrivain arrive à se glisser dans ses personnages car les chapitres sont tour à tour titrés : Nina, Arieh et Roman. L’auteur dit avoir fait énormément de recherches dans les biographies écrites sur Romain Gary pour arriver à ce roman où il étudie les liens que le jeune Roman tisse avec sa mère et avec ce père absent.
« Le charme Seksik opère » dit la critique Dominique Bona et on se passionne pour ces trois magnifiques personnages. On peut entrevoir comment Romain Gary écrira plus tard des « chefs d’œuvre  pour rendre grâce à ses parents » et on comprendra « le génie d’un homme torturé qui voulut inlassablement réinventer sa vie ».