lundi 1 avril 2019

Jean-Paul Kauffmann : Venise à double tour (N°1 - Mars 19)

livre venise a double tour Jean-Paul Kauffmann : Venise à double tour - Ed des Equateurs, 2019 - récit et enquête

 Jean-Paul Kauffmann est grand reporter pour « L’événement du Jeudi » lorsqu’il est enlevé et gardé comme otage au Liban de mai 1985 à mai 1988. Il parle peu de son enfermement et n’évoque jamais directement son expérience d’otage dans ses livres précédents. Dans ce récit, il fait un peu plus d’allusions à son isolement de trois ans et surtout aux difficultés de  « cette épreuve qui a transformé mon être profond » dit-il. Ce  sentiment d’enfermement est-il la raison pour laquelle il recherche à Venise les Eglises fermées…

Notre auteur part donc 6 mois à Venise avec l’intention d’en rapporter un livre, en dépit des mises en garde de tous, car « tout ce qu’on peut ressentir a déjà été dit » écrit Mary McCarthy dans son livre « En observant Venise ». Elle recommande « ne pas craindre d’accepter la beauté de Venise telle qu’elle est ». Jean-Paul Kauffmann va s’y attacher mais en voulant fouiller plus que tous et en essayant de faire ouvrir quelques 40 églises fermées au public. C’est devenu même chez lui une « obsession ». Il veut aussi retrouver un tableau vu lors d’une visite précédente, 50 ans plus tôt….
Des amis et connaissances vont l’aider dans cette quête : une restauratrice de tableaux, un ami parisien viticulteur près de Venise, un architecte, une guide touristique, tous décrits avec beaucoup de réalisme (on les imagine…). Il nous fait partager ses rendez-vous plus ou moins réussis avec une bureaucratie « insondable » et le Grand Vicaire « impénétrable »…
Des lectures vont l’accompagner : Lacan, Sarthe, Mary McCarthy, Goethe, Musset, Paul Morand, Hugo Pratt (avec il a visité cette ville et qui lui avait dit ; « Ce sont des lieux d’ombre et de silence. Ils doivent le rester ».
Il fait donc son enquête (« je m’attarde sur des riens qui sont tout » dit-il) et devient un « rôdeur » dans Venise : c’est une extraordinaire promenade que nous lisons avec les odeurs, la lumière « sensuelle et indéfinissable », les bruits (cloches, vaporetto) les sensations, la beauté des jardins, des ruelles, la musique, ses églises désaffectées et fermées, ses chapelles à l’abandon, ses couvents moribonds :  cette Venise « secrète, incertaine, singulière ».
Tout est occasion pour faire des apartés sur lui-même  : il se décrit ainsi : « Je n’ai pas toujours l’air commode », sur son sens olfactif très développé, sur sa façon d’observer, sur son éducation religieuse et son ange gardien, puis aussi sur ses goûts artistiques, sur la musique qu’il aime, sur la façon de déguster du vin,  sur la cuisine italienne etc…
La Croix résume en disant : « Il parvient à renouveler l’approche intime, sensuelle, littéraire, olfactive et sonore de la Serenissime »
L’auteur dit de ses livres : « Mes livres entremêlent l’essai, l’histoire, l’autobiographie, le récit de voyage, l’enquête, la chronique » et ce pour notre plus grand plaisir.



David Foenkinos : Deux soeurs (N°2 - Mars 19)


 Deux soeurs


David Foenkinos : Deux soeurs - 2019, Ed Gallimard -- roman

 Comme beaucoup de lecteurs, j’ai adoré les 13 livres fantaisistes de cet auteur, genre comédies douces-amères, portés par une écriture fluide, légère et pleine d’humour dont le roman, « La Délicatesse », écrit en 2009 et adapté au cinéma en 2011 et le fameux « Charlotte », écrit « comme un chant en vers libres » et racontant sa « rencontre illuminante », dit-il, et sa découverte de l’ artiste-peintre juive allemande Charlotte Salomon (1917-1943) , qui changera sa vue sur l’Art. Cette biographie obtiendra le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens en 2014.

Avec ce nouveau livre, il change de registre et nous écrit un « thriller psychologique » (certains disent un roman noir) assez époustouflant.
Deux parties dans ce court récit :
Dans la première partie, l’auteur plante le décor : les deux sœurs sont Mathilde et Agathe. La première est professeure de lettres dans un lycée. « Elle vit son métier passionnément comme elle vit intensément « l’Education sentimentale » qu’elle décrypte pour ses élèves ». Agathe est conseillère dans une banque , a une fille avec son mari et ils mènent une vie tranquille. Mathilde vient d’être quittée brutalement par son amoureux  après 5 années  d’amour passionnel, le pire étant qu’il retourne avec une  ancienne compagne. C’est pour elle une descente aux enfers, c’est un désastre insurmontable, la rage monte en elle jusqu’à devenir de la haine…
Dans la deuxième partie, Mathilde est recueillie par sa sœur et son beau- frère : cela devient un « huis clos terrifiant » dans cet appartement minuscule…on sent qu’une explosion va arriver…
L’auteur, comme à son habitude, décrit finement  les sentiments de Mathilde et les choses inexplicables qu’elle accomplit. Le style est simple et direct. J’aime particulièrement les notes en bas de pages qui apportent un plus, souvent plein d’humour.
On ne peut s’empêcher de penser au livre « Chanson douce » de Leila Slinami, même genre de roman noir.

Mathias Enard : Désir pour désir (N°3 - Mars 19)

Désir pour désir par Enard Mathias Enard : Désir pour désir - 2018, Cartels, Réunion des Musées nationaux - court récit vénitien

 

Ce « récit vénitien » est un régal de lecture et ce livre une petite merveille : c’est un petit livret de cent pages avec une couverture cartonnée, de belles reproductions de tableaux au début et à la fin sur un beau papier glacé, un papier mat vert foncé entre chaque chapitre, un signet ou cordon de couleur  bordeaux comme marque-page : un petit bijou pour un bel exercice littéraire.
Mathias Enard nous écrit une histoire d’amour qui se passe à Venise au XVIIIème siècle entre Camilla, une orpheline chanteuse de l’Ospedale della Pieta et un jeune graveur, Antonio, au grand désespoir d’Amerigo, son soupirant. Nous parcourons Venise avec eux avec ses piazze, ses ruelles, ses canaux, ses ospidali (écoles de musique). Nous voyons les peintures, nous entendons la musique, nous lisons la poésie de cette époque. Nous apercevons aussi Le Maestro (patron d’Antonio), bon vivant et participant dans ses costumes extraordinaires au célèbre Carnaval.
Le style est moins flamboyant que dans « Boussole » (prix Goncourt 2015) dans lequel l’auteur nous a enchanté par sa fascination pour l’Orient mais on se laisse porter par la simplicité des phrases, par la description des lieux vénitiens, par la douceur de cette ville si bien décrite.
« L’auteur rend ici hommage aux peintres de la Renaissance à qui l’on doit tant de beautés et tant d’images. Il ressuscite la Venise littéraire et fait dialoguer les trois arts : la peinture, la musique et la poésie » (le Monde).
A lire et à offrir…