jeudi 20 décembre 2012

Serge Joncour : L'Amour sans le faire

 COUP DE COEUR

 
Serge Joncour : l’Amour sans le faire – Flammarion, 2012 – roman.
Ce magnifique titre « L’Amour sans le faire » nous laisse à penser que nous allons lire un roman sur les nuances de l’amour. En effet ce roman nous raconte l’évolution des sentiments qui vont de la tendresse vers un sentiment fragile de bonheur et qui finit par l’Amour.

Deux personnages adultes apparaissent chacun leur tour par chapitre et finissent par se rejoindre : deux êtres abimés par la vie, fragiles et tous les deux à un tournant….
Franck, après avoir fui ses origines mais aussi ses parents (avec qui il est resté fâché), sa ferme natale, sa terre, ses rivières, revient dans son village dix ans après la mort par accident de chasse de son frère Alexandre. Il est caméraman à Paris (caméra qui aura de l’importance dans le roman), il a la quarantaine, il a une vie précaire, solitaire, vient de divorcer, sera bientôt sans domicile et a une santé fragile.

Louise, celle qui a aimé et aime encore cet Alexandre, revient aussi à  la ferme pour voir son fils Alexandre (assez troublant d’avoir choisi le même prénom !!) qu’elle a confié à ses beaux-parents. Elle est fragile, bientôt sans travail, sans amis, elle est harcelée par un amant de passage qu’elle n’aime pas et ne veut plus voir mais qui est le père de son enfant alors qu’il n’en connaît pas l’existence.

Ils se rencontrent donc dans la ferme familiale avec l’enfant, à la joie de vivre communicative, qui va servir de lien, de trait d’union. Ils découvrent leurs points communs et un sentiment de paix va les unir….

L’auteur réussit à nous faire ressentir les émotions intimes des personnages dans un style élégant sur un ton juste. On éprouve de la tendresse pour ses deux êtres fragiles dont l’auteur nous fait des portraits magnifiques. Un critique du Figaro dit : « On ressent tout, les fièvres et les odeurs, la chaleur et les sentiments ». En effet les non-dits, les silences, les attitudes nous font comprendre leurs états d’âme avec beaucoup de pudeur et de retenue. On se régalera aussi des descriptions de la campagne, de la vie à la ferme, du voyage en train, de l’abattage du sanglier, du caractère des parents, des portraits des voisins.

Roman magnifique grâce à la « plume à fleur de peau, hypersensible et profonde » de Serge Joncour.

 

Scholastique Mukasonga : Notre-Dame du Nil

Scholastique Mukasonga : Notre-Dame du Nil - Gallimard, Continents noirs, 2012 - roman. Prix Renaudot 2012.

Le roman se passe dans les années 1960-1970, juste après l’indépendance du Rwanda dans un pensionnat catholique. Cet établissement « perché sur la crête Congo-Nil, à 2500m d’altitude » est complètement isolé et les familles espèrent ainsi donner à leur fille une éducation parfaite et privilégiée de bonnes chrétiennes « près du ciel, loin des garçons ». Ce sont des filles de ministres, de militaires haut-gradés, de riches commerçants, surtout des Hutus. Un quota ethnique impose 10% de Tutsis ce qui ne semble  gêner ni les religieuses, ni le prêtre, ni les professeurs occidentaux.

Dans ce « huit-clos », naissent des amitiés, des désirs mais se déchainent des haines, des luttes politiques, des incitations aux meurtres raciaux, des persécutions… Une certaine fille hutue, Gloriosa, déteste les filles tutsies, particulièrement Veronica et Virginia avec leur petit nez fin tel celui de la statue de « Notre-Dame du Nil », leur sainte patronne. On pressent les drames du Rwanda entre les murs de ce lycée et on apprend beaucoup sur la Société rwandaise avec ce mélange de modernité et de croyances ancestrales avec pour toile de fond les prémices du génocide.

L’auteur est tutsie. Elle est hantée par le génocide de 1994 : alors qu’elle habite en France, elle apprend que 27 membres de sa famille ont été massacrés par les Hutus, dont sa mère… Elle a écrit précédemment des récits poignants sur le massacre des Tutsis. C’est ici son premier roman, d’une très belle écriture, directement en langue française. Elle est devenue « la mémoire de la famille » comme lui avait demandé sa mère. « J’écris pour que mon passé ne soit pas le futur de la jeune génération rwandaise » dit-elle.

Frédéric Beigbeder nous en dit ceci : « Dans les années 1970, les élèves tutsies étaient déjà maltraitées par les lycéennes hutues devant des bonnes sœurs belges impuissantes. La barbarie était en marche et, avec elle, l’indifférence qui mène à l’abattoir. »

Beau livre fort et rude dans un style magnifique : « Rarement une fiction aura, avec une telle puissance, permis de comprendre la monstruosité de la réalité » nous dit un critique.

Laurence Tardieu : La confusion des peines

 COUP DE GRIFFE

Laurence Tardieu : La Confusion des peines - Stock, 2011 - roman.

Laurence Tardieu veut dans ce roman (si tant est que ce soit un roman) rompre le silence que lui impose son père sur les événements de leur vie familiale. En effet il y a 10 ans, ils ont vécu un « tsunami familial » : son père, polytechnicien brillant est condamné pour corruption à 24 mois de prison dont 6 fermes, qu’il va exécuter en semi-liberté en 2000. Cette même année, sa mère meurt d’une tumeur au cerveau.

Mais le père et la fille n’arrivent pas à parler de cette période. L’auteur décrit surtout ses propres états d’âme et n’écoute qu’elle-même. Que vit son père ? Que pensent son frère et sa sœur ? Elle ne se pose pas ces questions. Un critique de Match nous dit : « l’auteur confond récit intime et tout à l’égo. » « Ce livre est un pathos larmoyant d’apitoiement nombriliste »..Un peu dur quand même cette critique !
Je pense que ce livre est simplement quelques pages bien écrites sur le silence et les non-dits de cette famille et sert à l’auteur d’exutoire et de libération…

Antoine Sénanque : Salut marie

Antoine Sénanque : Salut Marie - Grasset, 2012 - roman

Pierre, vétérinaire quinquagénaire, dépressif depuis le décès de sa femme, ne s’occupant que de chiens, a, par trois fois, une apparition de la Sainte Vierge. Cela l’entraîne dans des aventures incroyables jusqu’à un pélérinage à Lourdes où il se rend avec son entourage (amis hauts en couleur).

Ce conte plein de fantaisie est très comique mais a aussi un sens profond et émouvant. Beaucoup de sentiments s’entremêlent : insolence, espoir, gentillesse. Beaucoup de questions se posent : sur la mort, la solitude, l’amitié, la vieillesse, la famille.

Le Tout nous est dit avec un « humour décalé » et une « belle écriture émaillée de jeux de mots » (tel le titre).

Bon moment de plaisir que la lecture de ce petit roman humain et drôle.

Annie Degroote : les Racines du temps


Annie Degroote : les Racines du temps - Calmann-Levy, 2011 - roman

Annie Degroote a le talent de nous balader dans le Nord, sa région d’origine  et en même temps, dans ce roman, de nous faire connaître les secrets de la Flandre du XIVème siècle.
Nina, journaliste parisienne, fait des recherches sur la Comtesse Yolande de Flandre, une femme d’Etat exceptionnelle de la fin du XIVème siècle, vivant dans le Nord de la France : le roman se situe entre Esquelbecq, Cassel, la Motte au Bois et Ypres. En faisant cette enquête, notre héroïne va suivre les pas d’Insbette, jeune bâtarde née à Cassel et découvrir les conjonctions astrales qui les unissent : même sensibilité, même désir de connaître la vérité sur sa naissance….

On découvre donc Insbette vivant au Moyen Age, curieuse et combative, amie d’un maître verrier, puis dame de compagnie de Yolande de Flandre et enfin élève d’un vieux juif érudit astrologue. On découvre aussi Nina au XXème siècle, qui a besoin de faire une pause dans sa vie de couple, qui rencontre Florian, maître verrier…et se lie d’amitié avec le couple chez qui elle loue sa chambre d’hôte à Esquelbecq.
Cette balade flamande est très intéressante aussi bien au point de vue historique (on sait qu’Annie Degroote se documente énormément) qu’au point de vue romanesque. L’auteur a beaucoup d’imagination pour décrire des personnages attachants, des aventures palpitantes et une réflexion sur la tolérance et les rapports entre les Hommes et les Femmes à différentes époques.

Annie Degroote conclut une interview en faisant un parallèle entre la fin du XIVème et aujourd’hui : « C’est une société qui va mal, qui vit une crise morale, religieuse et politique, ce qui provoque une montée de la violence et de la peur. En même temps, il y a une montée de la spiritualité et des autres Eglises. C’est vraiment une période charnière. »

Ce roman est très réussi, donne envie de visiter cette région et nous procure un bon moment de détente.