dimanche 7 février 2021

Gaëlle Josse : Ce matin-là -(N°1-Janv 2021)

 

Gaëlle Josse : Ce matin-là - 2021, Notabilia - roman

Gaëlle Josse est une écrivaine que j’aime beaucoup, « venue à l’écriture par la poésie » : à lire absolument : « Le dernier gardien d’Ellis Island » paru en 2014, « Une femme à contre - jour » (fiche N°2 de mai 2019 dans ce blog), « Une longue impatience » (fiche N°1 de juin 2018), chacun de ces livres ayant remporté des prix. Elle me touche au plus profond par son écriture délicate, sa façon d’approfondir les états d’âme de ses personnages avec acuité et de décrire les émotions de la vie.

Clara est une jeune femme pleine d’énergie mais l’on comprend dès le début que son travail dans une société de crédit lui devient insupportable, la stresse, ce qui rend ses relations amoureuses et amicales compliquées. C’est donc « une histoire simple d’une vie qui a perdu son unité, son allant, son élan ».  Ce « burn-out », cette « fêlure » comme dit l’écrivaine, rend Clara non plus « vaillante » mais « vacillante » : « une lettre en plus qui dit l’effondrement », écrit-elle, une lettre qui « la cisaille, la tranche » puis plus loin « au fond aimer sans i devient amer » (que de belles idées sur les mots). On assiste à la remontée à la surface de Clara qui retrouve sa lucidité et son énergie grâce à un séjour chez une amie d’enfance à la campagne. C’est comme un nouveau printemps où « tout revient en force et en joie » comme dans la chanson écrite en tête de chaque chapitre : « Nous n’irons plus au bois…Cigale, ma cigale, allons, il faut chanter…Entrez dans la danse, sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez » …

A la suite de ce récit , chacun peut s’interroger « sur ses choix, ses désirs et sur la façon dont il faut parfois se réinventer pour pouvoir continuer » (4ème de couverture).

 

Tracy Chevalier : La brodeuse de Winchester (N°2-Janv 2021)

Tracy Chevalier : Les brodeuses de Winchester- 2020, Ed. Quai Voltaire - Roman


On ne peut oublier l’immense succès de « La jeune fille à la perle » paru en 2000 de cette même écrivaine ainsi que La dame à la Licorne (2003), La vierge en bleu (2004), L’innocence (2007), Prodigieuses créatures (2010), La dernière fugitive (2013), A l’orée des vergers (2016). Cette auteure est souvent comparée à Jane Austen pour son écriture, ses personnages et son humour très anglais (comme j’aime…)

Nous sommes dans les années 1930. Notre héroïne, Violet Speedwell, est une célibataire comme beaucoup de femmes de son époque, la guerre en 1917 ayant tué beaucoup de jeunes hommes comme son fiancé et son frère Georges. Elle se doit de se dévouer à Southampton auprès de sa vieille mère d’humeur difficile, irascible et exigeante. Ses seules distractions sont quelques soirées avec des « partenaires de sherry » (expression so british !!!).

Mais elle décide de s’émanciper et quitte cette vie de vieille fille dans la maison familiale et part habiter dans une pension à 20 km de chez sa mère à Winchester, devient dactylo et vit de son maigre salaire. Elle rencontre le Cercle des Brodeuses de la cathédrale, communauté rassemblée autour de la charismatique Louisa Pesel, personnage véridique, fondatrice de  ce groupe. Elle apprend avec passion les « petits points » qui créeront « des agenouilloirs et des coussins » pour adoucir les longues stations à genoux des fidèles venus prier. Elle se noue d’amitié avec des Brodeuses du groupe, féministes et émancipées mais aussi avec les sonneurs de cloches, particulièrement un… « Nous allons des points minutieux brodés sur les agenouilloirs aux envolées célestes des cloches » (La Croix).

Ses deux activités sont décrites avec un talent remarquable, d’autant que sûrement beaucoup de lecteurs ignoraient ces ouvrages de l’ombre, les unes maniant les couleurs, les dessins, les fils de laine et nombreuses sortes de petits points différents, les autres maniant avec force, adresse et harmonie les cordes des cloches, deux « univers fascinants et exaltants ».

Une lecture douce avec des personnages attachants, des découvertes passionnantes et le destin de l’héroïne, féministe avant l’heure dans cette Angleterre si conservatrice.

 

Patti Smith : L'année du Singe (N°3 - janv 2021)

L'année du singe

Patti Smith : L'année du Singe - Gallimard, 2021 - récit  autobiographique

 

Patti Smith, née en 1946, est une chanteuse et une musicienne de rock, une poétesse et écrivaine, une peintre et une photographe américaine.

Pour rappel : Patti Smith est une chanteuse très célèbre : elle crée le « Patti Smith Group », avec qui elle enregistre Horses en 1975 et sort des singles et des albums (le tube « Because the night » sort en 1978). Elle épouse Fred Sonic Smith avec qui elle aura deux enfants. Elle s’éloigne de la scène de 1980 à 1988 pour les élever. Elle reprend alors la scène et devient une star du Rock and Roll. Elle est aussi écrivaine : des textes quelque fois autobiographiques : j’ai beaucoup aimé « Just Kids » (2010)  dans lequel elle évoque sa relation magnifique avec son complice Robert Mapplethorpe : fiche dans ce blog N°3 – Nov 2019.

Patti Smith est aussi une écrivaine extra-ordinaire : cette « rock star » réussit dans ce livre à faire le compte-rendu de son année 2016 « entre rêve et réalité », précédant l’année de ses 70 ans au cours de l’année du Singe. « Soixante-dix. Un simple nombre mais qui indique le passage d’un pourcentage significatif du temps alloué dans le sablier »… Au fil des pages, le lecteur vit le quotidien de l’écrivaine le plus souvent lors de pérégrinations aux USA  qui commence à Santa Cruz  en Californie : ses repas détaillés dans les « diners », ses nuits improbables n’importe où, ses pensées vagabondant sur sa « famille de fantômes » aimés  et admirés pendant qu’elle voyage aux quatre coins des Etats-Unis pour y rencontrer ses amis de cœur, l’un mourant à l’hôpital (pages superbes), l’autre en fin de vie qu’elle aide à écrire son dernier « manuscrit » dans son ranch du Kentucky, et beaucoup d’autres rencontres inattendues, intéressantes et étonnantes.

Elle ne cède pas à la mélancolie et écrit en fin de récit cette phrase (page 172) : « Mon frère est mort. Ma mère est morte. Mon père est mort. Mon mari est mort. Mon chat est mort. Et mon chien, mort en 1957, est toujours mort. Et pourtant je persiste à penser que quelque chose de merveilleux est sur le point de se produire. Demain peut-être. » Elle « tisse avec pudeur et mélancolie la toile de cette année particulière marquée par des bouleversements intimes et politiques (l’investiture de « l’ insupportable escroc aux cheveux jaunes ») sans jamais  s’abandonner à l’apitoiement ni au désespoir » nous dit l’éditeur.

Ce livre a un format particulier (presque carré), de belles feuilles de papier mat, une couverture à rabats et il est agrémenté des photos très variées en noir et blanc prises par Patti Smith avec son appareil photo Polaroïd « aux soufflets enfoncés » (l’enseigne d’un Motel, son lit avec un drap chiffonné, un singe au sanctuaire Hie-jinja, le Stetson de son ami Sam, la tapisserie de la « Licorne captive », l’ « adoration de l’agneau mystique »).

Je me suis laissée porter par ce carnet de bord très personnel que nous dévoile cette artiste qui me touche beaucoup. Un excellent moment d’évasion