jeudi 27 octobre 2016

Audur Ava Olafsdottir : Le rouge vif de la rhubarbe (n°1,oct 2016)


 livre le rouge vif de la rhubarbe


Audur Ava Olafsdottir : Le rouge vif de la rhubarbe - Ed. Zulma, 2016 - roman islandais.

 

 

Audur Ava Olafsdottir  m’a déjà enchantée avec son roman Rosa Candida paru en 2010 et 2015 (Ed. Zulma) et en  poche en 2016. Elle fut en 2010 finaliste du prix Fémina et a obtenu le Grand Prix des lectrices de Elle.
Cette auteure islandaise sait décrire « la vie ordinaire » avec une écriture merveilleuse et simple aussi bien pour les descriptions des personnages que celles des magnifiques paysages de son pays et celles des oiseaux qui le survolent. Ce livre vient de paraître en France mais il est le premier qu’elle a écrit.
Le héros de ce roman est Agustina, une jeune ado de 14 ans qui fait de grands projets bien qu’armée de béquilles. « Quand on est une adolescente handicapée, on apprend à aborder les choses d’une autre manière. On voit ce que les autres ne voient pas avec une intensité peu commune. » (Le Monde). Espiègle, drôle, arrogante, solitaire, n’en faisant qu’à sa tête, elle m’a émue profondément. Sous des apparences légères, cette jeune fille nous donne une leçon du dépassement de soi. En même temps, elle recherche ses origines : sa mère est très loin et lui écrit des lettres touchantes, son père a disparu avant sa naissance et elle en  tire    une philosophie de vie peu ordinaire. Elle est élevée par  Nina une amie de sa mère : une pure merveille de nounou.
On lâche ce livre calme et doux difficilement car on s’attache à cette Agustina.
Le style est délicat, poétique, tout en harmonie : chaque mot est pensé et traduit avec minutie.
Ce livre court est un petit bijou de littérature.


Amélie Nothomb : Riquet à la houppe (n°2 oct 2016)

Amélie Nothomb : Riquet à la houppe - Albin Michel, 2016 - roman

  livre riquet a la houppe

Je ne suis pas une fan d’Amélie Nothomb et ne lis pas systématiquement son roman de l’année qui parait inévitablement à la rentrée littéraire, ce qui vaut à cette auteure atypique une large couverture médiatique.
Cette année, le thème qu’elle a choisi me plaisait : ce roman est inspiré d’un conte de Perrault « Riquet à la houppe » paru dans « Histoires ou contes du temps passé » en 1697 et a pour thème la rencontre de la belle et la bête, pourrait-on dire…
Nous suivons l’histoire de deux couples qui viennent d’avoir chacun un enfant. L’un des  enfants sera un  garçon, Déodat, surdoué au physique affreux aussi bien le visage que le corps, entouré de parents aimants et intelligents, l’autre sera une fille, Trémière, d’une beauté exceptionnelle que l’on dit stupide mais à voir…c’est une observatrice silencieuse élevée par une grand-mère géniale et originale.
Que de sujets abordés dans cette version moderne du conte ancien. L’auteure nous donne son point de vue décalé sur tout. Nous allons suivre l’évolution des bébés, leur croissance, leurs premiers pas, l’acquisition du langage, les résultats scolaires, l’école avec les problèmes de la cour de récréation puis l’orientation de ces deux enfants devenus adolescents qui ont pris du recul et ont tout compris de leur potentiel.
Déodat se passionne d’ornithologie ce qui nous vaut des pages magnifiques sur les oiseaux, plus particulièrement la huppe fasciée devenu un hiéroglyphe mais aussi sur les oiseaux « parisiens ».
Trémière, qui sera initiée par sa grand-mère à l’étude des sensations apportés par les bijoux, deviendra mannequin-main et cou. Pages superbes aussi sur les bijoux.
Nos deux héros se rencontrent évidemment…
Quelle imagination, quelle belle écriture, légère et précise, quelle analyse des personnages, quelle fantaisie et quel humour.

Sylvain Tesson : Sur les chemins noirs (n°3 oct 2016)

livre sur les chemins noirs Sylvain Tesson : Sur les chemins noirs -  Gallimard, 2016 - récit

 La presse a beaucoup parlé de la chute de l’écrivain Sylvain Tesson du toit d’un immeuble de Chamonix : cela lui a valu « quatre mois ferme, sans remise de peine » dit-il, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Ayant vu à la télévision depuis son lit d’hôpital un journaliste parlant de la parution d’un rapport gouvernemental sur « l’hyper-ruralité », Sylvain Tesson se fait le serment, s’il s’en sort debout, « d’aller boiter le long de cette diagonale du vide » (Match) qui traverse la France pour connaître La Ruralité. Il part des Crêtes du Mercantour à la frontière italienne pour arriver au Cotentin en ayant traversé la Durance, le Vivarais, les Cévennes, le Cantal, le Berry, la Mayenne etc…
J’ai suivi son parcours sur un atlas routier en trouvant les petits villages mentionnés le long du récit : ce n’est pas une petite marche… c’est un exploit que de faire quelquefois jusque 40 km dans la journée en boitant, en ayant mal au dos, en couchant à la belle étoile, en faisant des dénivelés incroyables surtout au début du périple dans les montagnes et les gorges…. Chapeau !
Que de petits chemins, que de sentiers, que de forêts avec les bruits, les odeurs, les rencontres, « par les champs et par les grèves » dirait Flaubert mais aussi « par les ZUP et par les ZAC » ajoute Sylvain Tesson. Evidemment après avoir écrit « Berezina » et « Dans les forêts de Sibérie » qui se passaient dans les grands espaces russes, l’auteur a du mal à admettre les petits espaces morcelés et « la mondialisation » actuelle. « Quand on cultive un terroir pendant deux mille ans, il n’est pas facile d’habiter un village mondial »…dit-il.
Il y a beaucoup d’humour et d’autodérision mais aussi beaucoup de mélancolie dans ce très beau récit émouvant. L’auteur reste meurtri de la bêtise de sa chute qui le rend handicapé et désabusé de se rendre compte que le modernisme va avaler nos campagnes, que nous sommes un monde en danger, que la ruralité française est menacée. Mais espérons que les chemins noirs tracés sur la carte IGN l’auront aidé à chasser ses idées noires. « Sylvain tesson a su tirer de cette longue balade un récit bref mais puissant, celui de la reconquête physique, d’une reconstruction intime » (Lire).

Leila Slimani : Chanson douce (n°4 oct 2016)


livre chanson douce

Leila Slimani : Chanson douce - Gallimard, 2016 - roman

On parle d’un roman « saisissant et audacieux », moi je dirai un roman genre thriller psychologique tragique, très angoissant, « sur la maternité et l’aliénation domestique à l’ère de l’émancipation de la femme ». Une nounou, qui parait bien sous tous rapports, « le chignon sur la nuque, la démarche inimitable, agile et tremblante » va tuer les deux enfants dont elle a la charge. On le sait dès le début, le livre commençant par cette phrase : « le bébé est mort ».
« Dans une narration haletante, parfois éprouvante, l’auteur décortique le cheminement psychologique de la nounou » nous écrit une critique de Match. En effet l’auteur « remonte le fil des événements qui ont conduit à cette fin tragique » (La Croix). Cette nounou, Louise, vit seule, n’a personne : un mari mort et enterré, une fille disparue. Tous l’ont abandonnée. Elle réussit à prendre une place prépondérante dans la vie du jeune couple, à se rendre indispensable, à créer un lien privilégié avec la jeune maman (étude très réaliste sur la relation mère-babysitter). Par des signes annonciateurs, le lecteur sent le glissement progressif du comportement de Louise. Le jeune couple ne peut plus se passer d’elle, même en vacances, même lorsqu’il commence à se rendre compte que cette emprise est nocive, même quand la dépendance devient irréversible et que les relations se dégradent devant « la soumission silencieuse » de Louise qui n’est que haine et jalousie envers ce couple.
Avec sa belle écriture directe fine qui va droit au but, sans sensiblerie et « son talent narratif incroyablement féroce » (Elle), l’auteure aborde beaucoup de sujets profonds : les préjugés de classe et de culture, les différences sociales, les méthodes d’éducation différentes à chaque époque, la montée de la jalousie, l’émancipation de la femme et sa difficulté à gérer travail et enfants, la relation entre employeur-employé.
Cette lecture n’est pas une chanson douce « c’est même exactement l’inverse, sa lecture peut provoquer des cauchemars » (Le Monde)…