lundi 30 novembre 2020

Serge Joncour : Nature humaine (N°1, nov 2020)

Serge Joncour : Nature humaine - 2020, Flammarion - roman

 

 Nature humaine

 Serge Joncour, grand costaud (« son physique de marin breton pourrait être aussi bien celui d’un bucheron » La Croix) a eu du mal à rester tranquille durant les deux heures de l’émission La Grande Librairie  du 21 Octobre où il était invité pour présenter son dernier roman « Nature humaine ». On l’imagine bien à la campagne bien que, désormais, il habite Paris, retournant souvent dans SON pays… dit-il puis il continue : « j’ai donné ce titre parce qu’il n’y a pas la nature d’un côté et l’homme de l’autre, c’est un tout ».

Le 2 Novembre 2020, il a reçu le Prix Femina et dit : « Ma joie de recevoir ce prix est un peu neutralisée par notre environnement actuel. Ce prix, c’est donc une joie blessée…Je reçois un prix prestigieux alors qu’on ne peut se rendre dans les librairies… » (France Info)

Ce livre absolument passionnant nous fait faire une petite révision de l’histoire de France, depuis la canicule de 1976 jusqu’à la grande tempête du 28 décembre 1999. C’est un roman rural et l’auteur veut nous prouver « qu’il y a des agriculteurs heureux qui aiment leurs terres et veulent rester à la campagne », dit-il, mais il traite aussi de la rupture croissante entre l’Homme et la Nature. Le récit se situe loin de tout, au fin fond du Lot « aux Bertranges », exploitation des Fabriers depuis quatre générations. Alexandre, le héros du roman, est le fils du propriétaire de ce domaine. Il a 16 ans au début du récit et nous suivrons par ses yeux et pensées trente ans de l’évolution de la vie rurale et aussi de lutte sociale. Ses parents exploitent la ferme, élèvent des vaches allaitantes donc veaux et pâturages, plus le potager de leurs parents installés dans « un pavillon moderne » dans la vallée. Alexandre a trois sœurs qui quitteront la ferme et son isolement dès qu’elles le pourront. Lui y restera car il aime sa terre, ses vaches, ses pâtures, ses cultures et plus : il dit « être agriculteur, c’est travailler sans cesse ; ça suppose d’être à la fois éleveur, soigneur, comptable, agent administratif, vétérinaire, maçon, mécanicien, géologue, diététicien, zoologiste, chimiste, paysagiste et tout un tas de choses encore » mais aussi « Dès le Mardi, on a fait ses trente-cinq heures »…

En 1976, beaucoup d’activités s’arrêtent aux Bertranges à cause de la sécheresse (dernière récolte de safran par exemple) mais d’autres « choses » apparaissent : la télévision et la vie devant cette boite noire pour le JT de 20h ; l’excursion à l’hypermarché en périphérie de Cahors ; la rencontre d’Alexandre avec un groupe d’activistes « antinucléaires ; le projet de construction de l’autoroute qui traverserait le pays dès 1980 ; le dernier meeting du candidat Mitterrand à Toulouse le 10 mai 1981 ; l’explosion  de la centrale de Tchernobyl et le nuage radioactif ; la visite d’Alexandre à une communauté sur le Larzac ; les relations amoureuses d’Alexandre avec une écolo, Constanze, venant d’Allemagne « le pays coupé en deux » (elle lui dit que sa façon à elle d’aimer la nature consiste à la défendre…) mais aussi elle aborde avec lui le problème du Sida et des préservatifs ;  les rencontres d’Alexandre avec un vieux, le Père Crayssac, vivant auprès de ses chèvres et de son bois qui cache un « secret qui sauvera le coin » et qui martèle cette phrase : «  le Progrès c’est comme une machine, ça nous broie ».

Que de thèmes abordés et quelle densité d’émotions, de réflexions et de questions majeures : dans quel monde souhaitons-nous vivre ? Quel rapport voulons- nous entretenir avec la Nature ?

On imagine qu’il pourrait y avoir une suite sur les 20 années suivantes…

David Foenkinos : La famille Martin (N°2 - Nov 2020)

 

 David Foenkinos : La famille Martin - 2020, Gallimard - roman 

 

  David Foenkinos est un écrivain, dramaturge et scénariste que j’aime beaucoup. Ces romans sont une détente littéraire, souvent pleins d’humour et d’autodérision. Il a dit récemment dans une interview : « Toute vie réelle est plus intéressante qu’une vie imaginée. Je pars donc dans la réalité » … mais que penser ? Il réalise en tout cas « un spectaculaire et jubilatoire numéro d’équilibriste entre le réel et la fiction »  (RTL), tel qu’il est difficile de démêler le vrai du faux. Cette comédie sentimentale qui s’attache au réel est un bon moment de lecture.

Son héros, son double, un auteur « mélancolique et désabusé » est à cours d’inspiration. Une idée fixe ou plutôt un défi le mène dans la rue : « Tu descends dans la rue et tu abordes la première personne que tu voies et elle sera le sujet de ton livre » : aussi vite dit, aussi vite fait. Notre auteur rencontre donc « La famille Martin » et devient en quelque sorte leur Psy (a dit l’auteur dans l’émission de Claire Chazal Passage des Arts).

En premier, il rencontre Madeleine Tricot- Martin, femme âgée, (ayant travaillé dans la couture dans les ateliers de Karl Lagerfeld, ce qui nous vaut quelques anecdotes bien vues). Elle vient de perdre son mari mais avoue rêver de rencontrer son amour de jeunesse. Qu’à cela ne tienne, notre narrateur-héros part avec elle aux USA le retrouver.

Valérie Martin, sa fille, mariée, deux adolescents, professeure, est « en mauvaise passe » avec tracas de couple et problèmes existentiels. Son mari, Patrick, va être viré de son boulot dans les assurances par son patron qui le harcèle. Les deux ados sont extrêmement bien vus et décrits avec leurs problèmes spécifiques à leur âge ingrat. « En se livrant à l’auteur et en mettant des mots sur leur destin », ils vont tous résoudre leurs problèmes et reprendre « les rênes de leur existence » (Elle).

Le tout pourrait paraître banal mais l’écriture savoureuse « pleine de fraicheur », d’humour et d’originalité rend ce roman très agréable à lire et en fait un excellent moment de détente : « une joyeuse récréation littéraire ».