lundi 2 décembre 2019

Jonathan Coe : Le coeur de l'Angleterre (N°2 - Nov 2019)

Jonathan Coe :  Le coeur de l'Angleterre - Gallimard, 2019 - roman anglais

 Le cœur de l'Angleterre


C’est une grande fresque de l’histoire immédiate de l’Angleterre (2010-2018), une chronique sociale marquée par le Brexit. On y retrouve les personnages de la famille Trotter, une famille de classe moyenne, déjà évoquée dans « Le testament à l’anglaise » écrit en 1994 puis dans « Bienvenue au club » en 2004 (les années Thatcher) puis dans « Le cercle fermé » en 2007 ( époque Tony Blair)
Les héros de ce roman participent donc à tous les événements qui ont lieu en Grande-Bretagne à l'époque actuelle : Benjamin, quinquagénaire rêveur et désengagé (ne serait-il pas un peu l’auteur…) qui écrit un roman ; sa sœur, Loïs, qui ne supporte plus son mari mais ne divorce pas ; la fille de celle-ci, Sophie, thésarde, intello et son mari totalement différent puisque moniteur d’auto-école, donc ayant des idées opposées sur le Brexit ; le père de Ben et Loïs, le vieux british parfait, conservateur pur et dur ; Doug, le copain d’enfance de Ben, chroniqueur politique de gauche et sa fille, ado extraordinaire de vérité..
« Les tensions montent dans le pays comme dans la famille Trotter » : quelques chapitres sont mémorables et sont des tableaux de vie écrits avec une ironie implacable, un ton satirique impitoyable et une drôlerie excellente : la fièvre enthousiaste en regardant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de juillet 2012, les émeutes d’août 2011 à Birmingham, un séjour de Sophie à Marseille, les problèmes de Benjamin pour faire éditer son livre, le mariage atypique de Sophie et son mari de milieu social très différent, les travers et l’ambiance d’une croisière, les retrouvailles d’anciens copains de classe, la visite d’une jardinerie de quelques hectares d’openfields où les mobiliers de jardin se déploient à perte de vue, le stage de rattrapage de points au permis de conduire, les problèmes des relations père - fille ado – ex femme, les questions de boulot, de migration, d’homosexualité et évidemment la grande question du British Exit : le Brexit.  De plus, comme nous dit Le Monde « L’auteur ne dissimule pas tout à fait son opposition à l’égard du Brexit…et il ne parvient pas à faire oublier que ce roman est écrit par un partisan du « Remain ».
L’auteur britannique "facétieux" est toujours aussi caustique, intimiste et « montre toute l’étendue de son talent de chroniqueur à l’ironie féroce » (Figaro)

Patti Smith : Just kids (N°3 nov 2019)


Just kids


Patti Smith : Just kids -  2010, Ed Denoel puis 2013, Gallimard - biographie

 

Patti Smith, née en 1946, est une chanteuse et une musicienne de rock, une poétesse et écrivaine, une peintre et une photographe américaine.
Elle écrit ici une autobiographie de ces années de jeunesse et de celle de Robert Mapplethorpe qu’elle rencontre fortuitement à Brooklyn à l’âge de 20 ans et avec qui elle vivra une vie de bohème « sur la voie de l’art ». Ce sont des années intenses de créativité dans l’univers de l’écriture, de la poésie, du rock and roll et du sexe. Le récit commence par une histoire d’amour entre les deux artistes et se poursuit par une histoire d’amitié indéfectible : « Ils insufflèrent à leur vie la même énergie qu’à leur art ».
Patti Smith sera une chanteuse très célèbre : elle crée  le « Patti Smith Group, avec qui elle enregistre Horses en 1975 et sort des singles et des albums (le tube « Because the night » sort en 1978). Elle épouse Fred Sonic Smith avec qui elle aura deux enfants. Elle s’éloigne de la scène de 1980 à 1993 pour élever ses enfants. Elle reprend la scène en 1988 et devient une star du Rock and Roll.
Robert Mapplethorpe (1946-1989) sera photographe, après avoir vécu de son art en faisant des tableaux par collage et peinture. Ses photographies  seront des portraits en noir et blanc très stylisés et des photos de fleurs et de nus masculins.
Ce récit est en même temps une description de la vie New-yorkaise de 1960- 1970.
Cette édition parue en 2010 est augmentée d’une postface de Patti Smith, hommage de l’auteur à Robert Mapplethorpe, que je vous copie :
« On a dit beaucoup de choses sur Robert et on en dira encore. Des jeunes hommes adopteront sa démarche. Des jeunes filles revêtiront des robes blanches pour pleurer ses boucles. Il sera condamné et adoré. Ses excès seront maudits ou parés de romantisme. A la fin, c’est dans son œuvre, corps matériel de l’artiste, que l’on trouvera la vérité. Elle ne s’effacera pas. L’homme ne peut la juger. Car l’art chante Dieu, et lui appartient en définitive. »

Sylvain Tesson : La panthère des neiges (N°1 - Nov 2019)

Sylvain Tesson : La panthère des neige - Gallimard, 2019 - récit : Prix Renaudot 2019

La presse a beaucoup parlé de la chute de l’écrivain Sylvain Tesson du toit d’un immeuble de Chamonix lors d’une soirée bien arrosée : cela lui a valu « quatre mois ferme, sans remise de peine » dit-il, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et cela l’a fait beaucoup réfléchir, cogiter et changer d’optique de vie ce qu’il a expliqué dans son beau livre « Sur les chemins noirs » lors de sa traversée de la France  à pied en guise de rééducation physique.
Avec « La panthère des neiges », il vient de recevoir le Prix Renaudot et ce livre obtient un énorme succès.
Ici le voilà parti au Tibet avec le photographe Vincent Munier qui lui avait « parlé de l’insaisissabilité des bêtes et de cette vertu suprême : la patience ». On va voir comment les quatre aventuriers ont fait preuve de cette patience. Car ils sont quatre : ce sont joints à eux la fiancée de Vincent, Marie, « la fille au corps souple, cinéaste animalière, éprise de vie sauvage et de sport rapide » et Léo, ayant interrompu « sa thèse de philosophie pour devenir aide de camp de Munier ».
La panthère des neiges
Leur objectif : voir la panthère des neiges. Mais avant l’apparition, nous observerons avec eux, dans la première moitié du récit, beaucoup d’autres animaux admirablement bien décrits par l’auteur : des yacks (« qui ponctuaient les versants  de leurs grosses bourres de laine noire »), des ânes sauvages (les Kiangs ou Hémiones), des renards, des loups (« les trois loups traçaient, fiers, souverains, impunis, irréfutables »), des antilopes, des gazelles, des Pikas, (nom des chiens de prairie tibétains), des chèvres bleues,  des aigles royaux, des gypaètes, des faucons, des vautours… le tout au milieu de paysages extraordinaires à 4000m d’altitude ou plus et par moins 30 degrés ou plus. Chaque lieu de bivouac est différent : les tentes, une bergerie ou « trois baraques de torchis grandes comme des cabanons de plages »…
Impossible de raconter les « apparitions » : il FAUT les lire.  L’auteur décrit LA panthère d’après une photographie que Vincent lui montre avant de partir : « La bête mariait la puissance et la grâce. Les reflets électrisaient son pelage, ses pattes s’élargissaient en soucoupe, la queue surdimensionnée servait de balancier ».
Comme à son habitude, l’auteur ponctue son récit de considérations artistiques, littéraires, philosophiques avec les références et confirme son « art du portait serré, de la formule qui claque, de la chute sans appel ».
Un excellent moment de lecture pour tout âge et une bonne idée de cadeau de Noël…