mardi 21 mai 2013

Paul Auster : Chronique d'hiver

Paul Auster - La vie qui passe

Paul Auster : Chronique d'hiver - Actes Sud, 2012 - Documentaire littéraire.

Est-ce une autobiographie ? Un documentaire? Des Mémoires? Un recueil ?  Les critiques sont unanimes pour dire que « Chronique d’hiver » est « une œuvre littéraire dont la forme est inédite ». En effet Paul Auster nous dit dans un entretien avec François Busnel (Revue Lire de mars 2013) : «  Ce livre est composé de fragments autobiographiques avec la structure d’une œuvre musicale ». Ainsi Paul Auster choisit de nous raconter ses souvenirs sans chronologie. Les époques se chevauchent, s’en vont, reviennent selon des associations d’idées.
C’est l’histoire  d’un américain né après la guerre, de son enfance choyée, de sa jeunesse solitaire et nomade, étudiant « en quête de jouissance physique », de son séjour en France, de ses blessures physiques et morales, de sa passion pour le base-ball puis de l’adulte qui affronte des épreuves (mort prématurée de son père, mort soudaine de sa mère aimée dont il est incapable de faire le deuil jusqu’à ce livre), des joies (la rencontre en 1981 de son grand amour, la romancière Siri Hustvedt, la naissance de leur fille).

A tout âge, il reste un homme sensuel, en quête de sensations et pour qui le corps tient une place primordiale : « C’est toujours ton corps qui a repris à son compte le fardeau de tes batailles internes » écrit-il. Ce corps, qui, jeune, lui semblait invulnérable, commence, à 64 ans, être plus fragile et aborde « l’hiver de la vie ». Ce passage entre la jeunesse et le début de la vieillesse le hante : « C’est là dans ton corps que commence l’histoire et c’est aussi là, dans ton corps, que tout se terminera »….un peu trop mélancolique peut-être ???

Le seul passage chronologique est la description de ses 21 logements, si bien écrit qu’on imagine aisément l’auteur dans chaque lieu : un régal d’écriture.
Paul Auster emploie la deuxième personne du singulier, ce « tu » nous le rend très proche. Il voulait une « sorte de partage avec le lecteur ». «  Le « tu » implique le lecteur de façon très forte et lui permet de repenser à sa vie à lui », dit-il. Il veut susciter en nous des réflexions personnelles. Est-ce un pari réussi ? Je le pense. «  Ma mission d’écrivain, c’est de faire ressentir ce qu’est un être humain »…

C’est donc un bouleversant récit personnel, honnête, sincère, réaliste, « sans concession » et une belle leçon de vie. L’absence de cohérence est un peu déroutante mais ce livre reste un véritable plaisir de lecture et un terrain de réflexion personnelle.
Est-il utile de rappeler que l’on peut relire avec toujours autant de plaisir la Trilogie New-Yorkaise, Moon Palace et Leviathan (prix Médicis étranger 1993) en poche ainsi que Sunset Park (Actes Sud 2011, Actes Sud poche Avril 2013).

 

Joan Didion : Le Bleu de la nuit


Le bleu de la nuit

Joan Didion : Le Bleu de la nuit - Grasset, 2013 - roman autobiographique.

Ce livre est considéré comme roman. Je pense que c’est plutôt une biographie poignante de l’auteur qui se pose maintes questions sur la mort et surtout celle de sa fille Quintana à l’âge de 39 ans : «  « Est-il malheur plus grand pour les mortels que de voir mourir leurs enfants » a écrit Euripide » nous rappelle l’auteur. « Il s’agit pour l’auteur de s’expliquer à elle-même un fait opaque, totalement scandaleux et inexplicable de la mort d’un enfant » écrit Florence Noiville dans Le Monde.

Joan Didion nous égraine avec simplicité et sincérité les moments de sa vie avec sa fille et de là, pose des questions sur l’adoption, la maternité, l’enfance, l’adolescence, le mariage puis sur la maladie, la vieillesse, la mort ce qui entraîne une réflexion sur la mélancolie, l’absence, les regrets, les doutes, la fragilité, la peur, la douleur maternelle.
L’adoption de cette petite fille lui a apporté beaucoup de joies mais aussi de doutes « Et si je me révèle incapable d’aimer ce bébé ? ». Elle évoque avec lucidité les changements apportés à sa vie de couple à la venue de cet enfant.

L’enfance de Quintana se passe sur les plateaux de cinéma et dans les grands hôtels avec ses parents artistes : ce furent des années lumineuses mais on sent déjà les failles et les angoisses : cauchemars de l’enfant puis de l’adolescente : « Je voudrais juste m’enfouir sous terre et m’endormir » dit la jeune fille….Cette enfant était taraudée par des peurs qu’elle transmettait à sa mère qui se pose la question : a-t-elle eu une enfance privilégiée ou sacrifiée ????
Le mariage de Quintana est décrit avec ce souvenir plusieurs fois répété dans ce récit comme une musique : « l’épaisse natte qui lui tombait dans le dos était piquetée de fleurs de stephanotis » Quelle belle image !

Puis ce fut une maladie soudaine (pas d’explication sur le nom de la maladie) et la mort : « Ce n’était pas censé lui arriver » (phrase musicale souvent répétée aussi dans ce récit magnifique). Ce passage est poignant mais Joan Didion ne veut pas s’apitoyer sur son sort… Quel courage.
La fragilité de sa fille, Joan Didion la ressent maintenant avec le vieillissement dont elle repousse les limites : « Garder le cap au-delà de l’endurance ». Les dernières pages sont bouleversantes lorsque l’auteur nous dit « la peur de perdre ce qui reste à perdre ».

L'écriture sèche, précise, lumineuse de l'auteur se prête à merveille à tous ces questionnements et les répétitions de certaines phrases dans des circonstances différentes (et si??) donne un rythme et une musique au texte. L'auteur a "une capacité à mettre des mots sur son ressenti le plus intime". Un critique ajoute : "le Bleu de la nuit est d'une certaine manière la bande-son d'un deuil : belle expression.

Ce magnifique livre de réflexion intense est renversant et poignant : à lire en ce sens

 

 

Bretrand Leclair : Malentendus


Malentendus - Bertrand Leclair

Bertrand Leclair : Malentendus - Actes Sud, 2013 - roman (témoignage)


Bertrand Leclair, père d’une enfant sourde, écrit un récit de ses réflexions sur cet handicap et sur l’évolution et la façon de l’aborder au cours du siècle précédent. Il met en scène un père et une mère, découvrant la surdité de leur fils Julien, âgé d’un an en 1960. La Mère, se sentant coupable, va avoir un total dévouement pour cet enfant mais sans se poser de questions et suivant les directives de son mari. Le Père ne voudra suivre que les préceptes de Graham Bell, célèbre inventeur du téléphone MAIS aussi grand défenseur de l’ « oralisme » : réussir à faire parler l’enfant à tout prix « sur fond mystique religieux et d’eugénisme naissant ».
Il est dramatique de savoir que le langage des signes fut longtemps interdit (jusque dans les années 1980) et considéré comme une « mimique animale ».
L’enfant va grandir dans la terreur des séances de dressage et de torture pour l’apprentissage de la parole, dans la honte de porter son appareillage et dans l’ignorance de l’existence d’autres sourds. Devenu adolescent, il s’enfuit à Paris et devient un intellectuel respecté mais un homme aigri et révolté. Il ne reverra jamais ses parents et ne leur donnera jamais de ses nouvelles. A leur mort, la rencontre avec son frère et sa sœur est dramatique.
La force de l’auteur est de vivre le problème de ce handicap. Il connaît à fond la question ainsi que la bataille des partisans de l’oralisme et de ceux de la langue des signes. On devine qu’il a trouvé le bonne solution pour sa fille, maintenant adolescente mais ne donne pas la solution : « Alors que je viens de passer le nez à la porte de la chambre de ma fille, seize ans après avoir vécu comme un tremblement de terre la découverte de sa surdité, elle m’accorde d’un éclat de rire le droit d’évoquer la chance dans ce livre dont elle partage l’existence….Son rire et sa présence, sa soif d’amour et sa puissance de vie, la douce plénitude, parfois, de nos échanges….c’est aussi avec les mains, c’est aussi avec les yeux qu’on peut tenter d’apprendre , peut-être, à parler l’amour ».

Très beau témoignage à travers ce roman qui nous fait connaître le monde des sourds, bien que l’écriture soit parfois déroutante.

 

Jussi Adler-Olsen : Miséricorde



MiséricordeJussi Adler-Olsen : Miséricorde - Albin Michel, 2011 ou Poche, janvier 2013 - Roman policier scandinave



Le titre de ce roman policier en danois est « La femme en cage »  et un prologue-choc nous fait comprendre tout de suite la raison de ce titre. En effet tout au long du livre, s’alternent des chapitres sur la vie de Merete enfermée dans un caisson pressurisé depuis 5 ans et sur l’enquête que mène un inspecteur sur la disparition de cette femme qui, en politique, incarnait l’avenir du Danemark dans le parti démocrate.

L’inspecteur est un danois, flic blasé et désabusé, mis sur la touche après un accident de son équipe et chargé de diriger la Section V, département des affaires non-élucidées, installé dans les sous-sols de la criminelle. On lui adjoint un homme à tout faire, un drôle de petit bonhomme, syrien, réfugié politique, malin, observateur et débrouillard. Ils deviennent complémentaires et vont élucider la disparition de notre Merete.

Ce duo d’enquêteurs est vraiment sympathique et attachant. L’ironie et l’humour sont sans cesse présents. Le rythme ne faiblit pas, l’angoisse est garantie et la lecture oppressante oblige à lire ce thriller d’une traite. On retrouve tout ce que les fans de polars scandinaves aiment. Ce policier a d’ailleurs eu le prix du meilleur polar scandinave. L’auteur connaît donc un grand succès avec  « Section V », série comptant déjà 4 tomes, un seul ayant été traduit en français.