mercredi 17 décembre 2014

Patrick Modiano : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

livre pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

Patrick Modiano : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Seuil, 2014 - roman français


L’écrivain Patrick Modiano a reçu le 10 décembre 2014 du roi de Suède, le plus prestigieux des prix littéraires, le prix Nobel de littérature, au Stockholm Concert Hall devant 1250 invités. L’Académie suédoise a distingué l’écrivain et son œuvre « où la petite musique rejoint la grande » et « pour l’art de la mémoire avec lequel il a fait surgir les destins les plus insaisissables et découvrir le monde vécu sous l’Occupation nazie ». Il est le 15ème lauréat français de ce prestigieux prix, J. M. G. Le Clézio, l’ayant reçu en  2008.    Il dira, entre autre dans son discours : « J’ai des liens très fort avec la Suède. La première fois qu’un de mes romans a été traduit, c’était en suédois et j’ai un petit-fils suédois »…Il reçoit ce prix « comme un coup de baguette magique » dit-il.

C’est évidemment « dans une rue de Paris » que le romancier a appris la nouvelle qui l’a « touché », même si elle était « …bizarre ». Il parait « tout embarrassé » de cet honneur. Beaucoup d’articles ont paru sur lui à cette occasion bien sûr mais il est amusant de voir comme il désarçonne les journalistes. Je reprends quelques passages de la rencontre de Patrick Modiano avec l’Académicien Jean-Marie Rouart : « Il reste immuable : long jeune homme évanescent, incrédule devant la bourrasque du succès, le geste imprécis avec de grands bras qui font des mouvements de sémaphore…Il demeure tout aussi empêtré dans ses phrases que dans son triomphe. Son accueil est désarmant de gentillesse et de prévenance…Qu’importe, après tout, qu’il fasse le désespoir des journalistes s’il fait le bonheur des lecteurs…Il parle comme on écrit, en raturant les mots, en raturant les phrases, en corrigeant sans cesse son expression, en la biffant… ».

L’auteur est « un somptueux mélancolique » et un solitaire qui se cache. D’ailleurs en Mai 2013, paraissaient ses œuvres réunies en un volume dans la collection « Quatro » : sont rassemblés dans ce livre 10 romans et des documents présentant l’auteur avec photos familiales et confidences mais l’auteur disait alors qu’il craignait « que les documents assemblés en début d’ouvrages viennent anéantir le flou, si beau, de ses textes. Qu’un trop plein de lumière fasse fuir les ombres qui les peuplent ». Patrick Modiano nous parait en effet très solitaire : ses personnages lui servent-ils de compagnie « comme des ombres surgies de son passé, transfigurées par le processus d’autobiographie, rêvées ou imaginaires ? ».  Dans les derniers textes du « Quatro », « la frontière entre vécu personnel et mémoire imaginaire s’efface dans une même incertitude, à la manière d’images filmiques ». Patrick Modiano n’a t-il pas déclaré qu’il n’avait « jamais eu  l’impression d’écrire des romans mais de rêver des morceaux de réalité qu’il essayait ensuite de rassembler tant bien que mal ? » Incroyable, NON ??

Si vous n’avez pas l’habitude de lire des « Modiano », ce n’est peut-être pas idéal de commencer par « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » qui, pour moi, reste une histoire floue sur le thème du souvenir que l’on ne peut effacer de sa mémoire. Si vous aimez cet auteur, vous retrouverez tout ce que l’on peut aimer chez lui : quête identitaire, chasse aux souvenirs, héros mélancolique et solitaire, ambiance nonchalante, douceur diffuse, le tout dans une écriture pleine de charme et envoûtante.

Le narrateur, écrivain solitaire d’une soixantaine d’années, vivant dans une réclusion volontaire, est joint au téléphone par un couple étrange qui veut le rencontrer pour lui remettre en mains propres son carnet d’adresse qu’il avait perdu dans le train. Au téléphone, « la voix molle et menaçante » se fait pressante. Sur ce carnet figure nom et adresse d’un personnage que veut connaître le couple et qu’a connu notre écrivain. Ce nom fait ressurgir en lui un passé qu’il avait cru oublié et qui est enfoui dans une valise mais « par chance » il en a perdu la clef… Que faire de ses souvenirs quand ils se dérobent « comme des bulles de savon ou les lambeaux d’un rêve ?». Les souvenirs ramènent notre héros aux années 50 quand il est enfant : « mystérieuses allers-venues, visites nocturnes, murmures comploteurs, crissements de pneus sur les graviers » dans une maison près de Paris, vie parisienne pendant laquelle l’enfant erre dans les rues avec dans sa poche un papier avec son adresse « Pour que tu ne perdes pas dans le quartier », une femme qui lui sert de mère de substitution et vraisemblablement plu tard d’amante ??? Que de mystères, que de secrets enfouis, que d’ombres du passé…La fin du livre est floue mais révèle la grande solitude et le désarroi d’enfant abandonné qu’il fut probablement, l’auteur mélangeant souvent histoire personnelle et création littéraire. Le critique de Match conclura en disant : « Ces souvenirs qui se dérobent sont ceux d’un enfant qui ne veut pas se rappeler l’abandon qui l’a plongé dans la peur ».

J’ai beaucoup aimé les phrases courtes et simples avec des mots qui sèment le trouble et cette brume romanesque qui n’appartient qu’à lui. J’ai beaucoup aimé aussi le Paris des années 50 qui se superpose au Paris d’aujourd’hui. J’ai beaucoup aimé la mélancolie, « la petite musique triste qui accompagne ses personnages semblant appréhender l’éclat du soleil ou la clarté trop vive de la réalité »….On aura compris : j’aime beaucoup l’œuvre de Patrick Modiano.

 

 

Dominique Bona : je suis fou de toi

livre je suis fou de toi ; le grand amour de paul valery

Dominique Bona : Je suis fou de toi - Grasset, 2014 - biographie.

Le 23 Octobre 2014, Dominique Bona a été la huitième femme à entrer à l’Académie Française, superbement habillée selon les règles mais dans une tenue « Chanel haute Couture » quand même….Dominique Bona est une critique littéraire très reconnue et appréciée et un écrivain que j’aime beaucoup pour ses biographies dans lesquelles elle nous fait découvrir le côté intime et caché de ses personnages. Elle dit d’ailleurs cette phrase amusante : « J’ai arrêté d’écrire des fictions quand j’ai compris que la vraie vie est infiniment romanesque. La réalité dépasse presque la fiction. Ecrire des biographies me permet de vivre d’autres vies que la mienne ». On ne peut oublier ses remarquables biographies sur Stephan Zweig, Camille et Paul Claudel, Berthe Morisot et Clara Malraux dont j’ai fait des fiches dans ce blog.

Ici elle relate la vie et le dernier grand amour de Paul Valéry : Jeanne Voilier (ou Loviton). La première partie du livre met en parallèle  leurs deux vies.

Lui est le poète de la raison et de la volonté, de la lucidité. Toute sa vie il a lutté contre les passions. Il se veut être un bon mari (il a épousé Jeannie en 1900), un bon père et grand-père de famille, un bon professeur au Collège de France, un poète couvert de gloire, un académicien depuis 1925. C’est un travailleur acharné. Il a quelques aventures particulièrement avec l’écrivain Catherine Pozzi avec qui il a une belle complicité intellectuelle dans l’entre deux guerre mais cela ne met pas en péril sa vie de famille.

Elle, Jeanne Voilier, est une femme émancipée pour l’époque : elle est avocate, femme d’affaire car éditrice avec son père, divorcée, libre, indépendante et…infidèle.

Leur rencontre a lieu en 1938. Commence alors la deuxième partie du livre. Lui est âgé de 66 ans : « le cœur de l’écrivain est vite emporté par la belle qui sait recevoir en déshabillé de soie ». Elle a 34 ans. Elle est éblouie. «C’était un grand esprit, une intelligence supérieure mais aussi un homme plein de charme et d’humour » dit Dominique Bona dans un article du Figaro. « Il l’a prise dans ses bras, il l’a aimée. Jeanne est sa drogue » nous dit Dominique Bona. Paul aime le luxe et la beauté qui entourent Jeanne. L’amour qu’il éprouve pour elle dépasse en intensité tout ce qu’il a vécu jusque-là  mais Jeanne l’aime-t-elle autant ? On peut en douter car on devine qu’elle a d’autres amants…Leur passion et leurs rencontres sont évidemment contrariés par la guerre qui les sépare. Valéry note avec inquiétude « des signes d’attiédissement ». L’auteur nous décrit si bien comment les événements influencent leur histoire d’amour et tourmentent Paul Valéry qui vieillit et souffre dans son corps et dans son être alors que Jeanne, plus jeune, surmonte les épreuves plus facilement.

Lentement leur relation se dégrade. On apprend que Jeanne voit toujours Jean Giraudoux. Le sait-il ? Puis elle rencontre l’éditeur Robert Denoël qui sait la protéger, ce qu’elle recherche depuis la mort de son père. On se sent triste lorsqu’on apprend que le véritable homme de la vie de Jeanne fut cet éditeur, Dominique Bona ayant eu le talent de nous attacher à Paul et Jeanne. Le Dimanche de Pâques 1945, elle lui déclare son intention d’épouser l’éditeur. C’est le coup de grâce : il se laissera quasiment mourir : « Tu sais bien que tu étais entre la mort et moi » lui dit-il…Il meurt désespéré le 20 juillet 1945 et a des funérailles nationales.

Il est intéressant de savoir que Dominique Bona a pu compulser les 452 « missives enflammées » écrites par le poète entre 1937 et 1945 et récemment publiées qui « nous montre un Paul Valéry amoureux fou jusque dans la niaiserie. Il est à ses genoux, implorant, suppliant, regrettant, jouissant des quelques heures volées » (Figaro). On dit que les lettres envoyées à Catherine Pozzi ont été brulées à sa demande à sa mort en 1935 mais elles seraient, parait-il retrouvées ???. L’auteur a aussi évidemment étudié les « Cahiers » de Paul Valéry et les 150 poèmes écrits par le poète à sa muse. Elle en joint quelques-uns dans la dernière partie de la biographie, ce qui donne un plus à ce livre.

J’ai beaucoup aimé la façon avec laquelle Dominique Bona nous fait entrer dans l’intimité des deux personnages et nous décrit merveilleusement le milieu des écrivains de la première moitié du 20ème siècle et celui des peintres, Berthe Morisot étant parente de la femme du poète. Sa plume est toujours aussi élégante. « Elle a mis toute son érudition, sa sensibilité et son élégance dans cette biographie passionnée » dit un critique.

Pascale Hugues : La robe de Hannah

livre la robe d'hannah


Pascale Hugues : la robe de Hannah - Ed Les Arènes,2014 - Document

Pascale Hugues est une journaliste française et habite Berlin depuis vingt ans. Elle mène une enquête sur les personnes ayant habité sa rue (« rue tranquille dans beau quartier ») depuis sa construction en 1904 à l’extérieur de Berlin dans une banlieue appelée Schöneberg. Actuellement cette rue est dans un quartier résidentiel et commerçant dans la partie Sud-Ouest de Berlin.

« J’ai passé beaucoup de temps à observer ma rue et à comprendre mon pays d’adoption à travers elle : elle m’a appris les rapports des Allemands à la nature, à l’ordre, à l’autorité, à leur passé difficile », nous dit-elle. En effet nous allons découvrir des personnes très différentes à diverses époques.

En 1904, les entrepreneurs font comme à l’époque « luxe à l’avant, simplicité à l’arrière » et les immeubles disposent d’un « niveau de confort incomparable ». La rue est détruite à 80% durant la Guerre 39-44, reconstruite rapidement  et réhabitée par des personnes plus modestes mais la rue reste passante et active des années 1960 à 1989 puis une nouvelle vie l’anime après la chute du Mur. C’est dans ce quartier que se situe le fameux KaDeWe, grand magasin dans les années 1950 et maintenant le deuxième plus grand centre commercial d’Europe !!!

Nous allons suivre la vie de plusieurs propriétaires et locataires d’appartements d’immeubles de cette rue. L’auteur réussira à en trouver plusieurs : Elle rencontre, à Berlin, Lilly qui vivra dans cette rue dès 1920 avec ses parents puis avec son mari et son fils. Ils sont de familles juives bourgeoises et elle aime raconter sa vie mondaine avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir puis comment ils ont échappé à la déportation en travaillant à l’hôpital de la Iranishe Strasse, la seule institution juive ayant survécu à la période nazie. Il faut savoir que 106 juifs de cette rue furent déportés et exterminés durant  cette période. Elle rencontre, à Haïfa, Miriam Blumenreich dont la fille était éducatrice de jeunes enfants dans cette rue et qui ont émigré vers la Palestine. Elle rencontre, en Californie, John Ron habitant désormais dans une résidence pour personnes âgés : il a travaillé dans un kibboutz en 1942, y apprend la mort de sa mère en déportation et partira aux USA sans jamais revenir à Berlin. Il conserve des souvenirs précis de la période heureuse de son enfance dans sa rue. Elle rencontre, à New York, Hannah, devenue professeur de danse et porteuse de la fameuse « robe de Hannah » qu’elle donne à l’auteur, 73 ans après l’avoir portée….Elle rencontre, à Berlin, Frau Soller, ancienne vendeuse au fameux magasin KaDeWe…

L’auteur nous fait ainsi revivre la vie de Berlin au 20ème siècle. La vie de chaque personnage se lit comme un roman mais beaucoup de passages sont trop longs et trop détaillés et on a un peu de mal à se repérer dans le temps. Les paragraphes en Allemand sont évidemment traduits et imprimés en italique mais il y a encore beaucoup de mots et phrases en allemand ce qui doit rendre la lecture difficile pour des lecteurs ne connaissant pas la langue.

 

mardi 25 novembre 2014

David Foenkinos : Charlotte

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David Foenkinos : Charlotte - Gallimard, 2014 - roman français


Comme beaucoup de lecteurs, j’ai adoré les 13 livres fantaisistes, genre comédies douces-amères, de cet auteur portés par une écriture fluide, légère et pleine d’humour dont le roman, La Délicatesse, écrit en 2009 et adapté au cinéma en 2011.

Dans ce livre, nous allons retrouver sa belle écriture mais plus singulière : ce livre est « comme un chant en vers libres », un genre de poèmes en prose avec, donc, de courtes phrases terminées par un point : « J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer. Alors j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi. » nous dit-il dans ce roman puisqu’il y mêle l’histoire, en notant  ses propres réflexions, recherches et investigations.

MAIS ici il a changé de sujet : il y a une dizaine d’années, David Foenkinos fait « une rencontre illuminante ». Il éprouve un genre de coup de foudre pour l’artiste-peintre méconnue Charlotte Salomon en voyant une exposition de ses œuvres. Il décide, après de nombreuses recherches au sujet de sa découverte de nous faire partager sa passion.

Cette femme juive est née en 1917 à Berlin dans une famille bourgeoise. Son enfance puis sa vie sont marquées par une succession de tragédies et de malédictions. On ressentira dans toute son œuvre le mal-être de la jeune femme suite à ces drames. Jeune fille, elle tombera amoureuse du professeur de chant de sa belle-mère. Il sera son mentor et son grand amour. Il l’aidera beaucoup lorsque, malgré sa judéité, elle rentre aux Beaux-Arts de Berlin en 1937. Elle reprendra alors confiance en elle grâce à sa passion pour cet homme et pour la peinture. Elle dit elle-même que la rencontre avec Alfred lui procure « l’esquisse d’une folie – une folie douce et docile, sage et polie, mais réelle ». Elle doit s’enfuir de l’Allemagne nazie en 1938 pour le Sud de la France où elle rejoint ses grands-parents, laissant parents et amour (elle n’aura plus jamais de nouvelles d’Alfred). Elle est incarcérée avec son grand-père en 1940 puis relâchée, ensuite elle est arrêtée et sauvée par un policier en 1942.

C’est à ce moment-là qu’elle sent l’urgence de s’exprimer par la peinture. Elle fera en peu de temps 800 gouaches autobiographiques légendées de textes et de partitions, « une œuvre lumineuse, pleine de grâce et de légèreté ». Elle intitulera ce travail « Vie ? ou Théâtre ? ». En confiant ses œuvres à un ami avant d’être déportée, elle dira « C’est ma vie » « Cela rejoint la définition de Kandinsky « créer une œuvre, c’est créer un monde » nous écrit David Foenkinos.

 Elle rencontre à cette époque son deuxième amour qui deviendra son mari, Alexandre Nagler et c’est enceinte, à l’âge de 26 ans, qu’elle sera gazée an 1943 à Auschwitz.

David Foenkinos nous offre un superbe portrait de femme et d’artiste avec ce récit sobre et puissant, où l’on sent qu’il y met beaucoup de lui-même, de sa sensibilité et de sa sincérité : c’est ce qui rend ce livre bouleversant, singulier et original.

Marei-Hélène Lafon : Joseph

livre joseph Marie-Hélène Lafon : Joseph - Ed Buchet.Chastel, 2014 - roman court.

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Le personnage principal de ce court roman a pour prénom Joseph, « un doux, un brave, comme on dit ». Il est ouvrier agricole dans une ferme du Cantal et c’est un homme silencieux qui vieillit en solitaire. Il est courageux, doux avec les gens comme avec les bêtes, ne se plaint jamais. Il s’applique à bien faire son travail, à ne pas déranger ses patrons qu’il respecte et s’habitue à être seul avec ses pensées qui l’amènent souvent dans son passé : la vie avec ses parents et son frère jumeau parti maintenant en ville tenir un café, son amour pour Sylvie il y a 30 ans et le passage de sa vie où il a « plongé dans la bibine » quand elle l’a quitté, le départ de sa mère chez son frère. Il réfléchit sur l’évolution de la vie à la campagne désertée par les jeunes attirés par la ville.

 Il a tout prévu : sa vieillesse dans une maison de retraite à Riom, la valise qu’il y emportera avec toutes ses affaires personnelles et l’argent pour ses obsèques dans une enveloppe.

 Le mot juste, le vocabulaire adapté et les phrases non ponctuées rendent la lecture fluide et sensuelle. Certains passages sont succulents : l’arrosage des géraniums, la démarche d’un homme ivre, la patronne faisant ses mots croisés…

La belle écriture de l’auteur, « aux accents flaubertiens » disent certains critiques, fait de ce roman un moment de lecture très agréable.

Astrid Wendlandt : L'Oural en plein coeur

Astrid Wendlandt : L'Oural en plein cœur - Albin Michel, 2014 - témoignage


livre l'oural en plein coeur ; des steppes a la taiga siberienne


L’auteur est une journaliste franco-canadienne amoureuse de la Russie dont elle parle la langue et passionnée par les peuples en voie de disparition et les civilisations oubliées comme, dans ce récit, les dernières tribus autochtones de l’Oural.

Les deux premiers chapitres nous plongent dans la vie ou plutôt la survie de l’auteur à Tcheliabinsk, en 1995, date à laquelle elle rencontre un chanteur de rock, Micha.

Quinze ans après en 2010, elle espère le retrouver dans la même ville devenue « dépotoir post-soviétique »,  mais il est « victime de maîtresse vodka » mais en Russie, dit-elle « on ne donne pas de leçon de morale ». Il est marié mais elle part quand même avec lui pour une tournée de concerts en copine. Elle a perdu son amour de jeunesse mais elle en rencontre un autre : « un homme élancé avec des faux airs de Pan et yeux bleu azur, cachés par une tignasse brune » : Dima. Celui-ci lui propose de la conduire vers Arkaïm où elle veut découvrir des tribus ancestrales. Au cours des chapitres, on devine l’amour qui grandit entre les deux personnages : magnifique évolution de leurs sentiments, très bien écrite, délicate, prude : « Dima est un amour qui a bondi sur moi » dit-elle.

Ils partent donc pour explorer la chaine montagneuse de l’Oural du Sud au Nord. Quelle aventure ! « Les journées dans l’Oural passent comme un éternuement » dit-elle. On veut bien le croire. C’est en voiture, puis en train, en bus, à pied, en petit avion, en aéroglisseur qu’ils font leur périple. Il est surprenant de voir comme l’un ou l’autre ont toujours une connaissance dans le coin.

Découvertes donc de villages aux isbas chatoyantes, d’une « chirurgienne en énergies », d’un guide croyant à la montagne mystique et aux vapeurs curatives du Yangan et surtout d’une communauté libertaire : ce sont des partisans d’Anastasia, une chamane de la taïga sibérienne qui préconise un retour à la terre. Leur projet est fondé sur la solidarité et non sur cette expression anglaise « me, myself and I » pour désigner les égotistes. Cette façon de vivre attire particulièrement Dima.

Puis arrive la déception en redécouvrant dans l’Oural Polaire menacé par le cupidité et la mondialisation.

Magnifique aventure que j’ai suivie avec grand enthousiasme, admirant notre aventurière et les conditions  de son périple que j’aurais apprécié de suivre sur une carte plus précise.

Yasmina Reza : Heureux les heureux

livre heureux les heureux  Yasmina Reza : Heureux les heureux - 2014, Gallimard Folio (format poche) - roman français


Yasmina Reza écrit dans ce roman psychologique « une comédie humaine cruellement juste ». L’auteur nous a déjà prouvé dans ses œuvres, théâtrales entre autres, jouées dans le monde entier, qu’elle savait observer la personnalité des hommes et des femmes qui l’entourent (Conversations après un enterrement- poche, 1987).

Ici elle nous dresse le portrait de dix-huit personnages d’âge et de milieu différents dont les vies se croisent et s’emboitent. Ainsi elle aborde les sujets qui lui sont chers : amour, amitié, vie de couple, vie de famille, mort et des sentiments très variés : tendresse, complicité, violence, haine, lassitude…

Chaque chapitre a pour titre un nouveau personnage, le couple Toscano étant le centre de ces histoires croisées. Le premier chapitre les décrit en train de faire leurs courses au Super-marché et leur dispute devient tragi-comique. Viennent ensuite les parents de Madame Toscano, les « vieux », un pianiste accompagnant sa mère pour une séance de radiothérapie (la conversation dans la salle d’attente est succulente), des amis des Toscano, un couple fusionnel, cachant la vie de leur fils qui a des délires graves, un journaliste persuadé que « être heureux, c’est une disposition », un chauffeur d’une actrice célèbre et cette actrice elle-même etc…

Chaque petit chapitre est bien ficelé, bien rythmé, drôle, cynique, assez réaliste. Ils se déroulent sans paragraphes, même pour les dialogues…et sont écrits à la première personne MAIS il est très difficile de repérer les liens entre eux et la situation finale est tirée par les cheveux…
En résumé, ce sont 18 petites nouvelles succulentes.

mardi 28 octobre 2014

Alice Ferney : Le Règne du vivant

livre le regne du vivant

Alice Ferney : Le règne du vivant - Actes Sud, 2014 - roman français

Alice Ferney publie souvent des romans à base psychologique et sociologique sur le couple, la famille, les  relations humaines mais elle aime aussi nous surprendre avec des thèmes tout à fait différents comme avec « Dans la guerre » sur un soldat et son chien pendant la guerre 1914-18 et « Passé sous silence » sur l’essai d’attentat sur de Gaulle au Petit Clamart en Août 1962.

Ici elle nous étonne en écrivant un roman militant, posant la question du devenir de notre terre et s’engageant à fond dans une démarche écologique.

Un journaliste norvégien est le narrateur de cette histoire : il s’embarque sur le bateau de l’Association Gaïa avec le fondateur de ce mouvement pour filmer et prouver la pêche illégale en zone protégée de l’Arctique aux mers du sud, de l’Antarctique  à l’Alaska. Il découvre une « guerre moderne » avec des enjeux énormes : commerciaux pour les uns, écologiques pour les autres…Il y a des moments forts et impressionnants.

Deux grands moments de descriptions exceptionnelles entre autres :

-        La course contre la montre pour protéger, préserver le monde marin et stopper le pillage des mers par tous les moyens. Le chef de l’expédition, considéré « comme un preux » par tous les volontaires embarqués, va loin : « Rien n’endort ni sa colère, ni sa volonté. Il m’a fait découvrir la lutte » écrit l’un des marins. L’équipage a une admiration sans limites pour ce chef qui, en plus d’une volonté sans failles,  est « une bête de scène », champion de la communication.

-        Alice Ferney a vraiment un don pour nous faire découvrir la beauté du monde marin avec une écriture magnifique. Par exemple, la description « auditive » des cris des baleines : « J’écoutais ces modulations inattendues. Des petits cris aigus de bébé, des piaillements, des brames rauques, des grésillements que s’entêtent, des grincements de portes, de grands souffles comme celui des chevaux, des beuglements, des barrissements marins, de petits rots, des gloussements, des couinements, des trilles, des bruits de pets, de ballons dégonflés….. » Quelle merveille !!!

Alice Ferney, par la voix de son journaliste, s’engage à fond  en posant mille questions sur la « force et la valeur de l’engagement ». Elle exprime « avec vigueur et enthousiasme cette lutte farouche pour la survie des espèces et leur vulnérabilité » (dans LIRE).

J’avais eu la chance de passer une journée avec Alice Ferney en Mars 2011 et avais apprécié sa simplicité pour nous expliquer son rapport à l’écriture : « La vie passe, le livre reste : le livre est une création, une fabrication artisanale, un ouvrage d’art. » Elle le prouve bien dans ce roman et on imagine les nombreuses recherches qu’elle a dû faire pour réussir à écrire ce plaidoyer.

Je suis sortie enthousiaste de la lecture de ce roman engagé qui montre notre responsabilité dans la sauvegarde des océans et du « règne du vivant » et la nécessité de préserver la terre des dangers auxquelles l’activité humaine l’expose. Ce roman ne peut laisser personne indifférent.

Taiye Selasi : Le Ravissement des innocents


livre le ravissement des innocents

Taiye Selasi : Le Ravissement des innocents - Gallimard (du monde entier), 2014 - roman étranger.

Les premières pages de ce roman sont impressionnantes puisque l’auteur nous plonge dans la tête d’un homme pendant les cinq minutes qui précèdent une crise cardiaque et sa mort. Cet homme est Kweku, ghanéen, émigré aux Etats-Unis, devenu un célèbre médecin puis retourné au Ghana. Sa vie défile devant lui : elle nous est racontée dans le détail par flashbacks, parfois difficiles à dater : son enfance, son village, sa sœur cadette morte en jeune âge puis ses études aux Etats-Unis, son mariage avec la belle nigériane, Folasadé, leur vie aux Etats-Unis, la naissance de leurs quatre enfants puis l’injustice professionnelle dont il fut victime sans doute à cause de sa couleur de peau et qui a bouleversé sa vie puisqu’il a choisi de fuir et de retourner dans son pays natal au Ghana laissant sa famille qui s’est alors « disloquée ».

En apprenant que quelque chose est arrivé à leur père, les quatre enfants, dispersés géographiquement et se voyant peu, viennent au Ghana : le clan se reforme. Ils y retrouvent leur mère formidable personnage étonnant : elle sait rien qu’en palpant son ventre si ses 4 enfants vont bien où qu’ils soient. Ah, les mères africaines…Chaque enfant évoque sa vie actuelle, ses souvenirs d’enfance très perturbée, ses ruptures, ses dépressions et plus…L’aîné Olu devenu médecin est venu avec sa femme qui s’intègre difficilement à la tribu, les jumeaux étranges et fusionnels : la belle Taiwo et l’artiste Kehinde et la petite dernière Sadie, née avant terme et sauvé par son père toujours un peu jalouse des autres…Ils ne voient pas leur père avant sa mort mais découvrent son pays, sa nouvelle vie au Ghana…

« Mots, sons, images, tout s’y télescope » dit un critique du Monde et c’est ce qui embellit ce livre dont l’écriture est magnifique, poétique, imagée et rythmée. On imagine que l’auteur met une partie d’elle-même dans les sentiments et les sensations de ses personnages décrits avec tant d’émotion, de tact et de sincérité.

L’on sait que Toni Morrison a parrainé Taiye Selasi et que ce livre paru l’an dernier à New-York a eu un succès fou. Il est traduit en français depuis peu et l’on peut imaginer un pareil succès en France à Taiye Selasi pour son premier roman original.

Jennifer Clément : Prières pour celles qui furent volées

livre prieres pour celles qui furent volees   Jennifer Clément : Prières pour celles qui furent volées - Flammarion, Août 2014 - roman étranger

La première partie de ce roman se passe dans les montagnes de Guerrero au Mexique. Y vit une adolescente de 14 ans, Ladydi, à laquelle on va immédiatement s’attacher car l’histoire est racontée à la première personne et ses sentiments, ses idées paraissent tellement réels et sont si bien décrits que l’on est surpris. On plonge dès les premières lignes dans la vie intime de cette jeune femme. Le village de Ladydi est séparé du pays par une autoroute hideuse « en forme de cicatrice » et vivent là-haut des femmes courageuses, victimes de la barbarie des Hommes. Leurs maris sont partis tenter leur chance aux Etats-Unis et elles sont définitivement abandonnées ou attendent le retour du mari comme la maman de Ladydi…Les femmes élèvent donc seules leur famille, surtout leurs filles qui doivent se cacher pour ne pas être volées par les trafiquants de drogue qui déboulent en 4x4. Ladydi raconte donc son enfance déguisée en garçon, le départ de son père, le vol d’une de ses meilleurs amies, sa mère devenue alcoolique, ses conditions de vie désastreuses mais elle nous montre un tel courage, une telle envie de s’en sortir, une telle  volonté  de ne pas se laisser abattre que j’ai été subjuguée, d’autant que ce coin de pays et les conditions de vie de ces femmes m’étaient totalement inconnus.

Dans la  troisième partie,  Ladydi est en prison à cause d’une sombre histoire de meurtre commis par un ami qui l’emmène pour un travail à  Acapulco (racontée dans une courte deuxième partie). Nous découvrons alors l’univers carcéral incroyable de tristesse mais magnifique de solidarité entre les femmes de tout milieu et de tout genre.
Ladydi nous raconte ses deux mondes avec humour et malice et c’est l’écriture de ce roman qui m’a beaucoup plu : la description des paysages désolés dans la montagne, l’environnement lugubre, les portraits réalistes et sans concession de toutes ses femmes, toutes magnifiques dans leur genre, courageuses à l’extrême, l’ambiance de la prison, la description des cellules. Cette écriture est visuelle, auditive, olfactive. L’atmosphère est si réaliste que l’on ne peut être que bouleversé.

Le seul petit bémol est que le premier et le troisième chapitre se passent dans deux mondes totalement différents et pourraient faire deux nouvelles séparées, le seul lien étant notre héroïne.

Livre bouleversant.

Richard Ford : Canada

Richard FordRichard Ford : Canada - Format poche : Points, 21/08/2014 - roman étranger.

Richard Ford a une prédilection pour décrire la « middle-class américaine » comme dans sa trilogie pour laquelle le roman « Indépendance » a reçu le prix Pulitzer en 1996. Dans « Canada », il nous fait un portrait émouvant du jeune Dell Parsons, cet adolescent ordinaire qui vit dans les années 1960 au cœur du Montana à Great Falls,  dont les parents braquent une banque,événement qui fait basculer sa vie…. : première phrase du roman : « Je vais vous raconter le hold-up que mes parents ont commis »

Dell, devenu professeur d’université vieillissant, à l’âge de 66 ans, nous raconte sa vie à la première personne, faisant parler l’enfant puis l’adolescent qu’il fut et tente de comprendre rétrospectivement le sens de cet événement insensé.

Une première partie nous dresse le tableau de l’ambiance familiale pesante qui règne dans leur modeste pavillon de cette ville maussade. Les parents forment un couple ordinaire quoique plutôt mal assorti : Neeva, mère juive, une minuscule femme brune et myope, ayant renoncé à sa religion, est enseignante et vit « un mortel ennui » près de son mari Bev, un grand gaillard souriant, ancien officier de l’US Air Force, qui s’est embarqué dans un trafic de viandes volées. Berner, la sœur jumelle de notre héros, est une adolescente, plus mûre que son frère, plus révoltée, plus forte. Nous vivons le quotidien de cet enfant soumis et « sage »  auprès de parents complètement déboussolés. Cette partie est nécessaire pour comprendre la suite du personnage de Dell… 

Pour cause de dettes, ce ménage s’improvise braqueur d’une banque avec une « naïveté confondante ». Le Hold-up foireux capote et Neeva et Bev se retrouvent en prison. Dell nous dit : « Leurs règles gouvernaient notre conduite et déterminaient tout ce que nous faisions. Maintenant ils étaient partis et leurs règles avec eux. »

Berner fugue comme on pouvait le prévoir et Dell trouve refuge, en passant la frontière, au Canada grâce à une amie de sa mère afin d’éviter les services sociaux et d’échapper à l’orphelinat. Ce sera la deuxième partie de ce roman. En un instant Dell passe dans le monde des adultes pour lequel il n’est pas du tout préparé et doit réagir devant le sentiment d’abandon total. Il va travailler dans le petit hôtel d’Arthur Remlinger, homme mystérieux, charmeur et manipulateur, un « ancien anar américain qui s’est réfugié dans un coin paumé pour fuir son passé », coin sauvage et inhospitalier mais d’une nature magnifique dans la Saskatchewan. Il croisera une infirmière bienveillante, un indien antipathique, apprendra à chasser, à travailler dans cet hôtel dans des conditions précaires. Il nous dit : « C’était une vie entièrement nouvelle pour moi qui n’avais connu que les bases de l’Air Force et les villes dont elles dépendaient, les écoles, les maisons de location…pour moi qui n’avais jamais eu d’astreintes ni vécu d’aventures, qui n’avais jamais passé une journée entière seul »…

 Ce sera l’apprentissage de la vie  face à la solitude, à la cruauté, à l’indifférence des adultes, à la complexité du monde. De plus il sera le témoin et le complice –malgré lui- de deux meurtres qui le mettront dans un grand désarroi. Comment s’en sortir et devenir un autre ? Quelle est sa capacité à se reconstruire ? Comment « accepter et comprendre les choses même si elles apparaissent dépourvues de sens au départ » ? Ce sont des pages magnifiques sur les pensées de cet adolescent devenant adulte.

Dans la troisième partie, Dell est devenu professeur et nous assistons aux retrouvailles poignantes de Dell avec sa sœur qui est en fin de vie. Magnifique conclusion sur l’évolution de leurs deux vies cassées par l’inconscience de leurs parents. Beaucoup de thèmes sont abordés : l’abandon, la solitude, le basculement de la vie, la maîtrise du destin, la capacité à se reconstruire.

Beau livre sur l’évolution et le cheminement vers l’avenir d’un homme.

mercredi 24 septembre 2014

Mechtild Borrmann : Le violoniste

livre le violoniste

Mechtild Borrmann : Le violoniste - Ed du Masque, 2014 - roman policier et historique.


Ce roman, considéré comme un policier est aussi un formidable document historique sur la vie à Moscou en 1948 et il est présenté avec « une construction intelligente » tel un roman à tiroirs. Les trois personnages principaux sont décrits à leur époque, leurs vies étant ainsi racontées dans des chapitres en alternance.

En 1958, le violoniste Ilja Grenko est arrêté (sans raison pour lui qui croit à une erreur) et interrogé à la Loubianka, siège du KGB. Après de faux aveux donnés sous la pression et avec l’assurance qu’ils laisseront tranquilles Galina (sa femme) et ses enfants, il est condamné à 20 ans de camp de travail.  La vie au Goulag à Vorkouta est terrible et la description est si réaliste que l’on est très ému par la tentative de survie de cet homme et des autres prisonniers. Peut-on imaginer pareille cruauté…

Suite à l’arrestation de son mari, Galina et ses deux enfants sont « exilés » à Karagando au Kazakhstan. Galina y trouve un rude travail dans une blanchisserie et une dame, Lidia, qui deviendra sa fidèle amie, garde les enfants. La vie est terriblement difficile dans ce pays inhospitalier. Galina se tue au travail pour nourrir et habiller ses enfants. Malheureusement elle croit que son mari est un traitre qui a officiellement fui le pays pour Vienne, l’abandonnant ainsi que ses enfants. Elle revient à Moscou au début des années 1960….

Le troisième personnage est Sacha GrenKo, le petit fils d’Ilia et Galina. Il travaille en 2008 en Allemagne comme informaticien chez un riche patron qui l'aidera lors de son enquête. Après avoir reçu un appel au secours de sa sœur, il se met à la recherche de la vérité sur la disparition de son grand-père et de son violon Stradivarius au moment de l’arrestation. Ce violon est d’une valeur inestimable et a surtout une valeur morale, le vœu de la famille étant de ne pas se séparer de cet instrument  que le tsar Alexandre II a donné à l’arrière-arrière grand-père de Sacha. En faisant cette recherche, il découvre petit à petit une vérité incroyable sur la machination qu’a subi sa famille et l’enquête le mène à découvrir la vérité sur la déportation de son grand-père, la mise en exil de sa grand-mère, la mort, dite accidentelle, de ses parents, de son oncle et de sa sœur.

Ce roman historique à suspens est écrit et construit de façon remarquable et d’une écriture très agréable. C’est une histoire humaine extraordinaire qui nous montre comment la dictature stalinienne a pu détruire  de nombreuses familles. On y découvre la vie au goulag et la vie en exil dans les années 1950 et la vie en Russie d’aujourd’hui….Dès le début, nous sommes passionnés et attachés à cette famille et le suspens nous tient jusqu’au dernier mot.

Béata de Robien : Fugue polonaise

livre fugue polonaise

Beata de Robien : Fugue polonaise - Albin Michel , 2013, roman français


L’auteur, en fin de roman, nous fait comprendre que cette histoire est écrite d’après des expériences familiales vécues et cela se sent, tant les situations, les sentiments, les émotions semblent authentiques, vrais et vraisemblables.

On s’attache dès le début à notre héroïne, Bashia, jeune lycéenne intelligente et rebelle vivant à Cracovie en Pologne en 1953 sous le régime dictatorial communiste. Elle survit grâce à son humour et à sa débrouillardise et ne rêve que de quitter ce pays « muselé par la police et affamé par les restrictions alimentaires » d’autant qu’elle devine que sa mère qu’elle ne connaît pas habite en France... Au Lycée, elle se fait de l’argent en écrivant les devoirs des autres élèves car elle est douée en écriture et à la maison elle trouve tous les moyens pour aider sa famille déchue. Nous découvrons la vie au quotidien en Pologne sous le communisme dur et totalitaire. Ils vivent dans un appartement qui fut fastueux mais qui se vide de ses meubles au fil du temps et qui est devenu communautaire, c’est-à-dire divisé pour loger des locataires de tous genres…. Y habitent sa grand-mère d’origine viennoise d’un milieu social élevé qui reste digne et autoritaire mais affectueuse, son père médecin alcoolique et coureur de jupons, sa tante mariée à un membre de la Nomenklatura, son oncle révolté, fainéant, un peu fou mais assez lucide, par exemple lorsqu’il dit : « Dans ce pays, il est nécessaire de posséder la ruse du renard, la souplesse du roseau et l’insensibilité de l’espion ».

La situation s’aggrave pour elle lorsqu’elle fait la connaissance d’un étudiant français. Elle devra faire face aux brimades, aux dénonciations, aux trahisons, aux mensonges. Mais qui renseigne la police du Parti sur les faits et gestes de la famille ? : Nous l’apprenons dans le dernier chapitre magnifique, surprenant et extraordinaire.

Béata de Robien est polonaise mais écrit ce livre en français, avec un style subtil et profond. Ce roman est écrit à la première personne  ce qui donne une vérité poignante à notre héroïne qui sait nous émouvoir mais aussi être drôle avec des répliques ironiques et pleines d’humour

Ce roman est un superbe témoignage sur la vie à Cracovie dans les années cinquante du siècle dernier.

 

 

Julia Deck : Le triangle d'hiver

Julia Deck : Le Triangle d'hiver - Les éditions de Minuit, 2014 - roman français court


livre le triangle d'hiver

Julia Deck a un attrait particulier pour les personnages marginaux, déjantés. Dans son premier roman intrigant, « Viviane Elisabeth Fauville » était son héroïne à l’esprit plein d’idées folles et paranoïaques. Ici dans « Le Triangle d’hiver », pas de nom : l’héroïne est « Mademoiselle » : pas d’identité réelle pour cette jeune femme seule, belle, un faux air d’Arielle Dombasle, sans emploi, en fin de droit de chômage, qui court après sa propre identité.


Elle vit au Havre dans un studio « tout en angles droits, équipements fonctionnels et baies verticales ». Elle se laisse vivre, regarde par sa fenêtre l’énorme bateau (le Sirius) accosté au port, erre dans la ville, vole, vend son corps pour avoir des vêtements. Puis elle rencontre dans un bar « l’inspecteur » de navire dont on sent qu’elle va tomber amoureuse mais rôde autour de cet homme la journaliste Blandine Lenoir !!!! Le triangle : trois personnages.
L’inspecteur part vers Saint-Nazaire pour travailler sur le Sirius : elle suit le périple de ce navire et part pour ce port pour vivre avec son inspecteur. Elle lui dit s’appeler Bérénice Beaurivage et qu’elle est écrivain. C’est le nom d’une héroïne interprétée par Arielle Dombasle  d’un film d’Eric Rohmer « L’arbre, le maire et la médiathèque » : Nouvelle identité, seconde ville, second port mais Mademoiselle se laisse prendre dans le tourbillon de ses mensonges et dans le confort de l’argent facile. La journaliste, sa rivale, démasque son subterfuge et l’ inspecteur réalise sa méprise mais joue le jeu.

 Après un séjour parisien pendant lequel elle essaie de se rendre le plus invisible possible, l’inspecteur lui propose de l’emmener à Marseille. Troisième ville  (Le triangle : trois ports) mais aucune solution : même vagabondage, mêmes pensées primaires. L’inspecteur la renvoie, dans sa solitude et son errance, au point de départ : Le Havre.
L’histoire en elle-même peut paraître banale mais ce roman singulier, presque une nouvelle, se lit d’un trait : on est surpris, intéressé, étonné par une écriture extraordinaire et accrocheuse. On passe du « je » au « on », ce qui est deroutant. J’ai beaucoup aimé les descriptions époustouflantes de vérité des trois ports : La Havre entièrement détruit pendant la Seconde Guerre mondiale et reconstruit tout en béton armé qui peut même paraître lumineux comme dans la flèche de la cathédrale Saint-Joseph ; Saint-Nazaire et son port naval gigantesque ; Marseille avec son ambiance bien à lui. J’ai beaucoup aimé les formidables descriptions du cheminement de la pensée et du regard neutre, anonyme, froid sur les choses et les événements, qui nous suggèrent si bien l’état d’esprit de notre « Mademoiselle » qui reste une jeune femme décalée, fragile, inoccupée, vide et seule.

 

Sorj Chalandon : La quatrième mur

Sorj ChalandonSorj Chalandon : Le Quatrième mur - Livre de poche, 09/2014 - roman français


Sorj Chalandon, ancien grand reporter, m’avait enthousiasmée par deux de ses romans : « Mon traitre » (2008) à propos de son meilleur ami nord-irlandais dénoncé comme informateur des Britanniques puis exécuté par des dissidents de l’IRA, puis « Retour à Killybegs » (grand prix de l’Académie française en 2011) dans lequel il inventait les « mémoires » de son traitre. Puis j’avais eu la chance de le rencontrer et de discuter avec lui à une table ronde de 10 personnes au Salon du livre 2011 : la classe, la gentillesse, la franchise et beaucoup d’émotions en parlant de son traitre qui était même le parrain d’un de ses enfants….

« Le quatrième mur » se passe au Liban en pleine guerre où l’auteur a été reporter. Il nous captive avec le projet de représenter  « Antigone » d’Anouilh sur place à Beyrouth. « Je voulais, dit-il en interview, que mon héros ne soit pas un combattant » d’où l’idée qu’il soit metteur en scène et qu’il monte cette pièce de théâtre qui parle d’engagement, d’ordre, d’autorité. (Cela donne envie de relire cette magnifique pièce de théâtre…)

Son héros, Samuel, un juif grec réfugié à Paris, metteur en scène, tombe malade au moment de partir au Liban pour monter cette pièce et fait promettre à son ami, Georges, metteur en scène aussi, de le remplacer pour mener à bien ce projet… Georges veut accomplir cette promesse faite à son mentor et ira jusqu’au bout de ses possibilités, quitte à en perdre la raison… Pour lui, cette représentation serait un moment de répit, un instant de grâce d’autant qu’elle serait jouée par des comédiens palestiniens, maronites, chiites ou arméniens… Georges part début 1982 à Beyrouth, délaissant sa femme et sa fille et tente ce pari utopique : il va découvrir autre chose que l’amitié qu’il imaginait possible entre des comédiens de toutes obédiences : la guerre, la violence, les bombardements et surtout le massacre des réfugiés palestiniens des camps de Sabra et Chatila dans la banlieue ouest de Beyrouth. L’auteur était à Chatila au moment de ce massacre et lorsqu’il écrit sur cette tuerie quelques temps après, il confie « J’écrivais en respirant l’air lourd du lieu. Tout était intact : la lumière, les regards, les cris, les pleurs, les grillons, les abeilles, le vent, le silence » : il faut avoir vécu ces drames pour pouvoir les décrire comme il le fait : bouleversant.

Le retour de Georges exprime bien « le fameux traumatisme post-guerre » que l’auteur dit avoir ressenti. Comment assumer le décalage entre sa vie de famille et d’amis et les horreurs de la réalité de la guerre.

L’écriture de Sorj Chalandon est telle qu’il nous fait ressentir la tension, l’horreur et l’absurdité de ces combats : « C’est le Liban qui tire sur le Liban » écrit-il. « Cette tentative fantasque et fantastique nous fait mieux comprendre le Moyen-Orient que les meilleurs essais » dit un critique du Figaro.

« Ecriture sèche et hallucinée » (La croix), phrases courtes, bien construites, pas de « faux-semblants » : tout est fait pour nous tenir en alerte. « Magnifique et désespéré », « Le quatrième mur » est le récit d’une utopie et une ode à la fraternité » Télérama. C’est surement aussi un moyen pour l’auteur de dire et d’exprimer sa propre douleur.

On n’en sort pas indemne et ce récit hante longtemps la mémoire !!!

lundi 25 août 2014

Véronique Ovaldé :La grâce des brigands


livre la grace des brigands 

Véronique Ovaldé : La Grâce des brigands -Ed L'Olivier, poche "Points", 2013 - roman français.

Cette fois, Véronique Ovaldé nous emmène en Californie : « L’Amérique, c’est le pays de tous mes rêves enfantins » dit-elle.

L’héroïne de ce roman, Maria Cristina, a quitté en 1976 le Grand Nord canadien grâce à une bourse d’étude à l’âge de 20 ans. Elle est partie pour fuir une enfance malheureuse entre un père d’origine finlandaise, démissionnaire, illettré, une mère indifférente et illuminée, une sœur jalouse et handicapée (à cause d’un accident que notre héroïne aurait provoqué).
En arrivant à Santa Monica en Californie, Maria Cristina  vit en colocation avec Joanne, fille bohème, un peu hippie et très émancipée qui lui apprendra la vie. Elle s’est affranchie de sa famille par la lecture et maintenant par l’écriture car elle édite un roman autobiographique « La vilaine sœur » qui est un succès et fait d’elle une romancière reconnue. Elle devient la secrétaire d’un vieil écrivain, réfugié argentin, qui rêve d’avoir le Prix Nobel, devient sa maitresse jusqu’à ce qu’elle découvre que cet homme est un manipulateur qui profite de sa notoriété.  Elle rencontre aussi un protecteur discret, genre garde du corps affectueux……
Cet auteur a l’art de créer des personnages « stupéfiants de profondeur et d’humanité » (dans le journal Elle). Ces romans aux faux airs de contes sont peuplés de « doux-dingues » mais elle a surtout l’art de nous les décrire sur un ton si singulier et avec tant d’humour. A souligner ses annotations pittoresques et drôles entre parenthèses.
L’auteur aborde dans ce roman les thèmes qui lui sont chers : la dureté de l’enfance, la conquête de la liberté, la difficulté de la vie de couple, la question de l’écriture et de la création d’un roman.
Très agréable moment de lecture.

Céleste Albaret : Monsieur Proust

                                                            livre monsieur proust

Celeste Albaret : Monsieur Proust, souvenirs recueillis par Georges Belmont- Robert Laffont, 2001 et 1973 et en genre poche en mars 2014 - Biographie

 Céleste Albaret décide à 82 ans de rendre hommage à son idole en partie pour que la vérité soit dite parce que « trop de choses fausses ont été écrites par des gens qui ne l’ont connu que par ses livres » dit-elle.

 Céleste épouse, en 1913, Odilon Albaret, chauffeur de taxi auquel Marcel Proust fait souvent appel. Elle devient la gouvernante de l’écrivain, de cette année-là jusque sa mort en 1922. Cette femme a voué pendant 9 ans une véritable « vénération » envers Marcel Proust et évidemment les souvenirs, les dialogues ne sont surement pas objectifs.          Quand Céleste le rencontre, le mondain, le dandy exténué, vivant la nuit est devenu un « reclus » d’un caractère difficile, malade, ayant une haute opinion de lui-même. L’appartement du Boulevard Haussmann est un petit monde fermé. Marcel Proust vit dans sa chambre et écrit sur ses genoux dans son lit jusque l’épuisement.
La « chère Céleste » idolâtre son patron et se plie à toutes ses fantaisies et le défend « becs et ongles ». Elle le sert avec une attention et une gentillesse infinies. Elle excuse tous les travers et toutes les obsessions de son tyran : horaires décalés : « Quand il rentrait, on aurait dit toute la gaieté du jour qui se levait », lubies vestimentaires (ses tricots), manies alimentaires (le café !!), ses exigences (ses boules d’eau chaude donc ses bouillotes). Son dévouement est sans faille : jour et nuit. De gouvernante, elle devient la confidente, l’amie, le naturel et la fraicheur de cette jeune femme ayant séduit l’écrivain. S’instaure entre les deux personnages une intimité incroyable, faite de discussions, de commentaires sur les visites, sur les amis, sur les relations, sur l’avancement du travail de Monsieur Proust. Elle participe à la mise en forme de l’œuvre en prenant des notes et en mettant des bandes de papier collées pour rajouter les corrections. Marcel Proust lui conseille de lire, ce qu’elle fait avec obéissance. Il lui explique la politique en lui lisant les journaux, « pour votre éducation » lui dit-il. Plus tard, elle soigne ce grand malade avec patience et une bienveillance sans limites.
J’ai beaucoup aimé cette confession un peu naïve et candide mais qui décrit un tel dévouement. Cette « chère Céleste » est une femme d’une grande intelligente avec un cœur simple, qui nous livre un passage de sa vie avec beaucoup de sincérité. Elle nous montre plusieurs facettes de l’écrivain : excentrique et genre tyran, courageux jusqu’à l’épuisement, bon et affectueux avec sa chère Céleste. C’est un beau témoignage  émouvant qui vient du coeur.

 

  Céleste Albaret

 

Dominique Missika : L'Institutrice d'izieu


L'institutrice d'Izieu 

Dominique Missika : L'institutrice d'Izieu - 2014, Ed du seuil - Document

L’institutrice d’Izieu est un beau document sur la vie de cette maitresse d’école qui enseigna aux 44 enfants juifs emmenés par les soldats allemands le 6 Avril 1944, déportés et exterminés à Auschwitz.

Plusieurs parties inégales  en intérêt et en nombre de pages constituent ce témoignage, les parties du procès et de l’après procès étant pour moi les plus captivantes et émouvantes.

Gabrielle Perrier est une jeune institutrice, réservée, sérieuse, passionnée par son métier. Elle est intérimaire dans l’Education Nationale et l’Inspecteur Gonnet la nomme à la rentrée de 1943  institutrice de la colonie d’Izieu dans l’Ain. « Il s’agit d’enfants réfugiés » lui dit-il. La directrice de cette colonie est Madame Zlatin, résistante juive d’origine polonaise aidée de son mari, Miron, pour l’intendance si difficile en ces temps de guerre. Notre institutrice se lie d’amitié avec Léa, une des monitrices qui encadre le groupe d’enfants. La classe est unique et composée de 44 enfants d’origine et de nationalité différentes et Gabrielle doit les répartir en 5 niveaux. Tout est calme à Izieu ou plutôt dans son hameau de Lélinaz encore plus isolé et la colonie vit en autarcie. L’institutrice ne se rendra jamais compte que ces enfants sont juifs et sont en danger…Elle vit en recluse et seule, un peu coupée de la réalité, pourtant la guerre est proche et les combats s’intensifient dans la région. Ces 80 premières pages du document paraissent longues et beaucoup de répétitions alourdissent le texte. On se demande pourquoi Gabrielle n’a jamais soupçonné l’origine juive de ses élèves…

Le premier jour des vacances de Pâques, le 6 Avril 1944, Gabrielle, étant en congé et chez elle, apprend qu’une rafle a eu lieu à la colonie, des soldats allemands ayant emmenés les 44 enfants et leurs 7 moniteurs. Quel choc. Elle sera traumatisée à vie, tant elle était attachée à ses élèves d’autant qu’elle n’exprime à personne son désarroi, son chagrin. (pas de psychologues à l’époque).

« Les crimes de guerre méritent châtiment et la rafle d’Izieu en est un » : Gabrielle va suivre dans les journaux le travail de vérité que fait Madame Zlatin avec courage, dévouement et patriotisme. Jamais Gabrielle ne sera interrogée par quiconque à cette époque. Elle est présente lors des commémorations du 6 avril 1946 mais ne se manifeste pas, elle est trop réservée et sans doute trop traumatisée. Elle suit son petit bonhomme de chemin sans rien dire et est titularisée en avril 1946 et obtient son certificat d’aptitude pédagogique. Les années passent et en 1973, elle épouse Marius Tardy. Elle reste toujours la même, discrète, élégante. Le couple voyage en France puis à l’étranger. Elle prend sa retraite en décembre 1977.

Enfin, et c’est à ce moment que le document devient très intéressant, en Mars 1983, en voyant à la télévision l’arrivée en France de Klaus Barbie, ancien criminel nazi accusé de la rafle d’Izieu depuis 1971 par l’avocat Serge Klarsfeld, « Gabrielle se sent au pied du mur » et écrit une simple lettre à son ancienne directrice Sabine Zlatin. « Que se passe-t-il dans sa tête pour qu’elle prenne la décision de dévoiler ses sentiments » ??? Toujours est-il que le contact est établi et les deux femmes qui ont 15 ans d’écart resteront très liées pour toujours. A lieu alors le premier interrogatoire par deux gendarmes où elle raconte ce qu’elle a vécu avec les enfants et se rend compte que si elle avait été présente à la colonie au moment de la rafle, elle aurait subi le même sort qu’eux.

La quarantaine de pages sur le procès de Klaus Barbie pendant lequel elle doit faire sa déposition est très émouvante, particulièrement la rencontre avec Léa Feldblum, son amie, la seule encadrante de la colonie à être revenue vivante. Elle exprime son soulagement quand ce criminel est condamné à perpétuité.

La dernière partie de ce document relate la vie de Gabrielle qui est maintenant connue et reconnue comme étant une « institutrice exemplaire ». Elle doit rédiger son témoignage, rencontre des anciens voisins de la colonie, voit François Mitterrand en Avril 1994 à Izieu venu pour l’inauguration du Mémorial des enfants d’Izieu, va à Paris aux funérailles de Sabina Zlatin-Yanka, fondatrice de la maison des enfants d’Izieu et sa « patronne », accepte timidement des interviews à la télévision. Elle n’est pas présente pour le première fois en 2009 à la commémoration du 6 avril et meurt en novembre 2009.

Ce témoignage doit être connu et cet hommage à cette institutrice si simple est émouvant : il faut mettre en lumière les gens de l’ombre.

 

Ayana Mathis : Les douze tribus d'Hattie


livre les douze tribus d'hattie 

Ayana Mathis : Les douze tribus d'Hattie - 2014, Ed. Gallmeister -  roman américain.


Le fil conducteur de ce roman est la vie d’ Hattie : c’est une femme noire, elle a 16 ans en début de roman en 1923 et nous allons la suivre de cette date à 1980, c’est-à-dire suivre aussi, à travers elle, l’histoire de l’Amérique avec les grandes migrations qui changeront la face de ce pays.
Hattie est née dans un système fondé sur le racisme, dans cette société afro-américaine avec ségrégation, pauvreté et fondera une famille qui subira souffrance, folie et trahison. Cette jeune femme quitte la Georgie pour Philadelphie au Nord, se marie avec August très jeune et a cinq fils, six filles et une petite fille. Hattie est une femme en colère, révoltée. Elle parvient à éduquer sa famille, quasiment seule. Son mari, August, est un faible qu’elle semble détester mais ne sont-ils pas à deux les piliers de cette famille ? Ils se déchirent, se séparent pour des aventures chacun de leur côté mais revivent toujours ensemble. August saura, lui, donner de l’affection à ses enfants. Malgré sa rudesse et sa froideur apparente, Hattie transmet à chacun de ses enfants le meilleur d’elle-même, veut leur apprendre à lutter et sera toujours pour eux « un modèle ».

Ce personnage central est  fascinant. On comprend que sa douleur d’avoir perdu si jeune ses deux bébés jumeaux d’une pneumonie la bloque dans son pouvoir de donner de l’affection. C’est le choc de sa vie, c’est une douleur inguérissable. Ce premier chapitre à ce sujet est  bouleversant et très bien écrit.
Les destins de chaque enfant sont très variés et racontés à des époques différentes. Ils iront, pour les garçons, du trompettiste de jazz au prédicateur, à l’alcoolique-joueur et, pour les filles, de la femme d’un célèbre médecin noir à une internée en hôpital psychiatrique… L’intérêt des récits est inégal et certains chapitres ne m’ont pas passionné.

Chaque prénom d’enfants donne le titre des  chapitres et raconte sa vie : ce sont un peu comme des petites nouvelles indépendantes. On imagine quand même que l’auteur les a écrites séparément pour les relier ensuite et cela se sent dans la cohésion du roman.
Ce roman, qui m’a fait penser au superbe livre de Toni Morrison, est assez irrégulier : touchant et attachant dans certains chapitres, trop long et du déjà lu dans d’autres. L’écriture est sensible et belle mais l’ensemble manque de cohésion.

 

jeudi 24 juillet 2014

Joël Dicker : La vérité sur l'affaire Harry Québert

Joël Dicker : La vérité sur l'affaire Harry Québert - Poche, de Fallois Eds, mai 2014 - roman français.

Joël Dicker, jeune écrivain suisse, écrit ici son deuxième roman, un véritable thriller qui a obtenu le Prix de l’Académie Française et le Prix Goncourt des Lycéens en 2012.
En 2008, un jeune écrivain, Marcus Goldman, souffrant du syndrome de la page blanche, vient rendre visite à Aurora dans le New Hampshire à son ancien professeur, Harry Québert, vieille gloire de la littérature américaine, célèbre pour son chef d’œuvre « Les origine du Mal », dans l’espoir que celui-ci l’aide dans son travail.
Mais à ce moment-là, la police fait une macabre découverte dans le jardin de Harry Québert : les restes de Nola Kellerman, adolescente disparue pendant l’été 1975. Les soupçons se portent évidemment sur Québert. Qui a tué Nola en 1975 ?
Marcus va refaire en parallèle de la police, l’enquête sur ce crime pour sauver son mentor et ami et prouver son innocence. Comme nous sommes aux Etats-Unis les avocats se mêlent tout de suite à l’enquête et ils vont découvrir des meurtriers potentiels : le pasteur, le chef de police et son adjoint, un chauffeur-peintre, un riche industriel, une propriétaire de restaurant et son mari…toute la petite société d’Aurora se trouve mêlée au crime…
Marcus fera de cette Affaire le sujet de son futur livre : il y a donc une histoire dans l’histoire puisqu’il reprend des passages du livre de Québert et situe son roman aux deux stades divers du drame.
Nous lisons les conseils d’écriture (un peu poncifs) que donne Harry Québert à son élève et des informations sur l’édition aux Etats-Unis. Nous découvrons les modes de vie d’une petite ville de l’Amérique profonde et nous suivons cette enquête à rebondissements inattendus avec de nouvelles énigmes à résoudre constamment.
C’est donc un bon thriller français, écrit par un Suisse, qui se passe aux Etats-Unis. Evidemment un peu long avec ses 663 pages mais vite lu car on a hâte de connaître la fin.