samedi 20 octobre 2012

Mathias Enard : Rue des voleurs

Mathias Enard : Rue des voleurs - 2012, Actes Sud - Roman

Prix Liste Goncourt/choix de l'Orient 2012

Mathias Enard a voulu réunir dans son roman ses deux mondes de prédilection : le monde arabe et l’Espagne. Il nous écrit donc l’errance de Lakhdar, jeune tangérois de 20 ans qui vit pendant le Printemps arabe, les révoltes des « Indignés » espagnols et notre Europe en crise.

Le roman est écrit à la première personne ce qui nous fait rentrer dans l’intimité du jeune marocain et dans son cheminement qui suit les événements plutôt noirs du monde de nos jours. Nous voyons à travers ses yeux le monde arabe actuel. Comment va-t-il s’en sortir et se battre au quotidien pour sa survie financière et physique ? Comment  réussira-t-il à acquérir la liberté et l’épanouissement dont il rêve.

L’auteur a une très belle écriture vive, moderne, poignante. Un critique du Figaro nous écrit : « Ce qui charme dans Rue des voleurs, c’est sa langue et sa verve, son sens du récit et ses références à la littérature et à la poésie. Enard est un fameux conteur » . En effet l’auteur cite des textes sacrés, la littérature classique arabe et le polar (dont il est dit qu’Enard est très fan !!)

Très beau roman contemporain qui nous fait connaître le monde musulman et les courants islamistes, grâce aux connaissances approfondies de l’auteur sur ces sujets.

N’oublions pas du même auteur le Goncourt des Lycéens 2010 : « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants »

 

Jean-Michel Guenassia : La Vie rêvée d'Ernesto G.


Jean-Michel Guenassia : La Vie rêvée d'Ernesto G. - 2012, Albin Michel - Roman

Prix du Roman Chapitre

De la même veine que le récit romanesque du « Club des incorrigibles optimistes », l’auteur nous raconte en détail la vie épique de Joseph Kaplan.

Le héros de ce livre est un médecin juif tchécoslovaque. Il avait 10 ans à la fin de la Première Guerre Mondiale. Sa mère, qui lui a donné le goût de la musique et le talent de la danse, meurt d’une pneumonie, le père médecin étant absent… Joseph devient ensuite étudiant et chercheur en médecine : il est beau, élégant, charmeur, insouciant, amateur de jolies femmes, de tango et des chansons de l’argentin Carlos Gardel. Il débarque à Paris en 1936 et travaille à l’hôpital Bichat dans le service des maladies infectieuses. Il mène une vie de « patachon » avec une « bande de fêtards, potards et carabins mêlés à des fils de famille reniés pour leur débauche ». Le Front populaire, la guerre d’Espagne, la montée du nazisme, le communisme ne le concernent pas pour le moment.

Il séjourne ensuite 7 ans à Alger, y travaille à l’institut Pasteur, fait des rencontres passionnantes dans « cette ville sublime » mais il va être pris dans la tourmente de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale et, en tant que juif, devra se cacher….Après la guerre, il rentre à Prague en passant par la France.

L’auteur nous fait vivre cette vie en « cinq cents pages tenues, poignantes et vibrantes ». Chaque rencontre nous vaut une description colorée de la personne dans une « prose fluide et musicale », notamment un ancien banquier répondant au nom de Ramon Benitez ou d’Ernesto Guevara («  Un Che en piteux état après sa déroute africaine »).

Réellement un an de la vie du Che reste inconnu et il se pourrait qu’il soit vraiment allé dans un sanatorium au fin fond de la campagne tchèque, comme nous le dit l’auteur de cette fiction….

Le romancier parle de la condition humaine, de la liberté et de l’espoir ainsi que des ruptures, des fuites et des départs qui jalonnent l’existence de son héros pendant l’histoire mouvementée et tumultueuse du XXème siècle.

S’ajoutent à l’histoire de cette vie romanesque, des descriptions magnifiques de la Prague en début et en fin de siècle, le Paris d’entre-deux-guerres, et la splendide Alger la blanche.

On peut se demander pourquoi l’auteur a choisi ce titre car le roman ne se résume absolument pas à la vie d’Ernesto G.

Françoise Chandernagor : Les dames de Rome

Françoise Chandernagor : Les dames de Rome - 2012, Albin Michel - Roman

Après le premier tome « Les enfants d’Alexandrie », le deuxième tome de cette trilogie est consacré à la vie de Séléné, la fille des amours tragiques de Cléopâtre et d’Antoine. Après la défaite de son père, elle est contrainte de quitter l’Egypte et arrive, avec ses deux frères, à Rome. Ils font partie « du butin du vainqueur » et doivent figurer au défilé qui est organisé pour le triomphe d’Octave, le nouveau César, bientôt fait Auguste. Cette « frêle jeune fille » doit faire face à l’humiliation mais aussi au chagrin immense de voir mourir ses deux frères et de ne pouvoir jamais prononcer le nom de sa mère…

Séléné est confiée aux soins bienveillants d’Octavie, la sœur bien-aimée d’Auguste, « mère de substitution d’innombrables enfants ».

L’auteur nous fait découvrir cette époque fascinante à Rome grâce à une multitude de détails. Toujours aussi bien documentée, elle nous décrit la ville, les rues, les jeux du cirque, les conflits familiaux, les manipulations et les tragédies de cet empire. Elle ira jusqu’à contester les différents traductions des textes latins et veut montrer la réalité du monde romain cruel et rude. Elle dresse même un portrait surprenant de l’empereur Auguste !!

On se passionne et on s’attache à la vie de Séléné qui devient reine à la fin de ce tome, ce qui nous annonce une autre histoire pour le troisième tome…

Dominique Bona : Deux soeurs

Dominique Bona : Deux soeurs : Yvonne et Christine Rouart, les muses de l'impressionnisme - 2012 - Grasset - Biographie

Prix des Femmes de Lettres Simone Veil
Dominique Bona aime les artistes et nous régale régulièrement avec des biographies passionnantes : elle avait remportée en 2007 le prix ELLE avec « Camille et Paul. La passion Claudel » et nous avait enchantés avec les vies de Clara Malraux, de Berthe Morisot, de Stefan Zweig. Elle nous intéresse aussi vivement avec ses critiques littéraires.

Dans cette biographie, elle brosse le portrait de « Deux sœurs, Yvonne et Christine Rouart, les muses de l’impressionnisme » mais aussi l’histoire de leurs familles et de cette époque de fin du XIXème siècle.

La base du roman est la description du tableau de Renoir pour lequel les deux sœurs ont posé devant un piano et avec pour toile de fond deux tableaux de Degas très connus : « Avant la course » et « Danseuses sous un arbre ». Nous sommes donc plongés dans le Paris des Impressionnistes et la vie artistique de l’époque : la peinture et la musique.

La peinture : rencontre avec Degas, Renoir et beaucoup de peintres, personnalités et collectionneurs de l’époque, particulièrement le père des deux sœurs, Henri Lerolle et leur beau-père, Henri Rouart (elles épouseront Louis et Eugène Rouart).

La musique : rencontre avec Debussy qui leur rend souvent visite et charme ses deux musiciennes émérites.

L’auteur confirme son talent en faisant revivre au quotidien des personnages passionnants peu connus, dans leur époque, leur cadre de vie, leur cercle de famille et d’amis.

Il faut noter qu'actuellement il y a une exposition "Henri Rouart, L'oeuvre peinte" au Musée Marmottan à Paris : une quarantaine de tableaux du peintre et collectionneur.

Très belle biographie à lire absolument.