vendredi 21 janvier 2022

Clara Dupont-Monot : S'adapter (N°1 - janv 2022)

S'adapter

Clara Dupont-Monot : S'adapter - Ed. Stock, 2021 - roman. 

Prix Femina 2021 et Prix Goncourt des Lycéens 2021 

 

Clara Dupont-Monod est une romancière de 48 ans mais aussi une éditrice, une journaliste. Elle nous écrit ici un superbe récit sur l’arrivée «déroutante» d’un enfant handicapé dans une famille donc « sur la différence, le triomphe de la vie, et ce parfois malgré la mort » (la Croix): « Je voudrais le dédier à tous les êtres différents qui sont quand même très nombreux  en France et à toutes leurs fratries, à tous ceux qui s’occupent d’eux », dit-elle.

La vie d’une famille, vivant dans une maison isolée dans les Cévennes, est évidemment bouleversée par la découverte d’un handicap chez un bébé et voilà ce que l’on dit aux parents et au frère et à la sœur de ce petit être : « ce petit corps mou et au regard mobile et vide ne verra pas, ne parlera pas, ne marchera pas, ne vivra pas plus de trois ans »…

Les galets et les pierres de la belle demeure à la campagne sont les témoins de cette histoire qui se passe parmi les plantes, les arbres, les cascades, la rivière, la « minéralité de la nature » (magnifique description de cette nature)  et ils nous racontent les trajectoires du frère « l’Aîné », de la sœur « la Cadette » et le benjamin né après « le Dernier ».

L’Aîné sera protecteur et c’est avec émotion que l’on lit les beaux moments que cet enfant vit avec son petit frère : « L’aîné s’ouvre à l’amour fou, déraisonnable, submergeant ». La cadette (l’auteure avouera à La Grande Librairie être cette petite fille) sera une sœur espiègle « dans la jalousie et le rejet » qui se confie et se réconforte auprès de sa grand-mère cévenole en suivant sa formule magique « Loyauté, endurance, pudeur ». Quelle trace laissera ce frère sur chacun d’eux qui l’ont connu mais aussi sur le Dernier, né après la mort de l’enfant à 10 ans, ce benjamin qui se dit « serai-je né s’il n’était pas mort ? ».

Face à ce handicap, chacun doit « s’adapter, accueillir, accepter ». L’auteur nous fait ressentir « avec pudeur, justesse et une grande délicatesse » les sentiments de chacun, leur intimité, leur réaction, leur révolte, leur amour, leur tendresse.

A lire absolument. Je peux ajouter cette phrase de La Croix : « L’histoire de cette famille, contée avec poésie dans une nature tutélaire, emplie de vie et de partages, de sanglots et de joies, est aussi celle très concrète d’un parcours contemporain ».

 

Joyce Maynard : Où vivaient les gens heureux (N°2 - janv 2022)

Où vivaient les gens heureux

 Joyce Maynard : Où vivaient les gens heureux - Ed. Philippe Rey, 2021 - roman traduit de l'américain.

On se rappelle de Joyce Maynard, née en 1953 aux USA, qui, jeune étudiante, a écrit un long article sur sa jeunesse en 1972 aux Etats-Unis pour le New York Times et de ce fait a rencontré le célèbre J.D. Salinger avec qui elle a eu une relation étrange et dévastatrice. Elle avait 19 ans, lui 54… Elle a écrit à ce sujet un magnifique témoignage : « Et devant moi, le Monde », paru en France en 2011. Elle eut alors mauvaise réputation car divulguer sa relation houleuse avec Salinger, l’idole, n’a pas plu aux Américains. Ensuite elle s’est lancée dans l’écriture de romans avec pour thème l’amitié, l’emprise et la dépendance, l’étude du comportement des adolescents et, dans ce livre-ci, l’amour maternel qui peut conduire loin…

Eléanor, fille unique, mal aimée de ses parents, se retrouve orpheline à 16 ans. Ceux-ci alcooliques meurent dans un accident de voiture. Avec son héritage, elle déniche et achète une ferme isolée proche d'un frêne centenaire et d'une cascade dans le New Hampshire : « ce lieu ressemblait à une maison où vivaient des gens qui s’aimaient ». Elle devient auteure et illustratrice de livres pour enfants avec succès.  Elle rencontre Cam, « un beau mec artisan » : « l’homme le plus beau qu’elle ait jamais vu ». Ils fondent une famille avec la naissance de trois enfants : la secrète Alison (très beau passage sur la naissance de ce premier bébé), l’optimiste Ursula et le turbulent Toby, « ce fils étrange, miraculeux, roux, au pied palmé » qui se comporte de manière « extravagante, exubérante, anarchique ». Elever ses trois enfants demeure le centre de sa vie ainsi que "son besoin obsessionnel de bien faire" : « son œuvre d’art, c’est sa famille » dans cette superbe campagne et cette maison attachante.

Désenchantement complet dans la deuxième partie quand le couple se sépare après un drame impardonnable. Elle est trop blessée pour pardonner. Tristesse de suivre cette maman meurtrie qui accepte tout pour sauver le bonheur de ses enfants : « Supporter tout et n’importe quoi pour être aimée » pourrait être sa devise. « On se demande jusqu’où une femme peut aller par amour des siens » (Femina) et aussi "ce que signifie abandonner les vieux griefs et l'amertume".

L’écriture de cette auteure est « fluide et élégante », quelque fois un peu trop sentimentale (c’est l’Amérique…) et très agréable à lire. Il est dit que ce roman est en partie inspiré de son existence tumultueuse, « riche et chaotique ».

Excellent moment de lecture qui glorifie les « MAMANS ».

 

 

 

Andreï Makine : L'ami arménien (N°3- Janv 2022)

L'ami arménien


 

Andreï Makine : L'ami arménien - 2021, Ed. grasset - roman 

Andreï Makine, né en 1957 aux confins de la Sibérie Orientale, apprend le français dès l'enfance grâce à une dame française émigrée en Russie. Il arrive en France à 30 ans. Il écrit ses livres en français (grande admiration pour ces auteurs qui écrivent dans une langue autre que leur langue maternelle). Il reçoit en 1995 le prix Goncourt, le Goncourt des lycéens et le prix Médicis avec le "Testamant français". Il obtient la nationalité française en 1996. Il est membre de l'Académie Française depuis 2016.

Dans ce récit très émouvant, il évoque "l'un des épisodes le plus marquant de sa jeunesse" dans les années 1970. Dans un empire soviétique déclinant, deux adolescents se lient d'amitié à l'école : l'un est pensionnaire dans un orphelinat, (c'est le narrateur, probablement l'auteur), l'autre Vardan, arménien, vit au bout du même village dans un camp de réfugiés venus du Caucase. Sa mère a choisi l'exil pour être proche des siens, internés dans une prison à côté du camp car accusés d'antisoviétisme. Vardan est atteint d'une maladie qui le cloue souvent au lit ("le mal arménien") et vit dans une masure dans ce quartier périphérique dit "le Bout du Diable". Les deux amis creusent un puits pour découvrir un trésor sous un "cube de propagande", genre de cabane qui leur permet de voir la vie des détenus par des"fentes taillées" dans les murs. C'est surtout une grande amitié qui les unit et la découverte pour le narrateur de la vie de cette famile éxilée avec ses coutumes et son courage. Plus tard, le narrateur "reviendra sur les lieux de cette fugace parenthèse, lumineuse et tragique" (LIRE). 

On retrouve la superbe écriture poétique de l'auteur, son humanité et ses thèmes préférés comme la force de l'amitié et de la solidarité.

L'éditeur écrit :"Dans la lumière d'une double nostalgie - celle des Arméniens pour leur pays natal et celle de l'auteur pour son ami disparu - ce roman s'impose d'évidence comme un grand classique".