mardi 22 avril 2025

Gaëlle Josse : De nos blessures un royaume (N°1 - Avril 2025)

De nos blessures un royaume - 1

 Gaëlle Josse :    De nos blessures un royaume - Ed. Buchet. Chastel, 2025 - roman

Beaucoup d’émotions en lisant ces merveilleux textes : le récit d’un voyage hors du commun et, en même temps, un livre dans le livre sur l’amour d’un père pour une petite fille différente « Quelques Eden, lettres à ma fille », unique ouvrage d’un auteur oublié…

Cela vaut quelques explications :

Agnès est danseuse : vie active, corps musclé sans repos, « en mouvement tout le temps, en constant déséquilibre » mais Agnès a perdu l’amour de sa vie, Guillaume et cherche comment retrouver le goût de vivre et un sens à sa vie. A la fin de son dernier spectacle, la danseuse s’échappe et prend la route pour aller en bus « au Musée des relations rompues »  à Zagreb en Croatie via Milan, Mantoue, Trieste et Zagreb pour y déposer le livre « comme un fétiche » que son compagnon chérissait. « Ce livre n’est connu de personne mais il servira de viatique pour clore leur histoire » (Le Monde). Evidemment après quelques recherches, il s’avère que ce livre n’existe pas et les extraits cités sont écrits par Gaëlle Josse. Ce sont des passages bouleversants et si bien analysés sur l’amour d’un père pour une petite fille différente.

 Ce trajet est un cheminement géographique lorsqu’Agnès traverse des lieux où ils sont allés ensemble et écoute le temps qui passe lors de ce  long périple    en bus : « le temps de sentir le quotidien diffus, les rencontres éphémères, les étapes erratiques » (La Croix) mais aussi un cheminement de la pensée de la voyageuse qui l’aidera à « sortir de son deuil », à accepter la disparition de Guillaume et  à renaître.

On reconnait l’écriture « limpide et ciselée » de cette écrivaine dans cette histoire sensible et ce voyage de reconstruction.  

« Gaelle Josse explore les failles des hommes et des femmes d’aujourd’hui fragiles et solitaires » (la Croix)

 

           

Sylvain Prudhomme : Coyotte (N°2-Avril 2025)

 Sylvain Prudhomme : Coyotte- Les éditions de Minuit, 2024 - roman.

                                                                   

En 2019, Sylvain Prudhomme avait écrit « Sur les routes » et avait reçu le prix Fémina  pour ce récit fantastique de la vie d’un autostoppeur. Après la parution de ce roman, « la revue America lui propose d’aller héler des inconnus au volant de leur voiture le long de la frontière mexicaine » (Télérama) en Californie, en Arizona et au Texas, là où a été construit un mur « anti-migrants » voulu par Trump lors de son premier mandat, mur qui, on le verra, affecte la vie quotidienne des frontaliers.

Il nous présente 25 personnages, tous succulents et tous différents : mécano, routier, retraité, taxi, dealer, petit entrepreneur, futur écrivain etc. Il écrit les propos en rafale en s’effaçant de la conversation. Ce sont les monologues de ces « hôtes », presque tous des mexicains qui se confient d’abord avec méfiance puis souvent avec humour et bienveillance. C’est écrit dans une langue parlée avec quelques mots d’espagnol, d’anglais : « c’est plein de vie et gorgé d’humour » (ELLE). Il fait un portrait photographique en noir et blanc de chaque personnage et ces photos figurent à la fin de chaque chapitre : fascinant et magnifique.

Rappel : COYOTE : 1 : mammifère carnivore d’Amérique du Nord – 2 : au Mexique et en Amérique centrale, individu qui se charge clandestinement, moyennant rémunération, de faciliter un trajet : Passeur.

 

Coyote - 1

Leila Slimani : J'emporterai le feu (N°3- Avril 2025)

   Le Pays des Autres - J'emporterai le feu - 1

Leila Slimani : J'emporterai le feu - Gallimard, 2025 - roman

 Leila Slimani termine avec ce roman sa « trilogie féministe et politique » (Match). Elle avait commencé cette série de romans « Le pays des autres » par « La guerre, la guerre, la guerre » sorti en 2020 qui se passait dans les années 1940 avec Mathilde, une jeune française, mariée à Amine, jeune marocain venu en Alsace avec son régiment de Spahis. Le jeune ménage était venu s’installer dans une ferme familiale proche de Meknès au Maroc et naissent deux enfants. Puis est paru en Tome 2 « Regardez nous danser » en 2022 qui évoquait la génération suivante :  Deux enfants dont Aïcha devenue gynécologue née en 1947 qui se marie  avec un haut fonctionnaire, Mehdi. Aïcha révèle ses tourments et ses emportements face aux difficultés de faire face à son travail et à la vie mondaine que lui impose son mari. Ce mari, après une ascension professionnelle formidable, va être déchu du jour au lendemain et tombe en disgrâce, ne va plus travailler à la banque, dépérit dans son canapé (rappel de l’auteur qui rend hommage à son père qui fut injustement emprisonné).

Ce sont leurs enfants de cette troisième génération que nous allons suivre dans ce troisième roman : deux filles : Mia et Inès dans les années 1980-1990. Mia est née en 1974 et semble être le « double romanesque » de Leila Slimani. « Elle grandit dans la confusion mentale » entre l’essai de modernité dans sa maison et  la tradition et le respect des règles  à l’extérieur. Elle veut plaire à son père et devient « un garçon manqué » : aime le foot, lit les livres conseillés par son père, écoute ce père qui lui dit quand elle part faire des études en France : « Ces histoires de racines, ce n’est rien d’autre qu’une manière de te clouer au sol, alors peu importe le passé, la maison, les objets, les souvenirs. Allume un incendie et emporte le feu ». Mia vit une vie parisienne décousue et deviendra «écrivaine » tandis qu’Inés qui la rejoint est une séductrice. « Leur lien est une force. Elles devront apprendre à vivre entre la haine  des islamistes et la naïveté des occidentaux ». Elles vivent entre cette société parisienne en pleine mutation et l’évolution de leur pays divisé entre les riches et les pauvres, l’essai d’émancipation des femmes et le début de la modernisation.

Belle écriture, « juste et précise » avec une construction  quelque fois difficile à suivre, dans cette trilogie « à cheval entre la France et le Maroc » avec des sentiments de colère, d’orgueil, de culpabilité et de violence » (Match)