jeudi 23 juin 2016

Patrick Modiano : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

livre pour que tu ne te perdes pas dans le quartier  Patrick Modiano : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Folio poche, 2016 - roman

 

L’écrivain Patrick Modiano a reçu le 10 décembre 2014 du roi de Suède, le plus prestigieux des prix littéraires, le prix Nobel de littérature, au Stockholm Concert Hall devant 1250 invités. L’Académie suédoise a distingué l’écrivain et son œuvre « où la petite musique rejoint la grande » et « pour l’art de la mémoire avec lequel il a fait surgir les destins les plus insaisissables et découvrir le monde vécu sous l’Occupation nazie ». Il est le 15ème lauréat français de ce prestigieux prix, J. M. G. Le Clézio, l’ayant reçu en  2008.    Il dira, entre autre dans son discours : « J’ai des liens très fort avec la Suède. La première fois qu’un de mes romans a été traduit, c’était en suédois et j’ai un petit-fils suédois »…Il reçoit ce prix « comme un coup de baguette magique » dit-il.
C’est évidemment « dans une rue de Paris » que le romancier a appris la nouvelle qui l’a « touché », même si elle était « …bizarre ». Il parait « tout embarrassé » de cet honneur. Beaucoup d’articles ont paru sur lui à cette occasion bien sûr mais il est amusant de voir comme il désarçonne les journalistes. Je reprends quelques passages de la rencontre de Patrick Modiano avec l’Académicien Jean-Marie Rouart : « Il reste immuable : long jeune homme évanescent, incrédule devant la bourrasque du succès, le geste imprécis avec de grands bras qui font des mouvements de sémaphore…Il demeure tout aussi empêtré dans ses phrases que dans son triomphe. Son accueil est désarmant de gentillesse et de prévenance…Qu’importe, après tout, qu’il fasse le désespoir des journalistes s’il fait le bonheur des lecteurs…Il parle comme on écrit, en raturant les mots, en raturant les phrases, en corrigeant sans cesse son expression, en la biffant… ».
L’auteur est « un somptueux mélancolique » et un solitaire qui se cache. D’ailleurs en Mai 2013, paraissaient ses œuvres réunies en un volume dans la collection « Quatro » : sont rassemblés dans ce livre 10 romans et des documents présentant l’auteur avec photos familiales et confidences mais l’auteur disait alors qu’il craignait « que les documents assemblés en début d’ouvrages viennent anéantir le flou, si beau, de ses textes. Qu’un trop plein de lumière fasse fuir les ombres qui les peuplent ». Patrick Modiano nous parait en effet très solitaire : ses personnages lui servent-ils de compagnie « comme des ombres surgies de son passé, transfigurées par le processus d’autobiographie, rêvées ou imaginaires ? ».  Dans les derniers textes du « Quatro », « la frontière entre vécu personnel et mémoire imaginaire s’efface dans une même incertitude, à la manière d’images filmiques ». Patrick Modiano n’a t-il pas déclaré qu’il n’avait « jamais eu  l’impression d’écrire des romans mais de rêver des morceaux de réalité qu’il essayait ensuite de rassembler tant bien que mal ? » Incroyable, NON ??
Si vous n’avez pas l’habitude de lire des « Modiano », ce n’est peut-être pas idéal de commencer par « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » qui, pour moi, reste une histoire floue sur le thème du souvenir que l’on ne peut effacer de sa mémoire. Si vous aimez cet auteur, vous retrouverez tout ce que l’on peut aimer chez lui : quête identitaire, chasse aux souvenirs, héros mélancolique et solitaire, ambiance nonchalante, douceur diffuse, le tout dans une écriture pleine de charme et envoûtante.
Le narrateur, écrivain solitaire d’une soixantaine d’années, vivant dans une réclusion volontaire, est joint au téléphone par un couple étrange qui veut le rencontrer pour lui remettre en mains propres son carnet d’adresse qu’il avait perdu dans le train. Au téléphone, « la voix molle et menaçante » se fait pressante. Sur ce carnet figure nom et adresse d’un personnage que veut connaître le couple et qu’a connu notre écrivain. Ce nom fait ressurgir en lui un passé qu’il avait cru oublié et qui est enfoui dans une valise mais « par chance » il en a perdu la clef… Que faire de ses souvenirs quand ils se dérobent « comme des bulles de savon ou les lambeaux d’un rêve ?». Les souvenirs ramènent notre héros aux années 50 quand il est enfant : « mystérieuses allers-venues, visites nocturnes, murmures comploteurs, crissements de pneus sur les graviers » dans une maison près de Paris, vie parisienne pendant laquelle l’enfant erre dans les rues avec dans sa poche un papier avec son adresse « Pour que tu ne perdes pas dans le quartier », une femme qui lui sert de mère de substitution et vraisemblablement plus tard d’amante ??? Que de mystères, que de secrets enfouis, que d’ombres du passé…La fin du livre est floue mais révèle la grande solitude et le désarroi d’enfant abandonné qu’il fut probablement, l’auteur mélangeant souvent histoire personnelle et création littéraire. Le critique de Match conclura en disant : « Ces souvenirs qui se dérobent sont ceux d’un enfant qui ne veut pas se rappeler l’abandon qui l’a plongé dans la peur ».
J’ai beaucoup aimé les phrases courtes et simples avec des mots qui sèment le trouble et cette brume romanesque qui n’appartient qu’à Modiano. J’ai beaucoup aimé aussi le Paris des années 50 qui se superpose au Paris d’aujourd’hui. J’ai beaucoup aimé la mélancolie, « la petite musique triste qui accompagne ses personnages semblant appréhender l’éclat du soleil ou la clarté trop vive de la réalité »….(Match) On aura compris : j’aime beaucoup l’œuvre de Patrick Modiano.

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