lundi 29 février 2016

Philippe Claudel : L'arbre du pays Toraja (n°1 fev 2016)

livre l'arbre du pays toraja 

Philippe Claudel : L'arbre du pays Toraja - Stock, 2016 - roman français



L’arbre qui donne le titre à ce roman se trouve en Indonésie et, selon un rite mortuaire, il recueille les corps des enfants morts dans son tronc creusé. Le sujet du récit est donc annoncé : l’auteur nous parlera de la mort, de la place de la mort dans la vie mais aussi de la maladie, du temps, des souvenirs, des remords….
Le héros de l’histoire est un cinéaste quinquagénaire dont le meilleur ami et aussi son producteur est atteint d’un « vilain cancer ». Toute l’évolution de la maladie sert de trame au roman : les mots cancer, rémission, oncologue, longue maladie, réveil de la tumeur, récidive apparaissent dans les lignes avec beaucoup de pudeur.
La maladie d’Eugène plonge le narrateur dans un immense chagrin et provoque chez lui une série de réflexion sur le sens de la vie : « sur ce qu’est la vie, ce qui en fait la force et la valeur » dit-il. Il voudrait répondre à la question : « mais qu’est-ce que cela signifie profondément être vivant ? ». Des souvenirs le submergent : le suicide d’un copain d’internat, l’accident et la mort de compagnons d’alpinisme, la mort d’une petite Agathe « mort-née » dont il est le papa et dont son ex-femme ne s’est jamais remise.
Notre narrateur se pose beaucoup de questions sur les raisons de la maladie et il cherche à en savoir plus en enquêtant auprès d’une médecin, chercheuse au CNRS qui travaille sur la somatisation. Cette jeune femme, Eléna, se trouve être sa voisine qu’il voit de son bureau par « sa fenêtre sur cour ». Il regarde souvent « le spectacle de sa vie » : ils deviendront amants et c’est le rayon de soleil de ce roman car « il y a beaucoup de noirceur dans ces pages, mais des noirceurs lumineuses » (Match).
Nous lirons des pages magnifiques sur Eugène, sa voix, son langage, son amour pour les femmes et les cigarettes Craven A, leur communication, leur profonde amitié, leur discussion autour de bouteilles de Bordeaux,  « la tendresse infinie » que le narrateur éprouve pour son ami. (On reconnait à travers le portrait d’Eugène, Jean-Marc Roberts, « le charismatique éditeur Stock », grand ami et producteur de Philippe Claudel, décédé en 2013). Nous lirons aussi des passages superbes sur l’enterrement d’Eugène, sur leur rencontre avec l’auteur mythique Milan Kundera, sur les discussions avec Michel Piccoli qui jouera dans le film de notre narrateur. Nous apprendrons à découvrir le « corps » au cours de la maladie : le corps amical, le corps compagnon, le corps hostile, le corps ennemi, le corps perdu, le tout magistralement expliqué par Eléna. Nous lirons aussi deux portraits sensibles de femme, Florence, l’ex-femme du narrateur et sa voisine-médecin, Eléna, qui sera sa maitresse.
Superbe livre « fort » donc, où l’auteur se confond avec le narrateur et nous écrit des pages profondes et émouvantes avec une écriture « élégante et imagée ».
N’oublions pas que Philippe Claudel est membre du Jury Goncourt depuis 2012, Goncourt qu’il n’a jamais obtenu. Par contre il a reçu  le prix Goncourt des lycéens avec « Le rapport de Brodeck » en 2007 et le prix Renaudot avec « Les âmes grises » en 2003. Chargé de cours d’écriture scénaristique et auteur de divers scripts, il est passé derrière la caméra en 2008 avec beaucoup de talent et de succès.

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