jeudi 21 décembre 2017

Alice Zeniter : L'art de perdre (N°1 déc 2017)

 livre l'art de perdre




Alice Zeniter : L'art de perdre - Flammarion, 2017 - roman français. Prix Goncourt des Lycééns 2017.

 J’ai beaucoup aimé les livres précédents de cette auteure : « Sombre Dimanche », paru en  2013, Prix du Livre Inter et Prix des lecteurs de l’Express : elle y retraçait le destin d’une famille en Hongrie au XXème siècle sur trois générations puis « Juste avant l’oubli » paru en 2015, Prix Renaudot des lycéens : livre aux allures de roman noir sur une enquête sur la fin d’un amour sur une île coupée du monde.

Ici  avec « L’art de perdre », l’auteure vient de recevoir le Prix Goncourt des Lycéens de 2017. C’est une jeune auteure dynamique et pétillante dans ses interviews. Son écriture est, comme elle, très directe, rapide, moderne, vive avec ses apartés entre parenthèses pleins d’humour.
Ce livre, indirectement sur ses propres origines, a sûrement été plus compliqué à écrire pour elle et les deux premières parties m’ont parue un peu lentes alors que la dernière partie est magnifique : les personnages sont attachants, ce qui nous permet de lire quand même assez rapidement ce pavé de 500 pages où il y a tout sur l’Algérie depuis les années 1950 à nos jours : «  Un souffle inouï traverse, par la fiction et la petite porte, une page d’histoire complexe et, ô combien, inflammable » (ELLE)
Alice Zeniter prend pour héroïne Naïma, une jeune femme travaillant dans une Galerie d’Art à Paris de nos jours, qui décide de retrouver ses racines algériennes. N’est-ce pas un peu l’auteure : « son double fictionnel », dit-on.
Naïma fait revivre son grand-père Ali, montagnard kabyle et petit propriétaire terrien. Il a été soldat dans l’armée française en 1944 lors de la Seconde Guerre mondiale. A la fin des années 1950, Ali est un notable dans son village. L’armée coloniale attaque ce village tranquille et Ali penche vers les autorités françaises et devient harki presque malgré lui. Il perd tout. Pour fuir les représailles du FLN et pour sauver sa famille, il quitte l’Algérie en 1962 et se réfugie dans une France peu accueillante. La famille est « parquée » dans un camp de transit de Rivesaltes dans de misérables baraquements puis dans une cité HLM de Normandie.
C’est là que nous suivons la vie d’Hamid dans la deuxième partie du roman. Hamid, le fils aîné de Ali,  arrive donc en France à 7 ans et n’a qu’un but : paraître français et oublier l’Algérie qui, pour lui, reste un sujet de honte et de peur, résister aux brimades « bougnoules ». Il se réinvente grâce à l’amour de Clarisse « une française de souche », qu’il épousera. Ils auront 4 filles dont Naïma, notre héroïne.
Naïma essaie de faire parler son père, creuse, fouille et déterre les « Racines des harkis ». Mais grand-père et père sont murés dans le silence ainsi que les membres de la famille. Naïma décide d’aller en Algérie. Dans la troisième partie du roman, cette jeune femme découvre son pays d’origine, Alger, les villages kabyles et enfin sa famille. Cette partie est très touchante et émouvante. Tous les sens sont à vif : les ressemblances des visages, les odeurs de la cuisine, les sonorités de la langue arabe, les embrassades fusionnelles.
L’auteure fait dire à Naïma : « Le temps a fait son œuvre qui permet le détachement. Je peux raconter, contrairement à mon père qui refusait d’être identifié par les actes de son propre père ».
On peut lire dans Télérama : « Le patriarche, le fils, la petite fille : trois personnages, trois époques, trois pans d’Histoire et de culture arabe et française, trois manières d’être au monde. Et de revendiquer, aussi, son statut d’homme ou de femme » : « roman puissant sur l’identité et la liberté d’être soi, au-delà des héritages ».

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