mardi 3 novembre 2015

Jeanne Benameur : Otages Intimes (n°1 Oct 2015)

livre otages intimes

Jeanne Benameur : Otages intimes - Actes Sud, 2015 - roman français

 Jeanne Benameur, fine écriture sur les états d'âmes comme nous l'avons lu dans « Profanes » (2013) et dans le petit livre (86 pages) succulent « Pas assez pour faire une femme » paru en 2013 et en Babel poche en 2015 sur la métamorphose d'une femme en Mai 68, se met ici dans la peau d'Etienne, journaliste de guerre, pris en otage. Elle nous fait vivre les moments de sa libération et de son retour à la vie libre.

Le premier tiers du livre nous plonge dans les moments de l'arrestation dans  une ville « à feu et à sang » et les mois d'isolement et de confinement avec toutes les horreurs et la dureté, puis les instants de la libération : « Il a de la chance. Il est vivant. Il rentre » se dit-il en boucle. Le bandeau sur les yeux, l'avion, une bouteille d'eau, son Leica... L'auteur nous décrit de façon émouvante son arrivée à l'aéroport avec les sentiments et les postures de chacun venu l'accueillir, surtout sa mère, « la vieille dame à la silhouette petite, menue »…Très beau passage que celui de la description de l'attente des femmes : l'attente de sa mère (qui, par ailleurs, a toujours attendu son mari), l'attente de son ex-compagne, l'attente de ses deux amis. Il dira : « Il y a la race de ceux qui restent et attendent et la race de ceux qui partent ».
La suite du roman pose cette question : Comment reprendre le cours normal d'une existence qui a connu l'isolement, la peur, la cruauté ? Il doit chasser les idées et les visions obsédantes comme cette phrase le prouve : « Aucune nuit ne parviendra à me soulager de la fatigue sans fin de ceux que j'ai vu essayer de survivre » dit-il.
Il va s'accrocher à son passé pour mieux se reconstruire. Il s'installe à la campagne chez sa maman Irène dans son village natal où il retrouve ses deux amis. Dans leur jeunesse ils formaient un trio inséparable lié par un pacte et par la musique : lui-même le journaliste ; Enzo, le fils de l'italien, l'ami taiseux qui  est ébéniste et joue du violoncelle ; Jofranka « la petite qui vient de loin »  qui maintenant est avocate à La Haye. Ce trio fut quasiment élevé et éduqué par Irène : Elle a donné à Etienne une éducation « libre et exigeante », « la musique, c'était la rigueur sinon pas de beauté »…

«La finesse de l'écriture, la force des phrases ciselées, les personnages attachants et la sensibilité de cette histoire nous épatent. » (Revue Fémina). Evidemment on reconnaît l'écriture de cet auteur avec des phrases haletantes parfois sans ponctuations, des sonorités et des rythmes, peut-être venant des deux langues qu'elle parle, le français et l'arabe. " L'écriture cristalline de Jeanne Benameur fait paradoxalement de la lecture de ce roman intense et tendu une expérience apaisante" et que la question fondamentale de ce récit peut être : « Quelle est la part de l'otage et de la violence en chacun de nous ? Quelle part en nous est prise en otage ? Quelles sont nos « prisons intimes » ?

Magnifique plongée dans l'intimité des héros de ce roman.

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