mercredi 27 mai 2015

Laurent Gaudé : Danser les ombres (n°1 Mai 2015)

Laurent Gaudé : Danser les ombres - Actes Sud, 2015 - roman

livre danser les ombres


« Danser les ombres » se passe avant, pendant et après le séisme qui a eu lieu en 2010 à Port-au-Prince en Haïti. Ce n'est pas seulement un récit de la catastrophe mais une plongée dans la vie de cette ville « qui ne dort jamais ».
Dans la première partie, Laurent Gaudé nous fait la description de cet endroit incroyable avec « un petit peuple fourmillant de vies, de couleurs, de bruits, de clameurs et de brouhahas, d'odeurs », le tout dans « un joyeux désordre ».
Nous rencontrons plusieurs personnages : Lucile, jeune femme contente de retrouver le mouvement frénétique de sa ville après l'avoir quittée 5 ans pour raisons familiales ; Saul, médecin non diplômé donc soigneur qui préfère côtoyer les pauvres à sa famille riche puisqu'il n'est qu'un bâtard (Lucile et Saul se connaissent car ils ont lutté ensemble quelques années auparavant contre le régime d'Aristide) ; le mutique Domitien, le séducteur Jasmin, les élèves infirmières Ti-Sourire et Lagrâce, belles et dynamiques et Tess, vieux monsieur qui réunit tous ces amis dans une ancienne maison close « Chez Fessou »particulièrement la veille du séisme où ils passent une soirée « hors du commun », moment de gaieté, de fraternité et d 'amour, un instant « proche du bonheur » et pendant lequel chacun imagine que « Tout pouvait reprendre » après les dures années de dictature. Mais on sent « les germes de la tragédie ».
« Tout à coup la terre, subitement, refuse d'être terre, immobile, et se mit à bouger... » Ce sixième chapitre « Et la terre » sur le moment de la catastrophe, est magnifique et saisissant. « Goudou-Goudou », le séisme géant ravage l'île : « La secousse et sa réplique défigurent la terre d'Haïti » « dévorant tout, engloutissant les hommes, les voitures, les maisons et avalant quelques uns de nos héros ». On saura qu'il fit 300 000 morts, que des villes et des villages furent rasés, qu'il y eut plus d'un million de sans abri.
Laurent Gaudé a l'art de traquer les moments où la vie des hommes bascule. Il l'a déjà prouvé dans d'autres romans… Ici il nous décrit avec émotion le formidable élan de solidarité dont va faire preuve la population de ce pays. Les retrouvailles des héros sont décrits, sentis d'une manière extraordinaire. C'est un véritable hommage au courage de ce peuple qui a tout perdu de façon si injuste.
Après quelques jours si difficiles, les vivants de « Chez Fessou » décident de « déposer leur fardeau tant ils sont épuisés de soigner, de réconforter et se lancent dans une danse funèbre et collective », comme une mélopée scandée par les vivants et les morts  à tel point que l'on ne sait plus quel personnage de notre roman est mort ou vivant. Cette incertitude m'a beaucoup troublée. J'ai même relu plusieurs fois ce merveilleux dernier tableau du roman. Ayant écouté Laurent Gaudé parler de son livre à une rencontre en librairie (photo ci dessus), j'ai mieux compris son idée de faire marcher côte à côte une dernière fois les vivants et les morts car il pense que l'on doit fidélité à nos défunts : « Je sens, a-t-il dit, la présence de mes morts, pas comme des fantômes mais une présence intérieure de ceux que l'on a aimé qui influencent notre vie de tous les jours ». De plus en terres haïtiennes, « les défunts côtoient les vivants », c'est une des bases du culte vaudou « où les esprits arpentent les rues et visitent les demeures » et où les morts « peuvent apparaître dans le monde des vivants ». L'auteur veut ainsi être cohérent par rapport à la mentalité de ce peuple tourné vers son passé. Il nous fait ressentir comme il a été sensible à l'énergie, à la vitalité, à la dignité et la beauté du peuple haïtien. Il veut aussi rendre hommage aux personnes qui s'occupent des autres. J'ai ressenti beaucoup d'émotions en lisant cet ouvrage, difficiles à décrire…
Je conclus en reportant les mots bien sentis d'un critique de la Vie : « Laurent Gaudé raconte Haïti avec une force de vérité hallucinante. Son long roman-poème lyrique, charnu, charnel, splendide, gonflé de désir chante la puissance de vie de ces hommes et de ces femmes »


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