jeudi 22 janvier 2015

Joanna Smith Rakkof : Mon année Salinger (n°1 Janv 2015)

Joanna Smith Rakoff : Mon Année Salinger - Albin Michel, 2014 - document américain.


Mon année Salinger

Joanna Smith Rakoff a eu la chance inouïe de travailler, à la fin des années 1990, dans une Agence littéraire en tant qu’assistante comme rêverait de l’être toute personne aimant l’écriture, la lecture, les contacts littéraires. Elle nous raconte son année extraordinaire dans le New-York de cette époque : sa vie sentimentale plutôt cahotique de jeune femme vivant avec un écrivain déjanté ( description de la vie nocturne, description des appartements et des lofts, description des vêtements…) mais, on le devine, toujours amoureuse de son boy-friend des années universitaires, sa relation avec ses parents et avec sa meilleure copine, sa découverte du monde du travail  après l’insouciance des années d’études.

 Elle nous fait découvrir cette « Agence » et particulièrement  sa « patronne » dont elle nous fait un portrait excellent : les vêtements, la cigarette, les postures, la voix, « les pieds étonnement petits »… Elle nous écrit : « Pour ma patronne, l’Agence n’était pas seulement une entreprise. C’était un mode de vie, une culture, une communauté, un foyer » avec ses dieux et ses clients célèbres tel J. D. Salinger. L’auteur nous décrit aussi les locaux de l’Agence sombres, peu pratiques avec des énormes bibliothèques de livres de tous genres ainsi que le début de l’ère numérique. On est en 1997 et elle travaille encore avec une vieille machine à écrire et un dictaphone, sa patronne se méfiant du seul ordinateur de l’Agence qu’elle veut noir et non beige !!! L’auteur nous rapporte une conversation avec sa copine qui travaille dans un bureau très moderne et excessivement informatisé, la copine disant : « Ma chef a décidé de supprimer totalement l’usage du papier. On va tout traiter par mails. Plus de notes de service ». Elle souligne l’absurdité de la chose en expliquant que l’on s’envoie des mails entre collègues qui travaillent dans la même salle !!!! Deux façons de travailler à l’opposé : même en Amérique des années 1990, le modernisme fait peur à certains tandis que d’autres s’y adonnent sans mesure.

Notre auteur rencontre le client N° 1 de cette agence d’abord par de brèves appels  puis par quelques dialogues téléphoniques puis en « vrai » (description très originale) : Jérôme David Salinger, dit « Jerry » à l’agence, l’auteur mythique de l’Amérique au milieu du siècle dernier, connu surtout pour ce fameux « L’Attrape-cœurs » paru en 1951, traitant de l’adolescence avec ses perturbations et son désenchantement devant la perte de l’innocence de l’enfance. On se rappelle que J.D. Salinger vit « en reclus » depuis 1965, ayant quitté New York en 1953. L’Agence est à quatre pattes devant son auteur de prestige alors âgé de 78 ans qui n’a rien édité depuis  les années 1960 et qui, surprenant tout le monde, tout à coup se déciderait à publier « Hapworth », une nouvelle déjà parue dans le journal New-Yorker en juin 1965… mais non éditée.

Je pense qu’il est impératif d’avoir lu L’Attrape-cœurs pour apprécier ce document. Ce roman de Salinger n’est autre que le récit à la première personne de trois jours de la vie d’un adolescent new-yorkais. Viré de son école, il se promène sans but dans la ville et J.D. Salinger décrit heure par heure de façon chronologique avec flash-backs, parenthèses et digressions cette errance. Le lecteur est interpellé dans ce roman : « C’est à vous, lecteurs, que ce récit s’adresse directement, sans artifice ». Le style est novateur pour l’époque : style parlé, tournures familières et vulgaires mais aussi humour décalé. Joanna Smith Rakoff doit gérer le courrier que des lecteurs passionnés de tout âge et tout genre envoient à Salinger par le biais de l’Agence. Elle doit répondre par une lettre-type, expliquant que Salinger ne veut plus recevoir ces lettres : dilemme pour elle surtout quand elle aura enfin lu toutes les oeuvres de Salinger en un week-end….Elle enfreint la consigne et leur envoie ses avis personnels ou des conseils - moment savoureux de ce document - en reprenant le vocabulaire employé par Salinger tel « vachement, foutu, saloperie, bidon » sans oublier que Salinger a enthousiasmé tous ses lecteurs, les a influencés, les a guidés, leur a fait suivre les mêmes voies que son héros, Holden

On aura compris que j’ai eu énormément de plaisir à lire ce document passionnant et si bien écrit nous faisant vivre à New York  pendant la deuxième moitié du XXème siècle et nous faisant relire et revivre les thèmes favoris de J.D. Salinger.

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