dimanche 27 octobre 2013

Bruno Vouters : Jean et Marie


Bruno Vouters : Jean et Marie - ateliergaleriéditions, Lignes de vie, 2013- récit


Superbe livre que ce livre « Lignes de vie » sur Jean et Marie Roulland, tous deux sculpteurs, installés dans une maison cossue du début du siècle dernier dans le Nord. Si l’on rencontre ce couple, on  découvre un artiste certes handicapé mais avec un regard vif, pétillant, interrogatif et nostalgique que la magie d’une ardoise d’enfant permet de transposer en mots et une jeune femme (Marie-Christine Remmery) « un œil noir grand ouvert sur le monde, un large sourire, une parole lapidaire…. »

Ce récit nous permet de mieux comprendre les sculptures déchirées et déchirantes de cet artiste à la vie tourmentée et de réaliser  l’immense amour qui lie Jean et Marie.

« Morbide », « cruel », « désespéré » sont des mots qui reviennent dans les commentaires sur les sculptures de Jean Roulland. Lui se défend en nous expliquant : « Mon message est humaniste ». Pour Marie, « les oeuvres de Roulland ne partent jamais d’une anecdote, elles disent quelque chose d’universel, d’humain. On peut y voir la souffrance peut-être, mais la souffrance fait partie de la vie. Celui qui ne souffre pas n’est pas vivant. Mais je ne sais pas si c’est vraiment de la souffrance. Pour moi, c’est de la révolte. Jean est un révolté ».

Bruno Vouters a choisi d’écrire une alternance de chapitres : un chapitre sur la vie de Jean et Marie depuis leur rencontre jusque maintenant avec des flash-backs sur la vie de l’artiste et un chapitre écrit par Marie (à la première personne) sur la maladie de Jean depuis 2007.

 Marie vient dans les années 1980 faire un stage chez Jean à Vieille-Eglise dans le Nord et leur rencontre sera décisive puisque un grand amour va les lier.  Marie remet Jean dans le droit chemin. Elle l’aide à se confier et il raconte sa vie « amochée » : « son enfance compliquée, les faux amis, la fin d’un contrat avec une galerie parisienne, l’échec d’un séjour en Ardèche de 1963 à 1967, les difficultés familiales. » Après des études à l’école des Beaux-Arts de Roubaix, il se consacre à plein temps à la sculpture à partir de 1960. Fasciné par le bronze il en apprend seul la technique à la cire perdue et fond lui-même dans son atelier. Il est récompensé par de grands prix. « Ensemble ils recomposaient le patchwork de sa vie. » et cela le sauve de ses dépendances alcooliques mais elle comprend que l’artiste a besoin d’air, de liberté. Il devient  un grand sculpteur, fait une exposition rue Mazarine à Paris fin 1990 et une importante rétrospective de son œuvre lui est consacrée à l’Hospice Comtesse à Lille en 1991.

Les chapitres écrits par Marie sur la maladie de Jean sont magnifiques et d’un naturel et réalisme à couper le souffle. Le 13 septembre 2007, il sort de l’Hôpital de Calais où il était rentré pour un malaise dit sans gravité mais aussitôt fait un AVC. Marie luttera avec lui chaque jour : elle raconte son désarroi devant la paralysie totale  de « son Jeannot »,  devant l’attente avec un grand A, devant les termes médicaux incompréhensibles….On ne peut être qu’admiratif devant son courage, son optimisme, sa disponibilité et son amour inconditionnel pour Jean : « Elle va le sauver son Jeannot, à n’importe quel prix, elle veut y arriver ». De Calais à Zuydcoote puis à Vieille-Eglise en passant par Berck, son « Mumuchon » progresse. « Jean a toujours été captivé par les autres. Et maintenant il est aux prises avec sa propre étrangeté : l’autre c’est lui-même » dit-elle.  Premières paroles, premiers gestes « Le cerveau ne peut pas tout réparer d’un coup »….Jean parle  de sa vie passée mais a du mal à être dans la réalité. En 2010, il reçoit un prix de l’Académie des Beaux-Arts pour l’ensemble de son œuvre (il a produit mille œuvres !!!). Il comprend que plusieurs expositions de son œuvre ont lieu  actuellement en 2013 dans plusieurs musées : Musée des Beaux-Arts de Calais, Hospice Comtesse de Lille, Eglise de Nouvelle-Eglise, Musée « La Piscine » de Roubaix.

Le livre se termine par un carnaval organisé dans leur maison et pendant lequel Jean réussit à lever un bras et bouger ses doigts…. Formidable récompense pour leurs efforts à tous les deux….Marie peut avoir le regard joyeux de fierté mais aussi de nostalgie…

Bruno Vouters est l’auteur de plusieurs livres et documentaires sur la création et l’histoire  de la région Nord- Pas de calais. Il est également rédacteur en chef-adjoint du quotidien La Voix du Nord.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire