vendredi 28 avril 2017

Didier Decoin : Le Bureau des Jardins et des Etangs (N°1 Avril 2017)

livre le bureau des jardins et des etangs 

Didier Decoin : Le Bureau des Jardins et des Etangs - 2017, Stock - roman 

 Didier Decoin, ancien journaliste, auteur de 37 livres, dont un prix Goncourt en 1977 avec « John L’enfer », secrétaire général de l’Académie Goncourt, est aussi grand marin et amoureux du Cotentin.

Il nous écrit ici un roman très original qui se passe au Japon à l’époque de Heian au XIIème siècle. On imagine le travail de recherches incroyable qu’il a dû faire pour nous écrire un livre si documenté, si sensuel, si descriptif que l’on pourrait se croire plus d’une fois devant des « estampes ». Il a mis douze ans à l’écrire. Son fils, écrivain aussi, dit de son père : « Il amasse des tonnes de documentations et s’approprie  des pays qu’il ne connait pas tel le Japon à l’an mille.. »
Il nous convoque donc pour un voyage qui fait appel aux sens : monde enivrant de fragrances, spectacle de jardins et d’animaux particulièrement d’oiseaux et de poissons hauts en couleurs, sensation du passé, souvenirs « qui permet aux êtres de se rejoindre par la pensée ».

Miyuki vient d’être veuve. Son mari Katsuro est mort par noyade. Dans le village de Shimae, il était le pêcheur le plus habile pour attraper des carpes splendides aux yeux dorés dans la rivière de Kusagawa qui seront vendues au directeur du Bureau des Jardins et des Etangs et qui sont destinées à nager dans les lacs de la cité impériale de Heiankyo.
 Cette jeune veuve au tempérament docile est désignée pour remplacer son mari et prend la route à pied « silhouette fragile avec ses sandales de paille » pour livrer ces fameux poissons à la maison impériale où on lui donnera récompense et salaire qui feront honneur et fortune aux habitants du village. Elle porte donc sur ses épaules une palanche avec, aux deux extrémités, des vasques d’osier où barbotent les carpes. La route est d’une centaine de kilomètres  entre monts et forêts. « Sur le chemin périlleux de Miyuki, les embuches de l’inconnu sont autant d’étapes d’une traversée de rites hiérarchiques, d’une initiation spirituelle » (La Croix). Cette jeune femme, qui « ignorait qu’un là-bas existait », subit mille épreuves : orage, prostitution, séisme, peur des démons aquatiques, messages célestes, monstres…mais elle relativise en nous faisant part de ses rêves, les souvenirs de son époux, leurs nuits d’amour, leurs plaisirs et pense ainsi le rejoindre.
A son arrivée l’attendent d’autres épreuves. La plus surprenante étant qu’elle se rend compte que « de son propre corps émane une odeur incomparable « quelque chose de sauvage, un relent de forêt, d’herbes froissées, de terre détrempée, de tanière » : cette odeur la sauvera…pour un moment…A lire absolument.

Beaucoup de poésie, de légèreté et de justesse dans les mots, beaucoup de beauté, de sensualité, beaucoup d’odeurs délicates et triviales (odeur de la pluie, de la nuit, de la brume, du jour qui se lève, de l’étang, de la rivière, odeur des corps en sueur ou des corps amoureux), beaucoup de couleurs magnifiquement décrites : ce roman est enchanteur pour les sens.
La Croix conclut ainsi : « roman fascinant, physique, organique, charnel, sensuel, olfactif, d’une extraordinaire richesse symbolique ».

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