vendredi 18 avril 2014

Edouard Louis : En finir avec Eddy Bellegueule

EN FINIR AVEC EDDY BELLEGUEULE 

Edouard Louis : En finir avec Eddy Bellegueule - 2014, Seuil - roman.

C’est LE roman, façon coup de poing de la rentrée de Janvier 2014 qui raconte une rupture avec le milieu d’origine, une renaissance : l’histoire d’un jeune Eddy qui a grandi dans un village de Picardie qui veut « en finir » avec le rejet, le racisme, l’incompréhension, la bêtise qui l’entourent. L’auteur veut que ce récit soit considéré comme un roman et non comme un témoignage ou une biographie : « Il le fait de façon sensible irréfutable », note la romancière Annie Ernaux qui juge le livre « d’une force et d’une vérité bouleversante ». D’ailleurs en lisant ce roman, on pense beaucoup à cette auteure, parce que, comme chez elle, ce livre n’est pas un règlement de compte mais « une tentative de compréhension ». (ci-après fiche sur Annie Ernaux)
L’auteur choisit deux langages dans ce récit : une langue choisie, mesuré, d’un style contemporain et, à l’inverse, « en italique » la langue des siens, de tous ceux qu’il côtoie : parents, frères et sœurs, grand-mère, voisins, langage violent des laissés-pour-compte de la France profonde subissant la crise.
A la maison, la vie est rude. Les parents picolent, parlent fort, regardent la télé 24 heures sur 24 : (« mais alors tu fous quoi de tes journées si t’as pas la télé ??? »), racontent leurs problèmes avec verdeur. La mère étant enceinte dit : « J’ai perdu un bébé : il est tombé dans les chiottes ». Toujours la mère : « Moi j’aime bien me marrer. Je joue pas à la Madame, je suis simple ». Et pour montrer la misère : « Ce soir, on mange du lait ». Le père : «Oh maintenant j’ai plus pastis dans les veines que de sang ». Mais ses parents qui élèvent leurs enfants n’importe comment, les aiment à leur manière. Le père leur dit et prend plusieurs fois la défense de son fils, sa mère l’excuse parfois…
 Collégien de dix ans, il se fait tabasser tous les jours par deux ados dans le couloir de l’établissement (le grand roux et le petit au dos voûté). Les deux scènes de crachats sont inouïes de violence. Eddy commence à se rendre compte de sa différence, de sa féminité : sa voix prend des intonations féminines, ses mains s’agitent dans tous les sens et surtout sa famille le traite de « gonzesse », de « sale pédé ». Il est alors pris entre deux volontés, celle de devenir comme tous les autres et celle qui le pousse vers les Hommes. Il se répète comme leitmotiv : « Aujourd’hui je serai un dur » : il se force à jouer au foot, à boire, à draguer, à insulter les homosexuels.
Quand il aura compris qu’il ne peut changer, il a l’opportunité de fuir en allant au lycée. L’auteur dit : « La fuite est un acte révolutionnaire et non une lâcheté. La fuite était la seule possibilité qui s’offrait à moi, la seule à laquelle j’étais réduit, la dernière solution envisageable », solution courageuse.
L’auteur nous fait pénétrer dans un milieu déshérité, rural et pauvre peu décrit dans les romans, que l’on a du mal à imaginer être de nos jours. Il a le droit de nous décrire cette classe sociale car il en a fait partie. Ce n’est pas le récit d’un révolté car il ne porte pas de jugement. Eddy est devenu Edouard et Bellegueule a laissé place à Louis : « Le deuxième prénom de la personne que j’aime le plus au monde » dit-il maintenant qu’il est élève de Normale Sup et écrivain.
On ne peut rester insensible à ce « roman », roman « d’apprentissage lumineux malgré les ténèbres, plein d’amour à donner malgré la cruauté » (Télérama)


 


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