jeudi 27 octobre 2016
Amélie Nothomb : Riquet à la houppe (n°2 oct 2016)
Amélie Nothomb : Riquet à la houppe - Albin Michel, 2016 - roman
Je ne suis pas une fan
d’Amélie Nothomb et ne lis pas systématiquement son roman de l’année qui parait
inévitablement à la rentrée littéraire, ce qui vaut à cette auteure atypique
une large couverture médiatique.
Cette année, le thème
qu’elle a choisi me plaisait : ce roman est inspiré d’un conte de Perrault
« Riquet à la houppe » paru dans « Histoires ou contes du temps
passé » en 1697 et a pour thème la rencontre de la belle et la bête, pourrait-on
dire…
Nous suivons l’histoire
de deux couples qui viennent d’avoir chacun un enfant. L’un des enfants sera un garçon, Déodat, surdoué au physique affreux
aussi bien le visage que le corps, entouré de parents aimants et intelligents,
l’autre sera une fille, Trémière, d’une beauté exceptionnelle que l’on dit
stupide mais à voir…c’est une observatrice silencieuse élevée par une
grand-mère géniale et originale.
Que de sujets abordés
dans cette version moderne du conte ancien. L’auteure nous donne son point de
vue décalé sur tout. Nous allons suivre l’évolution des bébés, leur croissance,
leurs premiers pas, l’acquisition du langage, les résultats scolaires, l’école
avec les problèmes de la cour de récréation puis l’orientation de ces deux
enfants devenus adolescents qui ont pris du recul et ont tout compris de leur
potentiel.
Déodat se passionne
d’ornithologie ce qui nous vaut des pages magnifiques sur les oiseaux, plus
particulièrement la huppe fasciée devenu un hiéroglyphe mais aussi sur les
oiseaux « parisiens ».
Trémière, qui sera
initiée par sa grand-mère à l’étude des sensations apportés par les bijoux,
deviendra mannequin-main et cou. Pages superbes aussi sur les bijoux.
Nos deux héros se
rencontrent évidemment…
Quelle imagination,
quelle belle écriture, légère et précise, quelle analyse des personnages,
quelle fantaisie et quel humour.
Sylvain Tesson : Sur les chemins noirs (n°3 oct 2016)
Sylvain Tesson : Sur les chemins noirs - Gallimard, 2016 - récit
La presse a beaucoup parlé de la chute de l’écrivain Sylvain Tesson du toit d’un immeuble de Chamonix : cela lui a valu « quatre mois ferme, sans remise de peine » dit-il, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Ayant vu à la
télévision depuis son lit d’hôpital un journaliste parlant de la parution d’un
rapport gouvernemental sur « l’hyper-ruralité », Sylvain Tesson se
fait le serment, s’il s’en sort debout, « d’aller boiter le long de cette
diagonale du vide » (Match) qui traverse la France pour connaître La
Ruralité. Il part des Crêtes du Mercantour à la frontière italienne pour
arriver au Cotentin en ayant traversé la Durance, le Vivarais, les Cévennes, le
Cantal, le Berry, la Mayenne etc…
J’ai suivi son parcours
sur un atlas routier en trouvant les petits villages mentionnés le long du
récit : ce n’est pas une petite marche… c’est un exploit que de faire
quelquefois jusque 40 km dans la journée en boitant, en ayant mal au dos, en
couchant à la belle étoile, en faisant des dénivelés incroyables surtout au
début du périple dans les montagnes et les gorges…. Chapeau !
Que de petits chemins,
que de sentiers, que de forêts avec les bruits, les odeurs, les rencontres,
« par les champs et par les grèves » dirait Flaubert mais aussi
« par les ZUP et par les ZAC » ajoute Sylvain Tesson. Evidemment
après avoir écrit « Berezina » et « Dans les forêts de
Sibérie » qui se passaient dans les grands espaces russes, l’auteur a du
mal à admettre les petits espaces morcelés et « la mondialisation »
actuelle. « Quand on cultive un terroir pendant deux mille ans, il n’est
pas facile d’habiter un village mondial »…dit-il.
Il y a beaucoup
d’humour et d’autodérision mais aussi beaucoup de mélancolie dans ce très beau
récit émouvant. L’auteur reste meurtri de la bêtise de sa chute qui le rend
handicapé et désabusé de se rendre compte que le modernisme va avaler nos
campagnes, que nous sommes un monde en danger, que la ruralité française est
menacée. Mais espérons que les chemins noirs tracés sur la carte IGN l’auront
aidé à chasser ses idées noires. « Sylvain tesson a su tirer de cette
longue balade un récit bref mais puissant, celui de la reconquête physique,
d’une reconstruction intime » (Lire).
Leila Slimani : Chanson douce (n°4 oct 2016)
Leila Slimani : Chanson douce - Gallimard, 2016 - roman
On parle d’un roman
« saisissant et audacieux », moi je dirai un roman genre thriller
psychologique tragique, très angoissant, « sur la maternité et
l’aliénation domestique à l’ère de l’émancipation de la femme ». Une nounou,
qui parait bien sous tous rapports, « le chignon sur la nuque, la démarche
inimitable, agile et tremblante » va tuer les deux enfants dont elle a la
charge. On le sait dès le début, le livre commençant par cette phrase :
« le bébé est mort ».
« Dans une narration
haletante, parfois éprouvante, l’auteur décortique le cheminement psychologique
de la nounou » nous écrit une critique de Match. En effet l’auteur
« remonte le fil des événements qui ont conduit à cette fin
tragique » (La Croix). Cette nounou, Louise, vit seule, n’a
personne : un mari mort et enterré, une fille disparue. Tous l’ont
abandonnée. Elle réussit à prendre une place prépondérante dans la vie du jeune
couple, à se rendre indispensable, à créer un lien privilégié avec la jeune
maman (étude très réaliste sur la relation mère-babysitter). Par des signes
annonciateurs, le lecteur sent le glissement progressif du comportement de
Louise. Le jeune couple ne peut plus se passer d’elle, même en vacances, même
lorsqu’il commence à se rendre compte que cette emprise est nocive, même quand
la dépendance devient irréversible et que les relations se dégradent devant
« la soumission silencieuse » de Louise qui n’est que haine et
jalousie envers ce couple.
Avec sa belle écriture
directe fine qui va droit au but, sans sensiblerie et « son talent
narratif incroyablement féroce » (Elle), l’auteure aborde beaucoup de
sujets profonds : les préjugés de classe et de culture, les différences
sociales, les méthodes d’éducation différentes à chaque époque, la montée de la
jalousie, l’émancipation de la femme et sa difficulté à gérer travail et
enfants, la relation entre employeur-employé.
Cette lecture n’est pas
une chanson douce « c’est même exactement l’inverse, sa lecture peut
provoquer des cauchemars » (Le Monde)…
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