Pierre Assouline : Tu seras un homme, mon fils - 2020, Ed. Gallimard - roman
L’auteur, qui est un passionné de la première partie du XXème
siècle et de la Grande Guerre, nous écrit dans ce roman des pages magnifiques
sur Rudyard Kipling avec ses romans, ses nouvelles, ses articles, ses lettres,
ses discours et ses poèmes. Il réussit à y glisser des passages sur la
difficulté d’écrire et de traduire des textes, ici de l’anglais (cette langue
si psychologique) au français, particulièrement des poèmes. Puis il nous émeut
dans la description de « l’homme, dévasté, le père inconsolable » de la
mort de son fils John.
Louis Lambert, jeune professeur de lettres dans un lycée
parisien, voudrait traduire à sa manière le poème « IF… », paru en
1910, écrit par Rudyard Kipling, les traductions existantes lui paraissant
insatisfaisantes. L’occasion lui est offerte en Mars 1914, de rencontrer à
Vernet-les-Bains « l’illustre écrivain », son héros. Il se trouve là
avec sa grand-mère qui lui dit en riant qu’il est atteint de « Kiplingite »
tant il admire Kipling…
Le contact est difficile, cet homme étant « plus
fantaisiste et fantasque que jamais ». C’est « un rebelle épris
d’ordre établi ». John réussit quand même à avoir le feu vert de Kipling
pour faire cette traduction mettant en valeur « ses qualités de passeur et
son goût de la transmission » notés par l’inspecteur de l’académie de son
lycée. Sa relation avec le poète devient une certaine amitié : « Jamais
je n’oserais me dire un ami » mais comme dit Jules Renard « Il n’y a pas
d’amis, juste des moments d’amitié ».
Ses séjours de retrouvailles avec le grand homme de lettres sont sous tension
car Kipling a « une sainte horreur des interviews » et se méfie
« des biographies cannibales ». Il dit : « La vie d’un
écrivain, c’est son œuvre, rien d’autre ».
Notre Louis Lambert réussit quand même à être invité chez
Kipling en Angleterre pour « perfectionner en français » le fils
John, 17 ans, dont la scolarité n’est pas brillante mais « comme on le
destinait aux métiers d’armes », il faut l’éduquer selon la devise de
Kipling : « discipline, ordre, devoir». « Comme il est compliqué
de devenir le fils de son père ». La guerre éclate et John, malgré une
très forte myopie et grâce aux relations de son père germanophobe et
militariste, est incorporé dans un bataillon des Irish Guards. « Le
problème c’est que le père avait décidé pour le fils » : « Tu
seras un homme, mon fils ».
On entame alors la deuxième partie du roman. John est tué en
1915 avec des dizaines de milliers de britanniques et Kipling sera, tout le
reste de sa vie, rongé de culpabilité à la recherche de la sépulture de John,
son fils qu’il avait envoyé à la guerre, « cet enfant sacrifié ».
Comment « ce drame changea à jamais le cours de l’existence d’un des
auteurs les plus lus au monde » note l’éditeur de ce livre. Pierre
Assouline nous écrit des phrases magnifiques sur le deuil, la résilience, le
remord, le chagrin…