mardi 27 novembre 2018

Philippe Lançon : Le lambeau (N°1 - nov 2018)

livre le lambeau 

Philippe Lançon : Le Lambeau - Gallimard, 2018 - témoignage


Philippe Lançon vient d’obtenir le Prix Femina pour son magnifique témoignage (prix qu’il dédie à son père mort juste au moment de la première  édition de ce livre) ainsi que le Prix spécial  du Jury Renaudot
Il est dans les locaux du journal Charlie Hebdo au moment de l’attentat du 7 janvier 2015 à 11h 28 et est « un rescapé ». A ce moment là il a 51 ans et est un pilier des pages « culture » du journal Libération et collaborateur-chroniqueur au journal Charlie-Hebdo. A son arrivée en retard, les journalistes discutent du fameux livre « Soumission » de Houellebecq, sorti les jours précédents.
Les cent premières pages sont d’une intensité incroyable : il a réussi à mémoriser toute la profondeur des sentiments qui se succèdent en lui avant et pendant cette tragédie pendant laquelle il reste lucide : poignant mais sans pathos. Il nous montre le basculement de sa vie en racontant les événements durant les quelques jours avant la tragédie : des faits de la vie banale de son travail de journaliste. Il imagine différents scénarios possibles qui aurait pu le sauver ou le tuer. Puis il raconte les moments tragiques :  Il est grièvement blessé aux mains et surtout à la mâchoire ayant le bas du visage réduit en bouillie : « Tout était brumeux, précis et détaché ». Il se souvient du néant et du silence juste après « un bruit sec ». Il reste « comme demi-mort » « Tout l’ordinaire a disparu » : il se dédouble, le lui d’avant et le demi-mort, explique-t-il. Que d’émotions bouleversantes en lisant ces lignes.
Viennent ensuite les très belles pages de son réveil après la première opération lorsqu’il voit son frère près de lui, puis ses parents de 81 ans (il se sent si triste de leur imposer cette épreuve), puis son ex-femme, puis sa compagne arrivée de New-York (billet d’avion payé par le journal Libération), puis l’entourage médical. Il nous fait une merveilleuse description de sa relation avec Chloé, sa chirurgienne, de ses rapports avec les équipes hospitalières, infirmiers et infirmières auxquels il rend hommage, avec les policiers qui le gardent.
Evidemment il aborde aussi sa reconstruction physique. Outre la souffrance à chaque opération , c’est aussi la douleur causée par la « trach’ » (trachéotomie), les sondes nasales et gastriques, le fameux VAC, Vacuum Assisted Closure, petit appareil   qui aspire les sérosités autour des plaies qui sonne à la moindre fuite même la nuit bien sûr…l’épreuve de la première douche, le rasage de ce qui reste du visage, les médicaments etc… 
Sa grande culture l’aide énormément pour sa reconstruction morale : dès qu’il le pourra, il écoutera de la musique, classique essentiellement, du Bach le plus souvent puis la littérature lui permettra de s’évader et de comprendre comment accepter ses souffrances : il lira et relira Proust (la mort de la grand-mère), Baudelaire, Hemingway, Flaubert, Balzac, Kafka et beaucoup d’autres. (Il cache même un livre sous sa couverture en partant au bloc pour la énième fois) puis il regardera des films anciens le plus souvent avec son frère.
Difficile de rendre compte ici de tout le cheminement de l’auteur durant cette longue hospitalisation pendant laquelle il a eu le « droit » à quatre « escapades ». Sa reconstruction physique et surtout psychologique se fait par petites étapes avec des hauts et des bas évidemment, des moments de découragements, des moments très forts dans les relations humaines. Ce récit est « un livre de survie » qui l’a sûrement aidé dans l’évolution de sa reconstruction. « On écrit pour les vivants en pensant aux morts » dit-il. Puis « comment accepter une ‘blessure de guerre’ dans un pays en paix ».
A lire absolument ce témoignage bouleversant, profond, émouvant, qui ne dégage aucune haine et qui n’est ni larmoyant, ni plaintif. Tant de choses à dire et de leçon à tirer de ce magnifique récit d’une grande sincérité, rempli d’humanité. « Un chef d’œuvre indiscutable » dit l’Express.

1 commentaire:

  1. J'ai une amie qui a offert 4 exemplaires de ce livre aux réveillons. Ton commentaire me confirme que c'est un bon choix. Ca me décide. Bonnes amitiés, Noelle RLP

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