Richard Ford : Canada - Format poche : Points, 21/08/2014 - roman étranger.
Richard Ford a une prédilection pour décrire la « middle-class américaine » comme dans sa trilogie pour laquelle le roman « Indépendance » a reçu le prix Pulitzer en 1996. Dans « Canada », il nous fait un portrait émouvant du jeune Dell Parsons, cet adolescent ordinaire qui vit dans les années 1960 au cœur du Montana à Great Falls, dont les parents braquent une banque,événement qui fait basculer sa vie…. : première phrase du roman : « Je vais vous raconter le hold-up que mes parents ont commis »
Dell, devenu professeur
d’université vieillissant, à l’âge de 66 ans, nous raconte sa vie à la première
personne, faisant parler l’enfant puis l’adolescent qu’il fut et tente de
comprendre rétrospectivement le sens de cet événement insensé.
Une première partie
nous dresse le tableau de l’ambiance familiale pesante qui règne dans leur
modeste pavillon de cette ville maussade. Les parents forment un couple
ordinaire quoique plutôt mal assorti : Neeva, mère juive, une minuscule
femme brune et myope, ayant renoncé à sa religion, est enseignante et vit
« un mortel ennui » près de son mari Bev, un grand gaillard souriant,
ancien officier de l’US Air Force, qui s’est embarqué dans un trafic de viandes
volées. Berner, la sœur jumelle de notre héros, est une adolescente, plus mûre
que son frère, plus révoltée, plus forte. Nous vivons le quotidien de cet
enfant soumis et « sage »
auprès de parents complètement déboussolés. Cette partie est nécessaire
pour comprendre la suite du personnage de Dell…
Pour cause de dettes,
ce ménage s’improvise braqueur d’une banque avec une « naïveté
confondante ». Le Hold-up foireux capote et Neeva et Bev se retrouvent en
prison. Dell nous dit : « Leurs règles gouvernaient notre conduite et
déterminaient tout ce que nous faisions. Maintenant ils étaient partis et leurs
règles avec eux. »
Berner fugue comme on
pouvait le prévoir et Dell trouve refuge, en passant la frontière, au Canada
grâce à une amie de sa mère afin d’éviter les services sociaux et d’échapper à
l’orphelinat. Ce sera la deuxième partie de ce roman. En un instant Dell passe
dans le monde des adultes pour lequel il n’est pas du tout préparé et doit
réagir devant le sentiment d’abandon total. Il va travailler dans le petit
hôtel d’Arthur Remlinger, homme mystérieux, charmeur et manipulateur, un
« ancien anar américain qui s’est réfugié dans un coin paumé pour fuir son
passé », coin sauvage et inhospitalier mais d’une nature magnifique dans
la Saskatchewan. Il croisera une infirmière bienveillante, un indien antipathique,
apprendra à chasser, à travailler dans cet hôtel dans des conditions précaires.
Il nous dit : « C’était une vie entièrement nouvelle pour moi
qui n’avais connu que les bases de l’Air Force et les villes dont elles
dépendaient, les écoles, les maisons de location…pour moi qui n’avais jamais eu
d’astreintes ni vécu d’aventures, qui n’avais jamais passé une journée entière
seul »…
Ce sera l’apprentissage de la vie face à la solitude, à la cruauté, à
l’indifférence des adultes, à la complexité du monde. De plus il sera le témoin
et le complice –malgré lui- de deux meurtres qui le mettront dans un grand
désarroi. Comment s’en sortir et devenir un autre ? Quelle est sa capacité
à se reconstruire ? Comment « accepter et comprendre les choses même
si elles apparaissent dépourvues de sens au départ » ? Ce sont des
pages magnifiques sur les pensées de cet adolescent devenant adulte.
Dans la troisième
partie, Dell est devenu professeur et nous assistons aux retrouvailles
poignantes de Dell avec sa sœur qui est en fin de vie. Magnifique conclusion
sur l’évolution de leurs deux vies cassées par l’inconscience de leurs parents.
Beaucoup de thèmes sont abordés : l’abandon, la solitude, le basculement de
la vie, la maîtrise du destin, la capacité à se reconstruire.
Beau livre sur
l’évolution et le cheminement vers l’avenir d’un homme.
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