Pierre Assouline : Le paquebot - Ed. Gallimard, 2022 - roman
On connait Pierre Assouline comme historien, biographe et aussi romancier, mêlant ses différents talents à des « histoires romanesques » et ici il réussit à merveille une description formidable d’un « huis-clos maritime » : son héros, le narrateur, Jacques-Marie Bauer, est un jeune bibliophile, spécialiste des livres rares et ayant pour clients « des collectionneurs de collections ». Il est né en 1881, la même année que Stefan Zweig, « un bon cru » dit-il… Il embarque le 26 février 1932 sur le paquebot « Georges Philippar » à Marseille. Pour cette croisière inaugurale de plus de deux mois aller-retour, le paquebot doit rejoindre le Japon à Yokohama.
Notre narrateur-voyageur est chargé d’une double mission secrète et « il reste mystérieux sur le motif de ce voyage ». Il est plutôt d’une nature mélancolique et pessimiste mais garde beaucoup d’humour et va nonchalamment se mêler aux conversations des plaisanciers mondains « autour d’une table », ou appuyé au bastingage, ou allongé dans une « chaise longue » sur le pont, ou à la piscine (car il est excellent nageur) le tout rythmé par la cloche du quartier maitre ou du mousse de sonnerie, appelant pour un repas ou autres. Il nous fait des portraits extraordinaires des personnages huppés de l’entre-deux guerres qui s’expriment « dans une langue perruquée » ou « avec des majuscules plein la bouche », avec un snobisme « grotesque sans limite et l’inconscience du ridicule ». Disant par exemple cette phrase que j’ai beaucoup aimée « Le golf, c’est la chasse des pauvres, non ? »…. Les femmes, elles, se réunissent comme une « bande de pipelettes » ou un « gang des papoteuses » qui potinent et ragotent. Parmi tout ce petit monde, se créent des amitiés profondes, des antipathies réciproques, des complicités muettes, des amourettes, des échanges musclés, toujours décrits par notre narrateur avec un humour caustique.
Au cours de cette croisière, plusieurs conversations font allusion à des courts-circuits qui « électrisent le bout des doigts des croisiéristes » et inquiètent notre narrateur de nature anxieuse mais ce beau monde ne voulait pas s’en soucier : « Cessez de craindre le pire, vous vous gâchez la vie » lui dit-on.
Quelques passages marquants m’ont enchantés : une partie d’échec passionnée ; un partie de jeu de l’ancêtre du Monopoly (The landlord’s game) ; une discussion sublime avec un aveugle ; mais aussi des discussions avec des allemands, l’ascension d’Hitler divisant l’assemblée dans cette société cosmopolite ; et aussi l’évocation d’un amour naissant de notre narrateur avec le belle Anaïs qui se voient à la piscine (ce qui nous vaut une petite scène érotique) et dans les rues de Saïgon et de Shangaï.
Les dernières cent pages annoncent l’arrivée du grand reporter Albert Londres à bord. Il embarque sur le paquebot avec des informations confidentielles. Sur cette route du retour la nuit du 15 mai 1932, un incendie éclate sur le paquebot dans le Golfe d’Aden et on dénombre 49 victimes dont Albert Londres. Notre narrateur, excellent nageur est sauvé… Les circonstances du décès d’Albert Londres demeurent imprécises : est-il mort dans l’incendie ou mort noyé ? Pierre Assouline a écrit une biographie sur le légendaire journaliste Albert Londres, ce qui lui permet facilement d’écrire cette dernière partie que j’ai moins appréciée.
Incroyable description de cette société insouciante et voulant ignorer la guerre proche, peinte par l’écriture formidable et l’humour décapant de l’auteur.
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