vendredi 3 avril 2020
Vanessa Springora : Le Consenrement (N°2 - Mars 20)
Vanessa Springora : Le Consentement - 2020, Grasset - témoignage
Cette auteure est devenue éditrice et, de ce fait, se décide
après 30 ans, de témoigner sur ce qu’elle a vécu à la fin des années 1980 en
écrivant le récit de ses « souvenirs d’adolescente » : entre 13
et 16 ans « elle tombe dans le piège du plus retors des pédophiles
notoires de la Capitale, l’écrivain Gabriel Matzneff » (Lire) qui a 50 ans
à l’époque.
Ce récit, d’une belle écriture, comporte six chapitres :
l’enfant, la proie, l’emprise, la déprise, l’empreinte, Ecrire » : on
suit bien le parcours…
Cette jeune fille a un père absent, une mère permissive et
immature qui appartient à la génération de mai 68 où il est « interdit
d’interdire ». A 14 ans, c’est une jeune adolescente précoce tant
intellectuellement que physiquement en manque d’amour parental. Elle
« tombe » donc follement amoureuse de cet homme, si heureuse que
quelqu’un s’occupe d’elle. Personne ne s’oppose à leur liaison, la majorité
sexuelle est pourtant fixée à 15 ans. Leur grand amour n’est pas discret.
« Personne n’expliquera à l’adolescente qu’on ne découvre pas l’amour et
le sexe avec un homme de 50 ans qui sodomise des petits garçons à Manille
pendant les vacances » (Lire). Mais aurait-elle écouté ? Cet homme
exerce sur elle une telle emprise qu’elle ne se rend pas compte et que le
« consentement » de tout le monde la conforte dans sa position.
Un an plus tard, elle découvre que ce grand amour est un leurre
et que son amant se sert de leur histoire pour écrire des livres…qui ont du
succès. Quelle époque !!! Comment cet homme a toujours réussi à échapper à
la justice : il devait avoir le bras long… Vanessa essaie de le quitter
mais il continue à la poursuivre : elle est alors seule, détruite, déscolarisée,
suit des thérapies et se reconstruit lentement…
Contrairement aux dires de l’auteure, je trouve que ce livre
est une belle vengeance contre cet homme. Elle dit que l’écriture fut une
thérapie pour elle et, il est vrai, « son témoignage est honnête, digne et
remarquablement écrit » mais il est dérangeant et pose questions sur le
« consentement ». L’auteur dit : « Ce n’est pas un ouvrage
de délation, mais une œuvre littéraire qui n’est pas dans le registre du
témoignage » mais elle accuse quand même….puis elle dit « J’aimerais
que ce livre serve de mise en garde, peut-être pour des adolescentes ( ?)
pour qu’elles sachent que le grand méchant loup, ça existe ». En effet
c’est le seul intérêt du récit à l’époque de l’affaire Weinstein, la vague
#Metoo, les déclarations de Adèle Haenel etc…
Jean-Luc Seigle : Femme à la mobylette (N°3 - Mars 20)
Jean-Luc Seigle : Femme à la mobylette - 2017, Flammaion - roman français
Jean-Luc Seigle est décédé le 5 mars 2020 à l’âge de 64 ans. Ecrivain
et dramaturge, il a écrit « une œuvre forte qui a séduit de nombreux
lecteurs en cherchant à s’approcher au plus près de la vérité et de la grandeur
des marginaux, des laissés-pour-contre et des victimes de
l’histoire » : ceci est un communiqué de son éditeur Flammarion.
On peut se souvenir du fameux roman « En vieillissant les
hommes pleurent » et l’émouvant « Je vous écris dans le noir ».
Je n’avais pas jusqu’alors fait de fiche sur ce roman, « Femme
à la mobylette », paru en 2017 et viens de relire ce si beau récit entre
« drame social et fable romantique ». L’auteur nous
« brosse le poignant portrait d’une femme isolée », oubliée de
tous. Reine a trois enfants, vit dans un pavillon délabré ou plutôt survit en
demandant de l’aide pour nourrir ses petits ( son mari l’a quittée pour une
autre du jour au lendemain) et lutte pour que la justice ne lui retire pas ses
enfants. Elle ressasse ces mots : « Tout finit dans l’absence et
le silence absolu du monde ». Elle dégringole et imagine les pires
situations, comme celle que l’on peut soupçonner dans la première partie
troublante intitulée « La nuit impossible ».
Mais deux miracles vont survenir : Reine trouve, dans le
fourbi de son jardin, une mobylette qui va lui permettre de trouver un travail
de « thanatopracteur » (embaumeur de cadavres) qui lui convient car
« elle a le culte des morts et du cimetière ». Second miracle, elle
découvre l’amour fou avec un homme, Jorgen, peintre et routier, qu’elle
rencontre sur une aire de repos de l’autoroute. Les deux miracles lui amèneront
un certain équilibre. L’auteur observe « son héroïne avec une justesse,
une puissance, une délicatesse bouleversante » (LIRE). « Il réussit à
donner à sentir son énergie vitale, le tout avec une écriture nette, rugueuse
et tendue » (Express).
Certains critiques trouvent que ce récit a « la noirceur
et la désespérance des romans russes » comme ceux de Tolstoï que la
grand-mère de notre héroïne lui lisait. D’ailleurs on remarquera que ses
enfants se nomment Sacha, Sonia, Igor. Le dernier chapitre « retour au
réel » avec une fin violente est aussi digne des tragédies russes.
Très beau portrait réaliste de cette femme réagissant
contre son statut d’oubliés de la société, " trop fragile dans un monde féroce".
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