Marie Darrieussecq : La Mer à l'envers - Ed P.O.L. , 2019 - roman français
Je connais Marie
Darrieussecq par ses romans psychologiques sur l’amour et sur la mort, par ses
traductions (comme Un lieu à soi de V. Woolf), par ses biographies (comme celle
sur la peintre Paula Becker), par « Truismes » qui était « la
chronique d’une métamorphose » et qui l’a révélée au public en 1996,
étonnant récit fantastique et dans le
superbe « roman d’anticipation » : « Nos vies dans la
forêt », ainsi que par l’excellent « Il faut beaucoup aimé les
hommes », pris Médicis en 2013.
Ici elle s’intéresse à
ceux qui sont contraints de quitter leur pays, « ceux pour qui l’exil est
devenu une nécessité et la débrouille, un mode de vie » écrit-elle :
« Migrants ? Réfugiés ? Demandeurs d’asile ? Voyageurs ?
Explorateurs ? Exilés ? voire Envahisseurs…». Pour elle, ce sont des
héros, ceux que célèbre David Bowie dans sa chanson « Heroes : We can
be Heroes, just for one day », écrit en première page de ce livre. Elle
dit dans le Monde : « Ce roman m’a donné du fil à retordre comme aucun
livre avant lui ». Ce fut « une longue gestation », cinq ans, un
voyage au Niger, une étape à Calais, une croisière.
Deux parties totalement
différentes forment ce roman. Dans la première, la héroïne, Rose, est une jeune
femme parisienne typique, « le portrait archétypal de la citadine
bobo » (Télérama). Elle est psychologue pour enfants et
« magicienne », dépositaire d’un don, celui d’apaiser les souffrances
par imposition des mains et ainsi transmet de l’énergie (sujet souvent abordé
par l’auteur). Elle embarque avec ses deux enfants sur un gigantesque paquebot
pour une croisière en espérant y faire un break et réfléchir à l’avenir de son
couple. Elle y vit mal la débauche de nourriture à bord, de gâchis écologique dans
« cet énorme symbole flottant du capitalisme, ce rêve de la classe moyenne
européenne », dit l’auteur qui a vécu cette expérience. C’est alors que le
navire croise une frêle embarcation où s’entassent des naufragés. Elle croise
le regard d’un jeune migrant, Younès, adolescent nigérien, à qui elle
donne quelques affaires et le téléphone
portable de son propre fils. Un lien est ainsi établi entre eux, « un
attachement technologique autant qu’affectif ».
Dans la deuxième
partie, les événements sont sur terre. Le quotidien a repris. L’auteur laisse
croître le sentiment de culpabilité chez Rose qui n’a pas bonne conscience à la
pensée de Younès. Rose et sa famille déménagent vers le Sud-Ouest natal, un
village imaginaire, Clèves, (rappel d’un titre d’un roman écrit en 2011). Et
fatalement un jour, le téléphone sonne. Younès, blessé, appelle au secours
alors qu’il est dans la « Jungle » de Calais. Rose part le
chercher, dépassant ainsi son confort
quotidien et son égoïsme : pages superbes et réalistes sur ce lieu.
L’auteur raconte qu’elle a été invitée par ARTE pour un reportage sur la
Jungle. Elle a donc vécu ce qui est si bien décrit dans ce récit. Elle
ajoute : « Les gamins que j’ai rencontrés à Calais et qui
avaient fait tout ce périple incroyable, avaient des étoiles dans les yeux. Je
ne les ai pas vus comme des victimes. Ce sont d’extraordinaires aventuriers,
des survivants. Ils sont fiers de ce
voyage initiatique ». De retour chez elle avec Younés, la famille de Rose va
apprendre à vivre avec ce jeune homme et lui avec eux jusqu’à son
rétablissement pour partir à Londres retrouver de la famille nigérienne.
Superbe livre
« qui dévoile nos peurs, nos lâchetés, nos possibles élans de cœur. Un
livre intime et universel sur l’état du monde qui passe par Calais » (Voix
du Nord) mais aussi un livre d’une grande finesse sur les sentiments et les
états d’âme des personnages montrant qu’une jeune femme ordinaire, énergique,
positive réussit à sauver un migrant et à sauver son couple.
Marie Darrieussecq
« sonne juste de bout en bout et laisse son empreinte » (Fémina). On
repense souvent à ce récit une fois le livre refermé. Que de questions et de
réflexions sur nos vies sont soulevées et abordées avec une écriture originale,
scandée et vive.
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