jeudi 28 février 2019

Dominique Bona : Mes vies secrètes (N°1 - fev 19)

livre mes vies secretes  Dominique Bona : Mes vies secrètes - Gallimard, 2019 - récit biographique.

 Le 23 Octobre 2014, Dominique Bona a été la huitième femme à entrer à l’Académie Française, superbement habillée selon les règles mais dans une tenue « Chanel haute Couture » quand même….Dominique Bona est une critique littéraire très reconnue et appréciée et un écrivain que j’aime beaucoup pour ses biographies dans lesquelles elle nous fait découvrir le côté intime et caché de ses personnages. Elle dit d’ailleurs cette phrase amusante : « J’ai arrêté d’écrire des fictions quand j’ai compris que la vraie vie est infiniment romanesque. La réalité dépasse presque la fiction. Ecrire des biographies me permet de vivre d’autres vies que la mienne ».

Dans ce livre « Mes vies secrètes », elle nous livre en quelque sorte « un secret de fabrication  : le cheminement  d’une biographe » mais aussi on la découvre elle-même : elle nous révèle comment elle se glisse dans la peau du personnage dont elle écrit la biographie et nous donne « sa vision  de l’art, de la littérature, de la famille, de la nature humaine, des émotions, des espoirs et des peines » (La Croix).
Elle met aussi les choses au point : le biographe doit faire appel à son code d’honneur : ne rien inventer : « détourner le cours de la biographie vers le roman serait pour moi un péché capital »…bien qu’elle aurait aimé plusieurs fois « déduire » une vérité et inventer des couples aléatoires et des énigmes mystérieuses.
J’ai, moi-même, toujours été passionnée de découvrir les maisons des écrivains, leur lieu de travail, pour les imaginer dans leur cadre de vie. Dominique Bona visite les demeures de ces héros et cela m’a vraiment enchanté : celle de Berthe Morisot, d’André Maurois, de Paul Valéry, de Colette à Saint Sauveur en Puisaye, de Romain Gary, de Gala (la muse de Dali), de Stefan Zweig à Salzbourg, de Clara Malraux à Paris, des sœurs Hérédia à Arcachon, de Lesley Blach à Menton, l’hôpital psychiatrique de Montdevergues pour Camille Claudel etc…
Passionnant aussi de découvrir toutes les rencontres qu’elle organise avec les familles des écrivains, peintres ou sculpteurs qui lui ouvrent leurs archives, lui montrent des photos, lui livrent quelque fois des secrets car elle nous explique qu’elle a toujours écrit « sur des personnages que je n’avais jamais approchés dans la vie réelle et qui m’étaient à peu près inconnus » (sauf Clara Malraux vue pour un unique entretien).

Intéressant aussi de se rendre compte que ses biographies sont sur des personnages à peu près de la même époque c’est-à-dire de la fin du XIXème siécle et de la première moitié du XXème. Beaucoup de ses recherches lui servent pour plusieurs héros.
Impossible de faire ici un commentaire sur chaque biographie et chaque cheminement de l’auteur : Elle nous donne envie de relire ses livres mais aussi, et surtout, l’envie de lire les livres de ses auteurs biographés, de revoir les tableaux des peintres et les pièces des sculpteurs, d’écouter la musique évoquée.




Abnousse Shalmani : Les exilés meurent aussi d'amour (N°2 - Fev 19)

Les exilés meurent aussi d'amourAbnousse Shalmani : Les éxilés meurent aussi d'amour - Grasset, 2018 - roman

 Abnousse Shalmani écrit ici l’histoire d’une famille iranienne qui, en 1985,  a fui l’Iran et les persécutions à l’époque du Chah Reza Pahlavi car ils étaient  intellectuels et communistes.  On imagine qu’il y a beaucoup de vécu pour l’auteur dans ces témoignages.

L’héroïne Shirin a 9 ans dans la première partie intitulée « An I de l’exil ». Elle vient d’arriver à Paris avec son père et sa mère et ils sont « accueillis » par les nombreuses sœurs de la mère. Elle suit les discussions de sa famille sous le canapé du séjour ou dans le couloir et y apprend tout. Et quelle famille !!! Ce sont tous des personnages qui répandent le malheur et vivent dans un climat de haine : des tantes communistes manipulatrices, un grand-père incestueux, un frère (né à Paris) « le tout petit frère » ainsi nommé durant tout le récit, surdoué, qui, plus tard, fabriquera des poisons (quelquefois engendrant de très graves troubles) mais aussi quelques personnages  plus rassurants : une mère aimante, « possédant le don de rendre beau le laid », Hannah une voisine, survivante de la Shoah, qui est de bons conseils pour l’enfant puis l’adulte, un père professeur, effacé, qui ne partage pas les idées de ses belles sœurs tyranniques  mais qui n’a pas son mot à dire devant la tribu des femmes. Tout ce petit monde forme une famille « dysfonctionnelle » et fantasque.
On se rend compte des difficultés d’adaptation des exilés et le poids des traditions, principalement pour cette enfant : la langue, les habitudes culinaires, les fêtes, l’école, les amis : tout est compliqué et terriblement angoissant puisqu’on ne s’occupe pas d’elle ou très peu. On peut penser à cette phrase qu’Atiq Rahimi a dit à la Grande Librairie la semaine dernière : « Quand on a quitté ses racines, on est éternellement en errance ».
 Dans la partie « An IX de l’exil », l’héroïne a 18 ans et cherche tous les moyens pour fuir son milieu. Après quelques amourettes françaises, elle tombe amoureuse d’Omid, un ami de la famille érudit qui va lui transmettre la culture française. Elle s’émancipe avec cet homme énigmatique. Puis elle choisit la liberté pour vivre et lutter contre la haine et la violence.
Ce livre romanesque (certains personnages sont caricaturés à l’extrême) est comme un conte oriental cruel et excessif mais agréable à lire car l’auteur emploie l’humour pour ce sujet délicat à traiter ce qui en fait un récit « tragi-comique ».

Hubert Haddad : Premières neiges sur Pondichéry (N°3 - Fev19 )

Hubert Haddad : Premières neiges sur Pondichéry - 2017, Zulma - roman français

 livre premieres neiges sur pondichery

L’auteur de « Si je t’oublie Jérusalem » écrit ici un petit bijou de littérature dans lequel il nous dit : « Le mélange des langues en temps de paix est la plus belle musique ». En effet l’auteur écrit une réflexion sur la musique qui est la mémoire du monde, un roman « plein de vibrations mélodieuses et de fragrances, qui célèbre la tolérance, le pardon, la paix, la poésie de l’âme juive » (Fémina).
Le héros, Hochéa Meinstzel, vieux violoniste virtuose, est anéanti par un attentat à Jérusalem auquel il a survécu ainsi que sa fille adoptive, Samra. Il décide de partir pour l’Inde et de ne jamais revenir à Jérusalem. « Après une équipée cahotante », il arrive à Pondichéry sous la neige et découvre cette ville avec une merveilleuse guide musicienne qui le vénère. Il y vivra « sa renaissance » et y retrouvera le goût à la vie.
Roman somptueux qui nous « plonge dans un univers sensoriel extrême, exubérant, heurté, entêtant, à travers le prisme d’un homme qui porte en lui toutes les musiques du monde et accueille l’inexorable beauté de tous ses sens » (Note de l’éditeur)

samedi 2 février 2019

Agnès Desarthe : La chance de leur vie (N°1-janv 2019)

livre la chance de leur vie      Agnès Desarthe : La chance de leur vie - Ed. L'olivier, 2018 - roman français.

 On aime retrouver Agnès Desarthe, « sa petite musique et ses personnages souvent tourmentés » et, dans ce roman, un peu déjantés… C’est le sourire aux lèvres que l’on lit ce récit « splendide, aussi sensuel qu’intelligent » (le Monde).

C’est l’histoire de l’aventure américaine d’une famille française en 2015-2016. Elle est formée de trois personnes qui vont se réinventer au fil des mois et qui vont s’intégrer à leur manière dans la vie américaine.
Le père, Hector, poète et philosophe, bientôt à la retraite, est nommé à un poste de professeur dans une université de Caroline du Nord. Il accepte ce déplacement « comme un ultime défi professionnel ». Il compte bien en profiter pour avoir des relations féminines extra-conjugales. Il s’avère qu’il y réussi avec ses consœurs « affolées par sa nonchalance et son flegme »…
Sylvie, la mère, la soixantaine, est « un peu lunaire, fragile, indécise » (l’Express). Cette femme atypique est d’une oisiveté étonnante mais voulue par elle. Elle est ainsi et reste fidèle au « dogme taoïste du non-agir » qu’elle aime appliquer. Elle connait les infidélités de son mari mais y semble indifférente tant elle sait que leur amour est indestructible. Elle veut connaître  le milieu des « expats » désœuvrés, ce qui nous vaut des détails hilarants sur des cours de poterie assez singuliers, où elle fera des pièces de céramiques inspirées des légumes pourris dans son réfrigérateur ou des chaussures déformées… qui auront un certain succès !!!
Lester, 14 ans, d’une intelligence précoce, est en pleine crise mystique. Il se fait appeler Absalom Absalom, est émule de Saint Augustin , prie pour ses parents et nomme Dieu « mon tendre ». Il devint gourou d’un groupe d’ados désœuvrés et délaissés par leurs parents qui se  réunissent dans les bois pour méditer.Il multiplie les excentricités et provoque un scandale qui, lui, provoquera le dénouement inattendu de ce roman. Il se sent relié au monde, les informations parvenant à tous en même temps dans notre monde moderne : « on se connait tous », dit-il à ses parents  qui voulait le protéger aux moments des attentats en France en novembre 2015.
L’auteur explore donc ici le thème de la famille de l’usure mais aussi de l’éternité d’un couple, décrit avec humour la vie universitaire américaine, la place de la femme dans cette société et la place de la culture dans ce milieu. L’écriture décalée, merveilleusement simple, « teintée d’ironie délicate » fait de ce roman, se passant dans une atmosphère assez étrange,  un très agréable moment de lecture


Virginia Woolf : Quel soulagement : se dire "j'ai terminé" (N°2 - janv 2019)


 livre quel soulagement : se dire "j'ai termine"



 


Virginia Woolf : Quel soulagement : se dire "j'ai terminé"- Ed les belles lettres, 2018 - journal traduit par Micha Venaille.

En 2018, est paru ce recueil d’extraits du journal intime de Virginia Woolf. écrit du 19 aout 1908 au 23 mars 1941, cinq jours avant son suicide. « C’est le journal d’un écrivain et, plus encore, le journal d’une vie » dit l’éditeur. En effet le lecteur vit avec cette auteure extraordinaire au quotidien : ses réflexions sur sa création littéraire, ses recherches, ses espoirs, ses angoisses, ses larmes, ses secrets et sa maladie.
Années après années, on assiste sur le vif à la naissance de ses livres  pour arriver au titre de ce recueil : « Oh, quel soulagement, se réveiller et se dire ‘j’ai terminé’ ». C’est d’autant plus intéressant lorsqu’elle explique la création d’un livre que l’on a lu. Quel travail accompli ! quel acharnement !
Je résume ici les notes de la préface décrivant les étapes de la création d’un livre, préface écrite par la traductrice des œuvres de l’auteure, Micha Venaille :     - la naissance d’un livre, l’idée notée vite fait sur un carnet puis la création à un rythme irrégulier puis l’enregistrement précis du travail : elle parle sans cesse de terribles batailles, d’épreuve, de solitude et en même temps de fureur créative ; - la fin de l’écriture avec l’inquiétude et en même temps le soulagement ; - la phase des épreuves avec la réécriture de certains passages ; - l’attente des critiques au moment de la publication. Elle écrit : « Frayeur, insolence, pessimisme, mépris, humour, bonheur, inquiétude, confiance, fragilité, désespoir, sagesse parfois ». Elle écrit aussi en 1929 « J’essaie plusieurs versions de la même phrase, je transige, je me trompe, je cherche encore, jusqu’à ce que mon cahier évoque le rêve d’un fou ». N’oublions pas que l’auteur tape elle-même inlassablement et des heures durant à la machine à écrire tous ses textes.
En milieu du livre, l’éditeur a inséré quelques reproductions de couvertures de livre de l’auteure : ces gravures superbes ont été faites par Vanessa Bell, la sœur de Virginia Woolf, artiste reconnue à la vie sulfureuse faisant partie du groupe Bloomsbury, créé au début du XXème siècle (réunion de créateurs et personnalités qui  jouent un rôle considérable dans la perception sociale, politique et artistique  du XXème siècle. )
En fin de livre, nous trouvons quelques pages de notes sur les amis à qui Virginia écrit et dont la correspondance parait dans ce journal : précieux documents qui nous renseignent sur toutes ses relations : qu’elles soient littéraires, amicales, amoureuses, familiales (relations très compliquées avec sa sœur, ses maris, ses amants)
Magnifique moment de lecture, émouvant, instructif pour de futurs écrivains,  se dévorant facilement… comme un roman.

Léonard Woolf : Ma vie avec Virginia (N°3-Janv 2019)

livre ma vie avec virginia Léonard Woolf : Ma vie avec Virginia - Ed. Les belles lettres , 2016 - témoignage traduit de l'anglais par Micha Venaille.

 Comment ne pas associer Léonard Woolf à sa femme Virginia. Venant de lire le journal nouvellement édité de Virginia Woolf, il me parait évident de parler de son mari Léonard et du soutien inconditionnel qu’il lui a apporté tout au long de sa vie d’écrivain de 1912 à 1941. Est parue en 2016 un petit recueil éditant une courte autobiographie de Léonard Woolf : magnifique témoignage de cet homme décrit ainsi en postface par son neveu : « un homme mince, les yeux bleus, les cheveux gris, le profil d’un prophète de l’Ancien testament, drôle, laconique, élégant, même avec ses vieux pantalons en velours… ».

Cette autobiographie sous forme de journal intime comporte quatre parties.
Dans « semer », il raconte ses engagements, sa vie scolaire à Cambridge où il fait la connaissance du frère de Virginia puis son départ pour Ceylan comme fonctionnaire en 1904 et son retour en Angleterre. Il épouse Virginia dans la seconde partie « Tout recommencer ». Il l’admire en disant : « Elle a une beauté éthérée et toujours superbe mais douloureuse à observer dans les moments d’anxiété et de souffrance ». Il réalise tout de suite que Virginia a des troubles  qui commenceront par de l’anorexie. Il dit : « J’ai déjà écrit qu’on associe souvent le génie à la folie. Eh bien, je suis certain que le génie de Virginia était en lien avec cette instabilité mentale ». Il est le seul à l’époque à diagnostiquer la maladie de sa femme comme une psychose maniaco-dépressive avant les médecins qui ne voyaient qu’une dépression  et après la lecture des travaux de Freud. Entre les moments d’euphorie la plongeant dans un travail acharné d’écriture et les moments de repos imposé, ils réussissent à créer la « Hogarth Press » et ce sera leur début en tant qu’éditeur dans leur propre maison. En 1919, ce sera une maison d’édition commerciale. « La pente descendante » commence dans cette troisième partie : le couple s’éloigne de la vie parisienne pour fuir l’agitation, les médecins conseillant à Virginia plus de « sérénité » !!! Ils s’installent à Monk’s House (que j’ai la chance d’avoir vu : modeste maison dans un petit village). « Son attitude n’était pas simple » : contraste entre les soirées à deux  dans leur maison « assez primitive et sans confort » et les « parties » somptueuses à Londres qu’aimait Virginia (pas Léonard) quand sa santé était un peu plus stable.
Dans la quatrième partie « C’est le voyage qui compte, pas le but », Virginia termine l’écriture de deux livres le 9 mai 1940 et reste épuisée par ce double travail : Biographie de Roger Fry et Les Années. L’auteur écrit : « Ces trois cent vingt cinq jours (entre la fin de ce travail et le jour du suicide de Virginia le 28 mars 1941) ont été les jours les plus atroces de mon existence…il m’est très difficile de raconter ce que j’ai vécu, de l’exprimer par des mots ». Il raconte que sa femme rentre dans une « dépression désespérée » en janvier avec des hauts et des bas mais quatre jours avant son « départ », elle avait des idées pour une nouveau roman…La lettre qu’elle écrit à son mari est magnifique et très émouvante.
Quel bel hommage d’un mari à sa femme, quel respect l’un envers l’autre, quel soutien extraordinaire fut Léonard pour Virginia même « pendant les envahissantes heures sombres ». Son neveu écrit : « Sans lui Virginia n’aurait pas vécu assez longtemps pour écrire ses chefs d’œuvres ».