Marie Darrieussecq : Etre ici est une splendeur -vie de Paula M. Becker - 2016, P.O.L.- Biographie
L’auteur publie ici la
première biographie en langue française sur Paula M. Becker (1876-1907). Elle s’est
passionnée pour la vie de cette artiste-peintre allemande jusqu’à réussir
à obtenir une exposition d’une centaine de dessins et
de peintures au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris qui a lieu
actuellement jusqu’au 21 Août. Cette artiste « est restée méconnue hors
d’Allemagne », dit-elle, « je voulais donc la montrer ; et sa
vie courte et intense, son quotidien conjugal contraint, son souci permanent
d’un atelier à elle et d’indépendance financière : je voulais raconter
cela ».
Marie Darrieussecq
s’appuie sur de nombreux témoignages : journal intime de l’artiste et
surtout correspondance avec ses parents et avec le poète Rainer Maria Rilke
pour lequel Paula avait une grande amitié. Rilke rend d’ailleurs hommage à
l’artiste dans un superbe poème « Requiem pour une amie » composé
après la mort de Paula à l’âge de 31 ans. Elle commente aussi évidemment les
superbes peintures de Paula qu’elle est allée voir au Musée de Brême, dont
les thèmes sont caractéristiques de l’époque (autoportraits, mères et enfants,
jeunes filles, paysages, natures mortes…) La forte expression dans la couleur
et la grande sensibilité font considérer Paula comme une avant-gardiste
« glissant vers le cubisme » et comme étant influencé en fin de sa
vie par les œuvres exposées à Paris en
1906 « de Gauguin comme du Douanier Rousseau ».
L’auteur nous décrit
Paula ainsi : « Paula est jeune éternellement. Il reste d’elle une
douzaine de photos. Petite, menue. Les joues rondes. Des taches de rousseur. Un
chignon flou, la raie au milieu. « D’un or florentin », dira
Rilke. » Quel beau portrait : on l’imagine…Elle écrit aussi que Paula
considérait avoir une vie enchanteresse, gaie et amicale.
On ne peut qu’être ému
du destin tragique de cette artiste qui n’a peint qu’une dizaine d’années.
L’art, la littérature et la musique occupaient une place essentielle dans
l’éducation des enfants de cette famille et on ne peut qu’admirer l’ouverture
d’esprit des parents de Paula pour cette époque. Elle peut suivre des cours
artistiques en Angleterre chez un oncle en 1892 puis à Brême en 1893, puis à
Berlin en 1896 où elle réalise de nombreux dessins de nu : étonnant pour
l’époque et pour une femme !! « Paula est la première femme à s’être peinte nue après des siècles
de regard masculin sur le corps des femmes » nous dit l’auteur :
« Les lignes sont fortement marquées et les effets de clair-obscur sont
frappants ». Elle intègre la petite
colonie d’artistes de son village natal Worpswede où elle rencontre son futur
mari et des amis de Rilke. La nuit du 31 décembre 1900, Paula prend la route
pour la France, centre d’attraction pour tous les artistes d’Europe. Elle y
retrouve son amie Clara Westhoff qui
travaille comme sculpteur à l’Académie Colarossi et espère devenir élève de Rodin et Camille
Claudel. Elle rencontre le poète Rainer Maria Rilke du même âge qu’elle, né à
Prague. Marie Darrieussecq nous écrit des pages magnifiques sur l’amitié qui
liera Paula et Rilke.
Elle épouse en 1901 le
peintre Otto Modersohn, de 11 ans plus âgé qu’elle. Elle le connait depuis
longtemps puisqu’en 1895 elle avait admiré ses tableaux et l’homme
« Quelque chose de grand, dans un costume marron, avec une barbe
rousse »…Mais Paula reste une femme libre et pétillante. Elle écrit :
« Je suis forte, pleine de vie et en bonne santé ». Elle retourne
seule plusieurs fois à Paris pour « filer l’amitié parfaite avec
Rilke »…et en 1906, elle annonce une rupture avec son mari qui continuera
de l’entretenir. Elle aime Paris et a
besoin pour s’épanouir de variétés et de contact avec le monde extérieur. Son
mari viendra vivre à Paris avec elle l’hiver 1906-1907. Elle sera alors
enceinte d’une petite fille qui nait le 2 novembre mais Paula meurt d’une
embolie pulmonaire le 20 novembre 1907.
Il n’est pas étonnant
que Marie Darrieussecq se soit passionnée pour cette artiste car elle écrit
souvent sur les mêmes thèmes : le travail de la femme, comment concilier l’art
et la vie de femme, la maternité.
Je rappelle que Marie
Darrieussecq vient de re-traduire le superbe livre de Virginia Woolf « A
room of one’s Own » qu’elle traduit par « Un lieu à soi » que
toute femme peintre, écrivain, artiste aimerait avoir…et non la sitting-room
commune à toute la famille ou la chambre à soi…: clin d’œil à ce sujet
dans ce livre sur Paula…
Après avoir lu cette
superbe biographie qui se lit d’un souffle tant l’écriture est simple, directe
avec des phrases courtes, j’ai hâte évidemment de me rendre à cette exposition
à Paris. L’auteur nous dit : « Je n’aurais de toute façon pas pu
imaginer écrire mon texte sans qu’on puisse accéder à ses tableaux ».
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