Jean-Paul Kauffmann : Outre-terre - Gallimard, 2016 - récit
Enormément de choses à
dire sur ce magnifique livre tant les sujets abordés sont variés : c’est
un récit de voyage, un reportage, une étude historique de la bataille
d’Eylau que gagna Napoléon en 1807, une
galerie de portraits de personnages diverses d’une justesse étonnante, des
apartés sur la réadaptation à la vie de l’auteur après sa détention et sur sa
première visite à cet endroit en 1991. « Dans ce récit sombre et
drolatique, Kauffmann se révèle polémologue, stratège, historien, reporter
d’hier et d’aujourd’hui, chirurgien qui ausculte les replis de l’âme » (La
Croix)
Jean-Paul Kauffmann est
grand reporter pour « L’événement du Jeudi » lorsqu’il est enlevé et
gardé comme otage de mai 1985 à mai 1988. Il parle peu de son enfermement et
n’évoque jamais directement son expérience d’otage dans ses livres précédents.
Ici dans ce récit écrit de nos jours mais qui se passe en 2007, il fait un peu
plus d’allusions à son isolement de trois ans et surtout aux difficultés de « cette
épreuve qui a transformé mon être profond » dit-il. Il n’a pas vu ses
enfants grandir pendant trois ans et en ressent un manque poignant…
Ici, le voilà parti en
2007 avec sa femme Joëlle et ses deux fils à l’âge d’être étudiants, l’ainé et le cadet - ainsi nommés – sur les lieux de la bataille
d’Eylau qui se passa il y a 200 ans. Il loue sur place un minibus
« couleur jaune pâle, nuance citron avec d’épais rideaux caca d’oie très
nomenklatura aux motifs soviéto-psychédeliques ». Il donne des détails avec
une douce ironie sur leur vie dans le froid glacial de cet endroit où ils
mangent « une cuisine vivifiante, aigre et intense »…Lors des visites,
il décrit l’environnement hostile : « Nous pataugeons dans les
flaques grisâtres. Un brouillard givrant a envahi la place, le ciel est
bouché »…Napoléon dira à ce sujet : « Il y a 4 éléments mais ces
contrées m’en ont fait connaitre un de plus : La Boue ».
Où s’est passée cette
fameuse bataille ? Il est très intéressant de regarder la carte en
troisième de couverture du livre qui explique comment ce territoire est russe
mais n’a aucune frontière avec la Russie. Il lui apporte une sortie sur la Mer
Baltique. Cette enclave a une frontière avec la Lituanie et la Pologne. La
Biélorussie la sépare de la Russie : étrange territoire donc, qu’une
spécialiste du monde baltique nomme « Département d’Outre-Terre » cet
avant-poste russe, d’où le titre de ce récit.
Pendant leur séjour, la
famille Kauffmann logera près des lieux de la bataille à Königsberg (nommé
aussi Kaliningrad) à 40 Km d’Eylau. Il se trouve qu’il est organisé à Eylau ce
début février 2007 une cérémonie en l’honneur du 200ième
anniversaire de la bataille. L’auteur
est accompagné pour ses visites de Julia, jeune femme interprète, qui connait
parfaitement la région et l’histoire ce coin.
Depuis son premier
voyage effectué sur place en 1991, Jean-Paul Kauffmann a fait énormément de
recherches sur cette bataille qui le passionne autant que le pays. Nous lirons
donc beaucoup de références à des écrivains, particulièrement Balzac et son
« Colonel Chabert », à des ouvrages écrits par des militaires ayant
vécu l’événement « les Bulletins de la Grande Armée », à des
documents d’historiens ayant fait des recherches sur cette bataille, à des
biographies sur Napoléon.
Car le 8 février 1807 fut le jour le plus
cauchemardesque de la Grande Armée de Napoléon : On parle de la
« Boucherie d’Eylau ». C’est le premier accident de l’Empire :
« Il y aura un avant et un après Eylau ». Bien qu’ayant gagné cette
assaut, Napoléon y vit la bataille la plus périlleuse de son règne. Il sera à
deux doigts de battre en retraite et cela le mortifie. Il sera sauvé par « la plus grande
charge de cavalerie jamais égalée », dira Murat, qui a orchestré cette
attaque avec la fameuse stratégie de Napoléon qui est « le débordement par
les ailes ». Mais cela aura coûté la vie à des dizaines de milliers de
soldats dans ce bourbier incroyable. Il suffit de regarder au milieu du livre
la reproduction du tableau d’Antoine-Jean Gros, représentant Napoléon sur le
champ de bataille le 9 févier le
lendemain de la victoire pour comprendre. Les Russes ont du mal à
admettre que ce fut une victoire pour Napoléon : certains la contestent et
se l’approprient tant il y a eu de victimes des deux côtés.
Sur ce fameux tableau
qui a tant inspiré les chercheurs, notre auteur est subjugué par
« l’impénétrable église, à la fois icône et signal optique » que l’on
voit sur une hauteur au loin : Jean-Paul Kauffmann n’aura de cesse de
vouloir visiter cette « église-sémaphore » et son cimetière mais elle
est devenue une usine, « ce sanctuaire-usine » comme il dit…
L’écriture feutrée de
l’auteur, toujours précise et liée, parfois pleine d’humour rend ce récit très
agréable à lire. Le lecteur appréciera les descriptions des personnages
typés : la guide, le conservateur du musée, l’homme à la chapka,
l’historien réputé qui organise la commémoration mais aussi les descriptions du déroulement de la bataille (quelque fois un
peu longues et crues) puis le spectacle des journées de commémoration…
Très beau travail et
très belle histoire que cette épopée tant pour la famille Kauffmann que pour
l’Empereur Napoléon !!! et qui en font un « texte passionnant, une
confidence partagée où le murmure de l’histoire a recouvert le fracas de la
bataille » dit Télérama.
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