Emmanuel Carrère : Il est avantageux d'avoir où aller - P.O.L., 2016 -recueil.
J’ai eu la chance de
participer à une rencontre avec l’auteur qui a séduit tous les lecteurs
présents par sa façon d’être proche de nous, de parler extrêmement clairement
et d’être d’une grande gentillesse.
Il nous a d’abord dit comment
il aime porter son regard sur d’autres vies que la sienne et comment il écrit
des textes en s’attachant à des fragments de réalité, à des individus et leurs
histoires particulières. D’où l’idée de faire un recueil de ses expériences. Il
rassemble dans ce dernier livre une trentaine de textes : reportages,
comptes- rendus d’audience, préfaces de livres, chroniques qu’il a écrit entre
1990 et 2015 et qui sont parus dans différents supports : journaux,
revues. On suit ainsi en même temps, comme dans une biographie, les événements
marquants de sa vie de reporter mais aussi sa vie personnelle, d’autant qu’il
emploie la première personne ce qui rend l’ensemble des textes très intimistes.
« Il dessine un parcours, relie des points un à un, qui finissent par
donner, sinon une unité, du moins une cohérence, une direction à son
œuvre ». Il ajoute même de temps en temps « une voix-off »
c’est-à-dire de courts apartés au début ou à la fin d’un texte. Il
confie : « Je sens le moment où j’ai envie d’intervenir dans le
récit, de raconter où j’en suis de cette entreprise et, éventuellement, de ma
vie ». Il nous explique comme il aime être journaliste-reporter (et non
pas journaliste-éditorialiste, ne pas confondre !!!) : « Le
reportage vous fait sortir de chez vous, sortir de vous ». Quand il fait
un reportage, il se sent désigner par le sujet : « on est la
personne au monde qui peut raconter cela ; on se sent ‘commis
d’office ‘ ». Pour répondre à une question de lecteur, il explique le
titre de ce livre qui est un peu surprenant, énigmatique et même difficile à
dire : C’est un proverbe chinois qui lui a paru bien définir ce « livre composite ».
Nous irons donc dans le
fin fond de la Russie post-soviétique décadente et de la Roumanie de 1990 mais
aussi dans les bars parisiens, aux journées de Davos de 2012, à New-York…
Son écriture précise et
juste, la lucidité de son regard, la précision des détails, son autodérision
envers lui-même et son ironie font de ce recueil un régal de lecture : « on
rit souvent dans ces pages pleines d’ironie ». Difficile de citer quelques
articles seulement mais en voici quelques-uns : l’interview complétement
raté de Catherine Deneuve, les journées de Davos sont très drôles. Plusieurs
articles annoncent des livres : l’affaire Jean-Claude Romand qu’il aura
beaucoup de difficultés à « raconter » et deviendra un livre à grand
succès « L’adversaire » (paru en 1999 puis en 2001 en poche) ;
la vie de son ami Limonov, le dernier des Possédés qui deviendra la superbe
biographie « Limonov » (paru en 2011 et en 2013 en poche) :
« ce voyou, poète, loser, écrivain, soldat, chef de parti », nous dit l’auteur ; le récit du tsunami
au Sri-Lanka et de la maladie de sa belle-sœur dans le magnifique récit
« D’autres vies que la mienne » (paru en 2009 et en 2010 en poche).
Il nous parle de sa
passion pour le célèbre auteur américain Truman Capote (1924-1984) :
« Une fois par an au moins je relis « de sang-froid ». A chaque
fois plus impressionné par la puissance de sa construction et la limpidité
cristalline de la prose » dit-il. Il écrit son admiration pour
l’académicien Michel Déon (96 ans) qui dit de lui : « Ce qu’Emmanuel
a de russe, c’est ce qu’il a de meilleur : une intelligence, un savoir,
une philosophie » : bel hommage.
J’ai été passionnée par
cette lecture très variée qui donne un « éclairage fascinant sur l’œuvre littéraire »
d’Emmanuel Carrère et qui dresse de
multiples portraits mais surtout celui de l’auteur, « en homme, en
journaliste et en écrivain ». (Le Monde). Un critique du Figaro termine un
article en écrivant : « pas d’information prétendument objective, pas
de message, ni d’analyse définitive mais un goût du jeu, une curiosité du
détail, un sens de la pirouette et de la figure de style font l’irrésistible
attrait de cet ensemble ».
J’ajoute qu’Emmanuel
Carrère a écrit un superbe article dans la revue XXI sur la ville de Calais qui s’intitule
« Lettre à une calaisienne » après avoir séjourné dans cette ville du
Nord de la France.
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