Jérôme Garcin : Le Voyant - Gallimard, 2015 - roman français
Jérôme Garcin a toujours
aimé écrire des portraits d'hommes à l'âme forte et à la vie
fulgurante, tel le livre sur son père disparu accidentellement à
45 ans « La chute de cheval » paru en 1998, sur son frère
jumeau mort très jeune « Olivier » paru en 2011, sur
Jean Prevost (Pris Médicis de l'essai en 1994, sur Jean de la Ville
de Mirmont, soldat en 1918 « Bleus horizons » paru en
2014.
Ici dans « Le
Voyant », il nous fait un récit admirable de la courte vie de
Jacques Lusseyran, l'aveugle résistant. Après avoir relu le récit
autobiographique de cet homme à la vie hors du commun « Et la
lumière fut » (réédité en 2005 et en poche en 2008), Jérôme
Garcin décide de rendre hommage « à cet enseignant et
écrivain d'une fascinante sensibilité qui résista au nazisme et
dévora la vie en dépit de sa cécité » (La Croix). Il veut
raconter cette vie pour « comprendre les profondeurs de cet
homme brillant et paradoxal. Je me souviens, dit-il, des émotions
contradictoires que j'éprouvais à la lecture de son témoignage
magistral et capital ». « Cela le passionnait aussi,
dit-il, de raconter tout un pan de l'Histoire à travers les
sensations d'un aveugle ».
Cet homme, né en 1924, est
devenu aveugle à l'âge de 7 ans suite à une bousculade à l'école.
Il dit : « J'avais perdu mes yeux, je ne voyais plus la
lumière du monde et la lumière était toujours là… Je voyais
avec les yeux de mon âme ». Il apprend le braille rapidement ,
soutenu par des parents cultivés, lettrés, mélomanes qui désirent
lui donner une vie « normale ». Il retourne à l'école,
fait de brillantes études, puis « l'aveugle clairvoyant »
se fait Résistant. Il entre dans un réseau où on lui confie le
recrutement car il sait détecter un mensonge par l'intonation de la
voix et juge à la façon de serrer la main… Il s'entoure d'amis
sûrs. Il dit : « Seuls venaient à moi ceux qui
étaient capables de générosité et de compréhension ».
En 1943, il est arrêté et
transféré à Buchenwald et réussit à survivre : « Il
ne verra pas les horreurs du camp de la mort, il les sentira, les
entendra et pire encore le imaginera ».
Au retour, une nouvelle vie
commence. La loi française empêche les aveugles d'enseigner, il
part donc aux Etats-Unis mais alors se laisse embarquer par un gourou
qu'il considère comme « son maître de joie ». Sa
première femme restera avec ce gourou. Il se remarie avec une toute
jeune élève et ils se tuent tous les deux dans un accident de
voiture sur la RN 23, lui à l'âge de 47 ans.
Jérôme Garcin rend
« grâce à cet homme avec une sincérité pleine de chaleur
alliée à une écriture belle et humble » dit un critique du
Figaro. Bel hommage à cet auteur que j'aime beaucoup qui anime
l'émission « Le masque et la plume » sur France Inter
depuis 1989 et qui est journaliste à l'Obs. Il a su nous transmettre
son admiration et son émotion dans ce beau récit biographique sobre
et juste et a réussi à nous exprimer son attachement à cet homme
sensible et admirable.
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