Delphine de Vigan : D'après une histoire vraie - Lattès, 2015 - roman français
Difficile de présenter ce roman à multiples facettes…avec deux thèmes principaux : l'emprise d'un individu sur un autre et une réflexion sur l'élaboration de ce roman entre fiction et réalité.
En début de récit, la narratrice commence une relation amicale avec L.. Cette narratrice se nomme Delphine et ressemble en tout point à l'auteur : elle est romancière, a deux ados d'un homme dont elle est séparée, qui vont prendre leur indépendance, a un amoureux François, journaliste qui anime une émission littéraire à succès et voyage beaucoup à cette époque pour faire des interviews d'auteurs américains. (Il est bien connu que l'auteur et François Busnel sont en couple).
L. est une très belle
femme prévenante et troublante, veuve sans enfant. Elle est
« nègre », c'est à dire rédige des livres pour les
autres.
Notre Delphine est dans une
phase fragile. Elle a publié un texte autobiographique sur sa mère
bipolaire et elle-même. Le succès de ce roman l'a perturbée.
« C'est dans cet état de vulnérabilité qu'elle rencontre L.
qui exerce une emprise croissante sur Delphine en proie au doute »
(Le Monde). « Une douce emprise, intime et troublante dont
j'ignorais la cause et la portée » dit-elle. « L. s'est
installée dans ma vie avec mon consentement, par une sorte
d'envoûtement progressif ».
Le roman prend alors
l'allure d'un thriller psychologique qu'on dévore d'une traite. L.
exerce un « étau moral » sur Delphine : elle dit
des phrases que Delphine a l'impression d'avoir déjà dites, elle
dit avoir fait les mêmes études en même temps qu'elle, elle parle
des deux films préférés de Delphine alors que celle-ci ne lui en a
jamais parlé, elle finit par porter les mêmes vêtements que
Delphine….
La tension croît au fil
des pages. Jusqu'où va aller cette L. ? Quand Delphine va
réaliser la prise de pouvoir qu'exerce L. sur elle ?
Après les perturbations
qu'a connu Delphine à la parution de son livre autobiographique,
elle subit le syndrome de la page blanche ou plutôt elle est
pétrifiée devant l'écran de son ordinateur par manque
d'inspiration et de confiance en elle. Elle glisse vers la
dépression.
C'est alors que L. veut la
convaincre de poursuivre sur la voie de l'autobiographie, le roman
de fiction étant mort pour elle : c'est ainsi que « la
question de la vérité et des genres littéraires (roman, fiction,
autobiographie) est au cœur du livre qui est une puissante réflexion
sur le pouvoir de la littérature » (La Croix). C'est une
remise en place de son rôle : Est-ce important que tout soit
véridique et réel ? Delphine de Vigan dit à un journaliste
de Match : « Ce livre a été écrit en réponse à la
fascination extrême de notre société pour le « vrai »,
« vrai »à la télé, « vrai » au cinéma,
« vrai » dans l'écriture ». Le roman définit la
différence entre l'autobiographie, la confession, la fiction, le
vrai mensonge et le « mentir -vrai ? L'auteur nous laisse
démêler le « mentir- vrai » ou « la
parole-vérité ». Réalité et fiction s'entremêlent et
fusionnent. L'auteur nous trouble en brouillant les pistes de telle
sorte que fiction et réalité ne se distinguent pas. Elle mêle
souvenirs et inventions romanesques.
J'ai beaucoup aimé la
construction de ce roman. Les trois parties Séduction, Dépression,
Trahison sont bien ficelées. J'ai aimé aussi les citations de
phrases de Stephen King au début de chaque chapitre, cet auteur
américain ayant inspiré Delphine de Vigan. J'ai aimé les
références à certains auteurs que j'apprécie beaucoup comme David
Vann, Véronique Ovaldé, Salinger et Proust. J'ai aimé l'écriture
fluide et habile, si facile à lire. En un mot j'ai beaucoup aimé ce
« roman ». Il m'a passionnée et fasciné d'un bout à
l'autre.
En fait c'est sur nous que
l'auteur exerce son emprise et elle nous passionne jusque la fin des
480 pages : elle est « bluffante » jusqu'au bout. Si
l'on lui dit : « L. existe-t-elle ? ».
Elle répond : « Sous une forme ou sous une autre, dans
mon imagination ou dans ma vie, je ne peux pas répondre »…..